Louis Guillaume – l’ancre de lumière
extrait de "LA NUIT PARLE" (1961)
A Marthoune.
La mer semblait de pierre calcinée, mate et pourtant transparente et, à une grande profondeur, sur un lit de sable gris, je distinguais fort bien l’ancre lumineuse qui m’empêchait de dériver.
Il était seul, mon bateau, seul au milieu de l’immensité noire et, seul à bord, penché au-dessus de l’abîme, je ne quittais plus des yeux, minuscule et seule, elle aussi, dans le désert couvé par l’océan, cette croix de feu sous la courbe d’un sourire.
Et, à force de fixer sur elle mon regard, elle m’apparut comme un visage, comme ton visage nocturne, mon amie. –

Les bras de l’ancre devinrent ta bouche, la tige dessinait la ligne de ton nez et le jas celle de tes sourcils. Si distant et si attachant, c’était bien ton visage qui brillait là-bas, qui liait ma barque à la terre malgré les ressacs et les courants, et continuait de veiller,
même lorsque je scrutais l’horizon.
— Lève l’ancre ! dit une voix soudaine.
Alors, tu poussas un cri si déchirant que je m’éveillai à ton côté.
Et notre lit tanguait dans l’ombre.
un furtif passage – ( RC )
Quelle est cette lumière étrange
Qui ici, soudain, règne ?
Est-ce la parole de l’ange,
qui , tout – à – coup, saigne,
Dans cette pièce austère
Où rien ne bouge,
Au fond du verre
aux reflets rouges ?
J’y vois un mur transpercé,
L’éclair fendant les nuages ;
Ton image inversée,
Celle de ton visage.
L’arrondi des sourcils…
Le reste se fond dans l’obscur,
Une vision, du reste , bien fragile,
Qui se dissout lentement dans le mur.
C’est peut-être un vestige de la pensée,
Certains y verraient un mirage,
Un fantôme tentant la traversée
des apparences, – comme en furtif passage…
–
RC – oct 2015
Marina Tsvetaieva – Ma maison
Ma maison
Sous ses sourcils froncés,
Maison de ma jeunesse,
Comme si j’y étais retournée :
Bonjour, voilà, c’est moi !
Si reconnue, si familière
Sous son manteau de lierre,
Cachant son front, comme gênée
D’être si grande et fière,
[…]
Des yeux sans chaleur
Loin du bruit de la rue,
Des fenêtres le verre
Sans reflet. Toutes nues,
Contemplant un jardin
Depuis cent ans désert,
Sans connaître personne
Et sans voir les passants !
Cachée dans les tilleuls,
Survivance et puissance,
Antique et digne aïeule,
Photo perdue d’enfance,
Négatif de mon âme !
–
(Vanves, 1932 – du recueil » inédits de Vanves » ).
–
Colère et éclaircie ( RC)
Il y a dans mon ciel, quelques nuages
Portés par le vent d’Ouest, ils envahissent
Les dessus d’horizons, comme pâte dentifrice
Et se tordent , à mon humeur, – comme c’est dommage ! –
de laisser ,à la colère, toute la place
Et ainsi cacher le dessein solaire
Des contrastes, – le monde à l’envers
Des ombres farouches, qui agacent…
Suspendus au dessus du sol, quelques mégatonnes
S’échafaudent, se bousculent , des projets d’orage
Tardant , maintenant dans le grand balayage
Alors que la trompette d’Eole s’époumonne
Ayant convoqué la grêle et autres intempéries
Tornades et giboulées, d’avant l’été
Est-ce donc d’avoir tempêté
Que le ciel s’est fendu, et qu’on en rit ?
En fronçant les sourcils, un peu par ici
Les cumulus sont allés voir ailleurs
Un paysage plus serein et rieur,
Ce qui nous laisse, au sourire, une éclaircie.
–
RC -26 mai 2012
-sur le même thème, Rainer Maria Rilke s’exprimait ainsi:
Après une journée de vent,
dans une paix infinie,
le soir se réconcilie
comme un docile amant.
Tout devient calme, clarté…
Mais à l’horizon s’étage,
éclairé et doré,
un beau bas-relief de nuages.
Rainer Maria Rilke – quatrains valaisans