Jean-Pierre Siméon – L’avalanche des larmes (extrait)

mais il y a le pas de ceux qu’on aime
dont on sent
exactement quel poids de souffrance pèse
dans le talon
il y a leur poitrine où nous allongeons
notre sommeil
qui se soulève comme les grandes feuilles
sous la brise
là où nous entendons l’oiseau
déchirer ses ailes
.
il y a notre amour qui est un rythme
entre la terre sa terreur et le ciel
car notre coeur est une branche
qui a soif
et qui cherche son fruit par le soleil
et par la pluie
cependant à mesure que la douceur du fruit
s’engendre
une mort transparente monte
dans la sève
.
l’amour serait le vide qu’une clarté
emplit
et l’emplissant terriblement
elle l’agrandit
qui ne sait que l’amour est vaste
et la solitude infinie ?
la poésie commence
où l’amour cogne au vide
là où tout manque se rue l’avalanche silencieuse
des larmes
.
elles ne sont pas ces larmes
larmes de paupière
et le poème n’est pas une élégie
d’eau et de sel
larmes pour elles sans doute
n’est qu’un nom de théâtre
elles sourdent en nous
d’une immortelle absence
comme ce rien pesant qu’exsudent les murs
dans la nuit
.
c’est en chérissant si fort
une main étrangère
et après la main la volonté qui la fait l’épousée
de l’âme
qu’on devient l’obligé malheureux
de la joie
une joie tourmentée chaque jour
à repousser sa mort
une joie au combat sous la ruée silencieuse
des larmes
Traité des sentiments contraires CHEYNE Editeur
Emily Dickinson – Poème 739
//

C’est une Joie d’avoir mérité la Souffrance –
Et de mériter qu’elle s’Arrête –
Une Joie d’avoir péri à chaque pas –
Pour Embrasser le Paradis –
Pardon – de contempler ton visage –
Avec ces Yeux passés de mode –
Il se pourrait – que pour cela – ils surpassent des neufs –
Achetés pourtant au Paradis –
Car ils t’ont contemplé avant –
Et tu les as contemplés –
Prouvez-Moi – Mes Témoins Noisette
Que les traits sont bien les mêmes –
Si fugace, quand tu étais là –
Si infini – une fois parti –
Apparition Orientale –
Renvoyée à la Juridiction matinale –
La Haute taille je m’en souviens –
Egale à celle des Collines –
La Profondeur fut gravée dans mon Âme –
Comme les Inondations – marquent le Blanc des Roues –
Tu vas me Hanter – jusqu’à ce que le Temps lâche
Sa dernière Décade,
Et cette Hantise en fait – va durer
Au moins – l’Eternité –
Valeriu Stancu – Dans le violet de l’ombre –

.
Seul un cri a été
emprisonné dans les épines
juste un pas,
la blessure d’un seul pas
vers l’abîme de mon propre être
juste un reflet
enveloppé dans le violet de l’ombre
seulement une âme
pour la souffrance
juste la charge d’un vol
pour l’aiguille des minutes de l’aile
juste un verset
que je n’ai pas encore écrit
un seul mort
un seul mort….
.
. Festival international de poésie de Medellin 2021
Valeriu Stancu est né à Iasi, en Roumanie, le 27 août 1950. Il est poète, conteur, essayiste, traducteur, journaliste et enseignant. Diplômé de l’Université Alexandru Ioan Cuza, il s’est spécialisé en Littérature à la Faculté des Arts. Il est membre de l’Union des écrivains et traducteurs et de la Société des journalistes en Roumanie. Depuis 1997, il est directeur de la maison d’édition Crónica et rédacteur en chef de la revue littéraire du même nom. Son travail a été traduit dans une vingtaine de langues et a remporté de nombreux prix importants.
Julian Tuwim – Sombre nuit

Anto Carte – L’homme au coq (détail)
Homme plié sous le fardeau,
Viens t’asseoir.
Taisons-nous, regardons
La nuit noire.
Pose là ta pierre,
Repose-toi
Jusqu’ au matin.
Dans la nuit sombre braquons tous deux
Nos yeux humains.
Parler est dur. La pierre est lourde.
Le pain de pierre.
Pourquoi parler. Deux pierres dans la nuit
Pour se taire.
Pour tous les hommes de la terre
(traduction du polonais Jacques Burko)
Orphée
La différence
Ceija Stojka – Auschwitz est mon manteau (extraits)
Anselm Kiefer — Die Ungeborenen (Les non-nés)
L’homme a créé la balance
elle indique la justice
la majorité et la minorité,
et alors pourquoi
nous traite-t-on nous les Roms et les Sintis
de minorité ?
regardez donc ce qu’indique la balance
ou est-ce vous qui l’avez étalonnée
pour que vous puissiez dire : nous sommes
la majorité
et vous la minorité ?
de awen bachtale[1].
[1] Soyez le bienvenu.
Die Waage erschuf der Mensch
sie zeigt die Gerechtigkeit
die Mehrheit und die Minderheit
und warum
bezeichnet man uns Rom und Sinti
dann als Minderheit ?
schaut doch was die Waage zeigt
oder ist die von Euch geeicht
damit Ihr sagen könnt : wir sind
die Mehrheit
und Ihr die Minderheit ?
de awen bachtale.
***
Le ruisseau
était notre baignoire
la rue notre pays natal
notre pain
les hommes qui nous le donnaient
Notre souffrance personne ne la voyait
Nos morts gisent dans la terre
le pays où ils sont nés
La nature est notre première mère
Le vent est le frère du Rom
la pluie la sœur de la Romni
Et tout le reste va avec
Unsere Badewanne
war der Bach
unsere Heimat die Straβe
unser Brot waren die Menschen
die es uns gaben
Unser Leid das sah niemand
Unsere Toten liegen in der Erde
Land wo sie geboren sind
Die Natur ist unsere Urmutter
Der Wind ist der Bruder des Romm
der Regen die Schwester der Romni
Und all das andere gehört dazu
***
Auschwitz est mon manteau
tu as peur de l’obscurité ?
je te dis que là où le chemin est dépeuplé,
tu n’as pas besoin de t’effrayer
je n’ai pas peur.
ma peur s’est arrêtée à Auschwitz
et dans les camps.
Auschwitz est mon manteau,
Bergen-Belsen ma robe
et Ravensbrück mon tricot de peau.
de quoi faut-il que j’aie peur ?
Auschwitz ist mein mantel
du hast angst vor der finsternis ?
ich sage dir , wo der weg menschenleer ist,
brauchst du dich nicht zu fürchten
ich habe keine angst.
meine angst ist in Auschwitz geblieben
und in den lagern.
Auschwitz ist mein mantel
Bergen-Belsen mein kleid
Und Ravensbrück mein unterhemd.
Wovor soll ich mich fürchten ?
Auschwitz est mon manteau
et autres chants tziganes Editions Bruno Doucey
Ludovic Degroote – la digue
peinture : La chapelle sur la digue à Collioure – Henri Jean Guillaume Martin
Pas de bout, pas aux choses, pas à soi,
peut-être pour ça qu’on va sur la digue,
on regarde la mer, les falaises, les villas,
à la fin on revient, on attend de recommencer,
au milieu de la vie qui passe.
La digue ça ne mène nulle part, ça n’engage à rien,
on regarde la mer, et puis on s’en va ;
les yeux naturellement sont portés là plus qu’aux villas ;
où il n’y a rien l’œil ne tombe pas, ça nous laisse d’abord à nous-même.
Les choses souvent on croit qu’elles sont là pour nous,
qu’on a d’elles une mémoire, un regard
– on est séparé de tout, les choses tiennent sans nous,
c’est pour ça qu’elles n’ont pas de bout.
–
On passe, on marche, on avance,
moments posés les uns près des autres,
on ne s’en rend pas forcément compte,
les pensées naissent et meurent,
elles glissent sans qu’on soit toujours là,
ou bien c’est nous qui glissons, à côté,
ou bien non, ça se fait comme ça, en dérive.
–
Sous le ciel, neutre, froid, calme,
durant dans le silence,
comme s’il ne restait plus qu’une enveloppe.
On sait que c’est là, évoluant entre la gorge et l’estomac,
ça bouche ce qui à l’intérieur demande à respirer.
Ça n’empêche pas de vivre, ça donne juste un goût aux choses,
on finit même par croire qu’on s’y fait.
Pas de sens pour faire la digue,
on commence n’importe où, pas de fin,
on en fait des bouts, des pans,
tout y paraît sans histoire, sans mémoire,
disloqué comme les choses sont en nous,
avec de grands pans de vide séparés comme des digues.
Les paysages sont intérieurs.
On ne connaît pas la souffrance des autres,
on se contente de soi.
Ce qui rend lourdes les choses s’est perdu au fond
et ne pèse plus.
Demeure le poids de notre présence face au monde,
ce qu’on pèse soi-même sur ses propres épaules.
Peu d’étale des choses, de transparence entre elles,
rien qui tienne hors de notre regard,
la digue on la fait hors de tout, ça n’est qu’au-dedans
que les choses apparaissent, par pans, par bouts,
et c’est de là qu’on les croit isolées,
alors que les espaces ne sont disloqués qu’en nous.
–
C’est la mer à gauche quand on va à la Pointe aux oies,
à droite ce sont les cabines, les villas, les immeubles récents,
et puis aussi le Grand Hôtel,
les choses, ça arrive, on ne les voit plus,
on croit les savoir par cœur,
on n’écoute plus rien.
–
–
[La Digue, Draguignan, éd. Unes, 1995, p. 7-10]
Silences – (Susanne Derève)

Pablo Picasso – Femme à la tête rouge
Ma mère, mon enfant, ma sœur,
et toi mon amie que tes peurs
entrainent parfois dans les limbes
comme si le diable allait t’étreindre
au saut du lit
Et les mots les mots qui s’envolent
quand de me pencher sur vous
de vous bercer à genoux
me rend avare de paroles
Ma mère, mon enfant, ma sœur,
toi mon amie dont le malheur
donne à mes joies un gout de cendre
Ces mots que tu voulais entendre
ai-je jamais su te les dire
tant il faut d’amour pour apprendre
à mentir
Un jour sans mots – (Susanne Derève)

Imogen Cunningham – Jacinthes d’eau
Je ferai d’aujourd’hui
un jour sans mots
un jour pour rien
un jour d’oubli
Le gel a brodé de ses noires dentelles
mes roses de Noël
mes roses vertes
mes roses sève
Elles qui fleurissaient
mon cœur de vase bleue
empli de tourbe et de fumée
J’ai refermé les mots de la souffrance
avec une clé de métal froissé
Il faut prendre garde à l’errance
J’ai tant rêvé n’en reste
que le silence comme un vide
propice rayon de miel
du miel des mots ceux
dérobés à la conscience
Je n’irai pas les soustraire au matin
au brouillard à la nuit
je n’irai pas les puiser à la mer
la mer fait relâche aujourd’hui
c’est marée basse l’estran dévoilé
comme on dévoile un cœur de tourbe
et de fumée sans pudeur
et le chanfrein de l’heure bleue
où la lumière bascule
celle où le jour recule
voix sans timbre grain de vie
étouffé
chuchotements le froid
devers la nuit soudain tombé
et sur mes hellébores
cette noire dentelle
ce mortel baiser
Yves Heurté – Magdala – 11
peinture: El Greco – Marie-Madeleine en pénitence
La sentinelle se moquait :
« Ton amant couche au Golgotha.
Ne le réveille pas ».
Joie de nos guerres parfumées
plaisir de l’âme en tous les sens
montez à son calvaire !
Que sa souffrance saigne
à l’ivresse des souvenirs.
Ne m’oublie pas.
Toute beauté du monde
intacte est dans mes bras.
Dans l’armoire secrète de nos corps – ( RC )
–
–
–
L’harmonie de nos matières, nous fait intégrer dans l’armoire secrète de nos corps, toutes nos fragilités, et certitudes.
Parfois sous forme d’une pierre rugueuse, parfois, la corolle fragile d’une fleur rebelle, parfois le coffret étanche d’une boîte où rien ne semble pénétrer .
C’est un paysage intérieur, qui se heurte à des parois,
Mais qu’on ne peut pas voir, percevoir clairement.
Peut-être parce que j’en ai perdu les origines, l’explication propre à ma présence en ce monde .
–
De l’extérieur me parviennent les cris d’amour des vivants,
les mines profondes, les pays ravagés par la guerre,
les chemins hésitants ou les rails brillants à travers la nuit .
Il est difficile de saisir où tout cela mène , car cela s’est construit sans moi ;
et beaucoup de langages se croisent
sans que j’en connaisse le langage et les intentions .
D’autres ont leurs certitudes, leur passé, et poursuivent leur aventure, se confrontent à la souffrance, à la joie :
Ils se côtoient, dans un temps commun,
sans forcément disposer librement de leurs destinées .
–
Celles-ci se croisent, se confrontent, se combattent, sous des auspices contradictoires.
Eux non plus n’ont pas d’explication de leur présence en ce monde .
Ils essaient de l’exploiter à leur bénéfice, de façon détournée, comme des contrebandiers .
Mais, malgré les apparences, sont toujours dans l’armoire secrète de leur corps, de leurs croyances, et de limites invisibles ;
Celles-ci se déplacent avec eux, car ils les portent en eux, , comme une ligne d’horizon,
avec le mystère prolongé de leur origine, qu’ils ne peuvent pas atteindre .
–
RC – nov 2014
–
Pablo Neruda – la lettre en chemin
–
Au revoir, mais tu seras
présente, en moi, à l’intérieur
d’une goutte de sang circulant dans mes veines
ou au-dehors, baiser de feu sur mon visage
ou ceinturon brûlant à ma taille sanglé.
Accueille, ô douce,
le grand amour qui surgit de ma vie
et qui ne trouvait pas en toi de territoire
comme un découvreur égaré
aux îles du pain et du miel.
Je t’ai rencontré une fois
terminée la tempête,
La pluie avait lavé l’air
et dans l’eau
tes doux pieds brillaient comme des poissons.
Adorée, me voici retournant à mes luttes.
Je grifferai la terre afin de t’y construire
une grotte où ton Capitaine
t’attendra sur un lit de fleurs.
Oublie, ma douce, cette souffrance
qui tel un éclair de phosphore
passa entre nous deux
en nous laissant peut-être sa brûlure.
La paix revint aussi,
elle fait que je rentre
combattre sur mon sol
et puisque tu as ajouté
à tout jamais
à mon cœur la dose de sang qui le remplit
et puisque j’ai
à pleines mains ta nudité,
regarde-moi,
regarde-moi,
regarde-moi sur cette mer où radieux
je m’avance,
regarde-moi en cette nuit où je navigue,
et où cette nuit sont tes yeux.
Je ne suis pas sorti de toi quand je m’éloigne.
Maintenant je vais te le dire :ma terre sera tienne, je pars la conquérir,
non pour toi seule
mais pour tous,
pour tout mon peuple.
Un jour le voleur quittera sa tour.
On chassera l’envahisseur.
Tous les fruits de la vie
pousseront dans mes mains
qui ne connaissaient avant que la poudre.
Et je saurai caresser chaque fleur nouvelle
grâce à tes leçons de tendresse.
Douce, mon adorée,
tu viendras avec moi lutter au corps à corps :
tes baisers vivent dans mon cœur
comme des drapeaux rouges
et si je tombe, il y aura
pour me couvrir la terre
mais aussi ce grand amour que tu m’apportas
et qui aura vécu dans mon sang.
Tu viendras avec moi, je t’attends à cette heure,à cette heure,
à toute heure, je t’attends à toutes les heures.
Et quand tu entendras la tristesse abhorrée
cogner à ton volet,
dis-lui que je t’attends,
et quand la solitude voudra que tu changes
la bague où mon nom est écrit,
dis-lui de venir me parler,
que j’ai dû m’en aller
car je suis un soldat
et que là où je suis,
sous la pluie ou le feu,
mon amour, je t’attends.
Je t’attends dans le plus pénible des déserts,
je t’attends près du citronnier avec ses fleurs,
partout où la vie se tiendra
et où naît le printemps,
mon amour, je t’attends.
Et quand on te dira « cet homme
ne t’aime pas « , oh ! souviens-toi
que mes pieds sont seuls dans la nuit, à la recherche
des doux petits pieds que j’adore.
Mon amour, quand on te dira
que je t’ai oublié, et même
si je suis celui qui le dit,
même quand je te le dirai
ne me crois pas,
qui pourrait, comment pourrait-on
te détacher de ma poitrine,
qui recevrait
alors le sang
de mes veines saignant vers toi ?
Je ne peux pourtant oublier
mon peuple.
Je vais lutter dans chaque rue
et à l’abri de chaque pierre.
Ton amour aussi me soutient :
il est une fleur en bouton
qui me remplit de son parfum
et qui, telle une immense étoile,
brusquement s’épanouit en moi.
Mon amour, il fait nuit.
L’eau noire m’environne
et le monde endormi.
L’aurore ensuite va venir,
entre-temps je t’écris
pour te dire : » je t’aime. »
Pour te dire « je t’aime « , soigne,
nettoie, lève,
protège
notre amour, mon cœur.
Je te le confie comme on laisse
une poignée de terre avec ses graines.
De notre amour des vies naîtront.
De notre amour on boira l’eau.
Un jour peut-être
un homme
et une femme
A notre image
palperont cet amour, qui aura lui, gardé la force
de brûler les mains qui le touchent.
Qui aurons-nous été ? quelle importance ?
Ils palperont ce feu.
Et le feu, ma douce, dira ton simple nom
et le mien, le nom que toi seule
auras su parce que toi seule
sur cette terre sais
qui je suis, et nul ne m’aura connu comme toi,
comme une seule de tes mains,
que nul non plus
n’aura su ni comment ni quand
mon cœur flamba :uniquement
tes grands yeux bruns,
ta large bouche,
ta peau, tes seins,
ton ventre, tes entrailles
et ce cœur que j’ai réveillé
afin qu’il chante jusqu’au dernier jour de ta vie.
Mon amour, je t’attends.
Au revoir, amour, je t’attends.
Amour, amour, je t’attends.
J’achève maintenant ma lettre
sans tristesse aucune : mes pieds
sont là, bien fermes sur la terre,
et ma main t’écrit en chemin :
au milieu de la vie, toujours je me tiendrai
au côté de l’ami, affrontant l’ennemi,
avec à la bouche ton nom,
avec un baiser qui jamais
ne s’est écarté de la tienne.
–
Marcel Proust – Ephémère efficacité du chagrin

Dessin; V Van Gogh: femme pleurant
Soyons reconnaissants aux personnes qui nous donnent du bonheur, elles sont les charmants jardiniers par qui nos âmes sont fleuries.
Mais soyons plus reconnaissants aux femmes méchantes ou seulement indifférentes, aux amis cruels qui nous ont causé du chagrin.
Ils ont dévasté notre coeur, aujourd’hui jonché de débris méconnaissables, ils ont déraciné les troncs et mutilé les plus délicates branches, comme un vent désolé, mais qui sema quelques bons grains pour une moisson incertaine.
En brisant tous les petits bonheurs qui nous cachaient notre grande misère, en faisant de notre coeur un nu préau mélancolique, ils nous ont permis de le contempler enfin et de le juger. Les pièces tristes nous font un bien semblable ; aussi faut-il les tenir pour bien supérieures aux gaies, qui trompent notre faim au lieu de l’assouvir :
le pain qui doit nous nourrir est amer.
Dans la vie heureuse, les destinées de nos semblables ne nous apparaissent pas dans leur réalité, que l’intérêt les masque ou que le désir les transfigure.
Mais dans le détachement que donne la souffrance, dans la vie, et le sentiment de la beauté douloureuse, au théâtre, les destinées des autres hommes et la nôtre même font entendre enfin à notre âme attentive l’éternelle parole inentendue de devoir et de vérité.
L’oeuvre triste d’un artiste véritable nous parle avec cet accent de ceux qui ont souffert, qui forcent tout homme qui a souffert à laisser là tout le reste et à écouter.
Hélas ! ce que le sentiment apporta, ce capricieux le remporte et la tristesse plus haute que la gaieté n’est pas durable comme la vertu.
Nous avons oublié ce matin la tragédie qui hier soir nous éleva si haut que nous considérions notre vie dans son ensemble et dans sa réalité avec une pitié clairvoyante et sincère. Dans un an peut-être, nous serons consolés de la trahison d’une femme, de la mort d’un ami.
Le vent, au milieu de ce bris de rêves, de cette jonchée de bonheurs flétris a semé le bon grain sous une ondée de larmes, mais elles sécheront trop vite pour qu’il puisse gêner.-
locataires de l’hostile ( RC )

provenance blog a coeur et à cris
Il n’y a plus d’empreintes sur le sable
Que de dessin d’un monde meilleur
L’angle de la peur, de la souffrance
Ne concerne pas les voyageurs
Mais les reptiles,
Locataires de l’hostile
Et les plantes à épines…
Les êtres tapis au creux de la terre
La bouche collée, sous le sol
Qui chuchotent leur exil,
Aux peaux craquelées, comme leur terre-mère
De boue sous un soleil impitoyable
Découpent les ombres au fer rouge
Si ombre il y a – et leurs mains tendues
Vers l’ailleurs d’un peut-être …
–
RC – 11 juillet 2012
photo extraite des dragons d’Asgard
–
Nizar Qabbani – Me permettez-vous

photo reportage: heure de la prière en Afghanistan
Dans des pays où l’on assassine les penseurs, où les écrivains sont des mécréants et où l’on brûle les livres. Dans des pays où l’on rejette l’autre, où l’on scelle les bouches et où l’on enferme les idées. Dans des pays où poser une question est blasphématoire, il m’est nécessaire de vous demander de me permettre…
Me permettez-vous d’élever mes enfants comme je le veux et de ne pas me dicter vos envies et vos ordres ?
Me permettez-vous d’apprendre à mes enfants que la religion est d’abord pour Dieu et non pas pour les gens, les Imams et les Oulémas ?
Me permettez-vous de dire à ma petite fille que la religion est morale, éducation, courtoisie, politesse, honnêteté et sincérité, avant de lui apprendre par quel pied elle doit d’abord entrer dans les toilettes et avec quelle main manger ?
Me permettez-vous de dire à ma fille que Dieu est amour et qu’elle peut lui parler et lui demander ce qu’elle veut ?
Me permettez-vous de ne pas rappeler à mes enfants la souffrance de la tombe alors qu’ils ne savent pas encore ce qu’est la mort ?
Me permettez-vous d’apprendre à ma fille les bases de la religion et le respect qu’elle impose avant de lui imposer de porter le voile ?
De dire à mon jeune fils que faire du mal aux gens, les humilier et les mépriser pour leur origine, couleur ou religion est un grand pêché pour Dieu ?
Me permettez-vous de dire à ma fille que faire ses devoirs et se concentrer sur son éducation est beaucoup plus important pour Dieu que d’apprendre les versets du Coran par cœur sans même qu’elle n’en comprenne le sens ?
Me permettez-vous de dire à mon fils que suivre le Prophète commence par prendre exemple sur sa droiture et honnêteté avant sa barbe et la longueur de son habit ?
Me permettez-vous de dire à ma fille que les autres ne sont pas des mécréants et qu’elle n’a pas besoin de pleurer de peur qu’ils n’aillent en enfer ?
Me permettez-vous de crier que Dieu n’a, après le Prophète, demandé à personne de parler en son nom, ni autorisé quiconque à vendre des indulgences ?
Me permettez-vous de dire que Dieu a interdit de tuer une âme humaine et que celui qui tue un homme est comme s’il avait tué l’humanité entière ? Qu’un musulman n’a pas le droit d’en intimider un autre ?
Me permettez-vous de dire à mes enfants que Dieu est plus grand, plus miséricordieux et plus juste que tous les Oulémas (docteurs en religion) réunis de la terre ? Que ses principes n’ont rien à voir avec ceux des marchands de religion ?
–
– Nizar Qabbani « le poète de la femme » , est un poète syrien, dont vous pouvez trouver plus d’infos sur wikipedia , ou sur ce site.
Marie- Simone Séri

peinture: Marie Guillermine Benoist
Madame, écoutez-moi. Vous êtes peut-être une mère, vous aussi, et vous pouvez comprendre. Ecoutez-moi. Je parle, je bouge, je travaille et il advient que l’on m’entende rire. Pourtant, je ne suis qu’un long cri silencieux. Je hurle en silence et l’on ne m’entend pas. En moi coule, ininterrompu, le flot destructeur de mes larmes cachées.
Pour survivre malgré la peine, pour continuer à paraître vivre, pour les miens et aussi pour moi, il me faut ici crier ma douleur. J’essaierai de le faire simplement, avec mes mots à moi, qui tenteront d’exprimer, si peu, si mal, mais avec une sincérité totale, comme si j’étais devant un juge, la souffrance causée par le drame qui m’a broyée.
Parce que vivre, c’est partager afin de ne jamais, un seul jour, oublier ceux que nous avons aimés. Je ne désire pas écrire un livre semblable à ceux que nous lisons pour nous distraire, pour nous instruire, mais seulement le récit de mes angoisses, de mes difficultés de femme, de mère. Je désire évoquer le jour terrible avec naturel, discrétion, pudeur. Evoquer la mémoire de ma fille avec l’immense amour qu’avant même sa naissance je lui avais porté.
Je désire dans ce roman transcrire mon Vécu en ses joies, en ses peines, peut-être en ses mystères…
Je désire m’exprimer. Evoquer mes joies. Evoquer mes jours. Evoquer mes nuits. Evoquer ma vie.
–
extrait de » Mon enfant mon cri ma vie. » Vincennes: Editions Menaibuc, 1997.
–
Auteur du Burkina Faso, voir le site de littérature africaine aflit
Vampire et vautours (RC)
J’ai choisi ma victime
J’ai déployé mes ailes
Pour commettre mon crime
Selon le rituel (inscrit au manuel)
Aiguisant mes dents
J’ai choisi une belle femelle
Dont le sang giclant
Sentait l’eau d’javel
Il fallait s’attendre au pire
Avec celà, gluant sur ma poitrine
Hémoglobine, qui lentement s’agglutine
Car je suis l’étoile noire,le divin vampire
Aux côtés duquel, Gilles de Rais
Qu’aimait faire souffrir lentement
Avec pinces et couperets
Ne serait qu’un enfant
J’ai aimé ses cris infâmes
Pendant que je suçais
Sa tiède vie de femme
Qu’aussi j’embrassais.
Ma pauvre victime sans défense
S’en allant doucement, la v’la qui s’épuise
Au regret des blessures, souffrances
Me donnent ainsi sa vie, tandis qu’elle agonise.
Je nettoierai plus tard mes lames
Et le rouge sombre, accroché à mon couteau
Au silence revenu, après le drame
J’me suis régalé — à lui faire la peau…
Oiseaux nocturnes, hiboux et effraies,
Vautours et rapaces, restant à distance
J’ai pu leur laisser, un peu de sang frais
Pour nourrir leur nuit – Ce sera bombance…
Aux nuits longues, sans lune
J’ai fini mon repas, le ventre replet
Là bas , au loin, sur la lagune
En compagnie d’un astre sans reflet..
RC – 18 juin 2012
–
Armando Ribeiro – un jour peut-être,je t’écrirai une lettre

peinture Gabriel Metsu : dame écrivant une lettre
Armando Ribeiro
–
Un jour, un jour peut-être
Je t’écrirai une lettre
Plume en sang sur feuille blanche
Souvenirs d’un vieux dimanche
J’attendais habillé d’espoir
Assis dans un petit couloir
La dame à la robe endimanchée
Aux cheveux finement bouclés
Qui me prendrait dans ses bras
Et me murmurerait tout bas
Je suis là maintenant
N’aie plus peur mon enfant
Et puis j’étouffais mes pleurs
En murmurant au fil des heures
Encore un peu et elle sera là
Encore un peu et elle viendra
Puis le soleil crèvera les nuages
L’oiseau s’en ira en voyage
Et je l’attendais enfant perdu
Je l’attendais puis c’est tout
Je l’attendais enfant sage
Rêvant de partir en voyage
L’entendre rire un petit peu
Voir le Tage et les bateaux
Sentir la douceur de son parfum
Et puis lui tenir la main
Pour oublier mes souffrances
Et ne plus mourir d’enfance
À l’écriture d’enfant oublié
À l’encre d’un silence blessé
Un jour tu sais, un jour peut-être
Que je t’écrirai une vieille lettre.
–
Mahatma Gandhi- enfer et paradis
Un jour un saint’ homme eut une conversation avec le bon Dieu et Lui posa une question :
« Seigneur j’aimerais bien savoir comment sont le Paradis et l’Enfer »
Dieu conduit le saint’ homme vers deux portes.
Il en ouvrit une et lui permit de regarder à l’intérieur.
Il y avait une très grande table ronde.
Au milieu de la table il y avait un très grand récipient contenant
de la nourriture au parfum délicieux.
Le saint’ homme en eut l’eau à la bouche
Les personnes assises autour de la table étaient maigres, avaient une mine livide et malade.
Toutes avaient un air affamé.
Ils avaient une cuillère avec un manche très très long, attachée à leur bras.
Tous pouvaient atteindre l’assiette de nourriture et en recueillir un peu, mais
comme le manche de la cuillère était plus long que leur bras,
ils ne pouvaient approcher la nourriture de leur bouche.
Le saint’ homme trembla à la vue de leur misère et de leur souffrance.Dieu lui dit: « tu viens de voir l’Enfer »
Dieu et l’homme se dirigèrent vers l’autre porte.
Dieu l’ouvrit
La scène que l’homme vit était identique à la précédente.
Il y avait la grande table ronde, le récipient qui lui faisait venir l’eau à la bouche.
Les personnes autour de la table avaient eux aussi des cuillères avec de longs manches.
Cette fois, par contre, ils étaient bien nourris, heureux et papotaient entre eux en souriant.
Le saint’homme dit à Dieu : « Je ne comprends pas »
« C’est simple » répondit Dieu. Ceux-ci ont appris que le manche trop long de la cuillère ne leur permettait pas de se nourrir eux-mêmes mais permettait de nourrir leur voisin. Ils ont ainsi appris à se nourrir les uns les autres !
Ceux de l’autre table, au contraire, ne pensaient qu’à eux-mêmes…. L’Enfer et le Paradis sont égaux dans la structure… la différence nous la portons en nous !!!!
Je me permets d’ajouter :
« Sur la terre il y a suffisamment de choses pour satisfaire les besoins de tous mais pas la goinfrerie de quelques-uns »
Nos pensées, pour le peu qu’elles puissent être bonnes, sont des perles fausses tant qu’elles ne sont pas traduites en actions.
Il en va de même pour les changements que tu voudrais voir dans le monde ».
Mahatma Gandhi.