Ce qui renaîtra sous mes doigts – ( RC )

RC aquarelle 2022
Tout ce qui n’est pas
ne signifie pas la mort :
ce qui renaîtra sous mes doigts,
je ne le sais pas encore
– ce qu’il adviendra
est encore incolore
et me surprendra
comme une métaphore
de mon ignorance .
– Du devenir
je fêterai la naissance
des choses sans souvenirs -,
où circule de nouveau
le sang figé
à la pointe de mes pinceaux :
un être pas encore né ,
se fiera à ma bonne étoile :
traversera mon inconscient
pour apparaître sur la toile
d’abord vaguement …
… sans que j’y pense
pétri de son mystère,
affirmant sa présence
venu d’une autre sphère.
( Je n’y suis pour rien :
pour ce genre de choses,
je ne suis qu’un témoin
de la métempsychose ) :
– ce qui sommeille encore,
renaît sous mes doigts
il aura ce corps
que je ne pouvais décrire
un instant plus tôt
encore maladroit
– comme ce sourire
qui se dessine et éclot
dans ce visage
de l’inconnu qui vient vers moi
traversant l’image
depuis l’au-delà .
Marceline Desbordes-Valmore – Le beau jour

J’eus en ma vie un si beau jour,
Qu’il éclaire encore mon âme.
Sur mes nuits il répand sa flamme ;
Il était tout brillant d’amour,
Ce jour plus beau qu’un autre jour ;
Partout, je lui donne un sourire,
Mêlé de joie et de langueur ;
C’est encor lui que je respire,
C’est l’air pur qui nourrit mon coeur.
Ah ! que je vis dans ses rayons,
Une image riante et claire ?
Qu’elle était faite pour me plaire !
Qu’elle apporta d’illusions,
Au milieu de ses doux rayons !
L’instinct, plus prompt que la pensée,
Me dit : « Le voilà ton vainqueur. »
Et la vive image empressée,
Passa de mes yeux à mon cœur.
Quand je l’emporte au fond des bois,
Hélas ! qu’elle m’y trouble encore :
Que je l’aime ! que je l’adore !
Comme elle fait trembler ma voix
Quand je l’emporte au fond des bois !
J’entends son nom, je vois ses charmes,
Dans l’eau qui roule avec lenteur ;
Et j’y laisse tomber les larmes,
Dont l’amour a baigné mon cœur.
Un effet d’hiver – ( RC )

photo Caroline D – tempête douce
C’est sans doute un effet d’hiver.
Les lèvres sont fermées.
Ne m’en veux pas de t’avoir jeté la pierre…
Le livre a les pages raides,
les corneilles ont laissé leur empreinte noire
sur un ciel gris au-dessus de nous.
Qu’est devenu ton sourire ?
maintiendra-t-il aussi les lèvres fermées
comme au moment de ton départ:
j’irai le découper dans le papier
pour le coller sur la photo floue
que tu trouvais laide.
Ce n’est rien qu’un détour d’écriture
qui cachera un peu ma blessure…
Mario Benedetti – des mots qui n’existent plus

Combien de mots n’existent plus.
Le présent repas n’est pas la soupe.
L’eau qui reste ici n’est pas la mer.
Une aide c’est trop demander.
Il n’y a rien à vivre et il n’y a plus rien, sauf mourir, quand on m’enlève les mots .
Et pas de sauts à la corde, de mains qui ensemble se tiennent
, sourires, caresses, baisers.
Le lit de la maison est une lande imprononçable :le repos des mourants,
dans les spasmes agités, quand on sent que l’on vit encore.
Province d’Udine, Codroipo, le malade des deux poumons,
le pantalon trop large, le visage avec la peau sur les os,
le nez effilé , ce n’est pas quelque chose à raconter, ni les souvenirs.
Se savoir aride, se sentir aride…
Et je me dis, réalisez donc, n’ayez pas seulement vingt ans,
et une vie comme éternelle, pour juste me faire du mal.
( traduction « improbable de Google trad, » au mot à mot modifiée pour que cela soit plus compréhensible. )
texte issu du site une nouvelle poésie italienne.
Nous n’avons pas affaire à une statue, dont la bouche reste muette – ( RC )

Quel fruit se sépare,
d’un trait
où la largeur de l’infini
a peu de chance
de rentrer ?
La bouche est entr’ouverte,
sur les falaises brillantes
de l’émail des dents.
La soif des mots
se repose un instant,
de la parole…
Il se peut qu’on s’égare
dans les phrases,
quand aucun voile
ne dissimule le visage.
Nous avons dépassé
les vertiges de la censure…
Est-ce l’ombre de la vérité
qui s’exprime
dans la colère ou le sourire ?
Nous n’avons pas affaire
à une statue
dont la bouche reste muette…
Pablo Neruda – Ode à la mer

Ici dans l’île
la mer
et quelle étendue!
sort hors de soi
à chaque instant,
en disant oui, en disant non,
non et non et non,
en disant oui, en bleu,
en écume, en galop,
en disant non, et non.
Elle ne peut rester tranquille,
je me nomme la mer, répète-t-elle
en frappant une pierre
sans arriver à la convaincre,
alors
avec sept langues vertes
de sept chiens verts,
de sept tigres verts,
de sept mers vertes,
elle la parcourt, l’embrasse,
l’humidifie
et elle se frappe la poitrine
en répétant son nom.
ô mer, ainsi te nommes-tu.
ô camarade océan,
ne perds ni temps ni eau,
ne t’agite pas autant,
aide-nous,
nous sommes
les petits pêcheurs,
les hommes du bord,
nous avons froid et faim
tu es notre ennemie,
ne frappe pas aussi fort,
ne crie pas de la sorte,
ouvre ta caisse verte
et laisse dans toutes nos mains
ton cadeau d’argent:
le poisson de chaque jour.
Ici dans chaque maison
on le veut
et même s’il est en argent,
en cristal ou en lune,
il est né pour les pauvres
cuisines de la terre.
Ne le garde pas,
avare,
roulant le froid comme
un éclair mouillé
sous tes vagues.
Viens, maintenant,
ouvre-toi
et laisse-le
près de nos mains,
aide-nous, océan,
père vert et profond,
à finir un jour
la pauvreté terrestre.
Laisse-nous
récolter l’infinie
plantation de tes vies,
tes blés et tes raisins,
tes boeufs, tes métaux,
la splendeur mouillée
et le fruit submergé.
Père océan, nous savons
comment tu t’appelles,
toutes les mouettes distribuent
ton nom dans les sables:
mais sois sage,
n’agite pas ta crinière,
ne menace personne,
ne brise pas contre le ciel
ta belle denture,
oublie pour un moment
les glorieuses histoires,
donne à chaque homme,
à chaque femme
et à chaque enfant,
un poisson grand ou petit
chaque jour.
Sors dans toutes les rues
du monde
distribuer le poisson
et alors
crie,
crie
pour que tous les pauvres
qui travaillent t’entendent
et disent
en regardant au fond
de la mine:
«Voilà la vieille mer
qui distribue du poisson».
Et ils retourneront en bas,
aux ténèbres,
en souriant, et dans les rues
et les bois
les hommes souriront
et la terre
avec un sourire marin.
Mais
si tu ne le veux pas,
si tu n’en as pas envie,
attends,
attends-nous,
nous réfléchirons,
nous allons en premier lieu
arranger les affaires
humaines,
les plus grandes d’abord,
et les autres après,
et alors,
en entrant en toi,
nous couperons les vagues
avec un couteau de feu,
sur un cheval électrique
nous sauterons sur l’écume,
en chantant
nous nous enfoncerons
jusqu’à atteindre le fond
de tes entrailles,
un fil atomique
conservera ta ceinture,
nous planterons
dans ton jardin profond
des plantes
de ciment et d’acier,
nous te ligoterons
les pieds et les mains,
les hommes sur ta peau
se promèneront en crachant
en prenant tes bouquets,
en construisant des harnais,
en te montant et en te domptant,
en te dominant l’âme.
Mais cela arrivera lorsque
nous les hommes
réglerons
notre problème,
le grand,
le grand problème.
Nous résoudrons tout
petit à petit:
nous t’obligerons, mer,
nous t’obligerons, terre,
à faire des miracles,
parce qu’en nous,
dans la lutte,
il y a le poisson, il y a le pain,
il y a le miracle.
Traduit par Ricard Ripoll i Villanueva
Antoine Jean-Baptiste Roger – Sonnet romantique

J’attends l’amour, le grand amour que ne déparent
Ni les doutes, ni les dégoûts, l’amour tardif
Dont le flux submerge le cœur, ce vieux récif,
L’amour, mer d’Orient suit la côte barbare !
Aussi pardonne-moi si ma bouche est avare,
Tu n’es pour moi qu’un rayon de soleil furtif.
Je rêve par-delà notre baiser passif
Un roman beau comme un poème… et m’y prépare.
Cependant si déçu, je ne le vivais pas,
Pour te frôler encore je hâterais le pas
Dans ce brouillard d’hiver où la lumière est jaune…
Et malgré cet orgueil qui me ronge en secret,
Ton sourire est si doux qu’il me consolerait…
…Dieux ! L’amour serait-il si triste comme une aumône ?
–
Antoine Jean-Baptiste Roger – ( plus connu sous le nom de Saint-Exupéry )
Dominique Grandmont – le spectacle n’aura pas lieu IV

Quelque chose de trop
vrai dans ton sourire j’essaie
de rester de ne voir
qu’un genou le coude
le creux d’une veine
ou rien ceux qui restent
savent tout moi j’essaie
de ne pas voir mais je ne peux pas
non plus partir quelque chose
a lieu qui n’a pas de nom qui n’a pas
besoin de nom tout un corps là-bas comme
les mots d’une chanson
et qui se redresse
sans même écouter la musique continue toute seule dans un café
le spectacle n’aura pas lieu a été publié aux éditions messidor
De mon aiguille patiente – (Susanne Derève) –

De mon aiguille patiente je reprise les plaies du temps plaies vives plaies rebelles À la fenêtre le blanc troupeau de nuages d’une aube grise vient enserrer le jour J’attends l’instant d’après - celui de la belle ouvrage - où renaît ton sourire un lever d’hirondelles dans l’azur pantelant d’un ciel d’été
Lotus – (Susanne Derève )-

Un peu de terre, et le chaos des pierres que vient baigner le flot, rives,limons,rizières. Sous le sampan de bois, les lotus à fleur d’eau comme une peau légère et sur leurs tiges frêles, la jupe tendre des corolles, rose, translucide, d’où naît le poème ancestral, celui qui tient le temps dans ses filets, le porte jusqu’à nous en son précieux calice. Aux faces parcheminées, aux visages étoilés de sueur sous la paille, à leurs bouches édentées,je dérobe un sourire. Telle chaleur en deçà de l’ombrelle, la chanson filée de la rame en sourdine. Je ne trahirai ni l’effort ni le silence, ni la parole lente, je tairai les mots. Le bonheur est patience.

Tristan Tzara – vide matelas

Vide matelas
pour ne pas dormir
ni rire ni rêver
le froid aux entrailles
le fer dans la neige
brûlant dans la gorge
qu’avez-vous fait qu’avez-vous fait
des mains chaudes de tendresse
avez-vous perdu le ciel
dans la tête par le monde
dans la pierre dans le vent
l’amitié et le sourire
comme les chiens à l’abandon
comme des chiens
Marina Tsvetaieva – le plus grand des mensonges

Je te conterai le plus grand des mensonges
Je conterai pour toi le soir qui tombe et l’ombre.
Les feuilles vertes et les vieilles souches
Et les lumières éteintes et rien ne bouge.
Venu de loin, un homme, sa flûte en main,
Jeune, assis, nu, il joue sans fin.
La grande tromperie je conterai,
La lame perfide dans la main
Le trou brûlant de la lame en mon sein
Et de tes femmes les boucles blondes,
Et le sourire de tes enfants.
Et des vieillards le menton blanc.
Je te conterai le plus grand des fracas
Le tumulte sonore de mon siècle, le fer
Du galop des chevaux contre les pierres.
-extrait des « écrits de Vanves » 1917
Gourmandise de Vermeer – ( RC )

peinture: Joseph Lee
On ne saura jamais combien
de secondes ont suffi
pour que se commette ce délit :
Aurait-on oublié
d’attacher le chien
ou serait-il amateur d’art ??
( à défaut de visiter un musée ),
lui, qui par hasard
s’est intéressé
à la crème glacée
de la pâtisserie
à plusieurs reprises
avant qu’on ne le chasse.
Il a laissé des traces
de sa gourmandise
en mangeant les fruits confits :
repas extraordinaire,
promener sa langue sur un Vermeer,
en commettant l’outrage
d’effacer son visage !
on ne voit plus ses yeux
- ce qui est dommage –
c’est toute l’incertitude
de cette épreuve :
( dans cette œuvre
restera l’attitude
et le turban bleu ):
On reconnaîtra sans erreur
le jeune fille
dans la crème au beurre
parfumée de vanille:
elle est aussi jolie
que dans mon souvenir
sans que je la confonde
avec le sourire
de la Joconde…
… et c’est très bien ainsi.
RC
Hala Mohammad – Le sourire qui n’a pas trouvé son chemin

Le sourire
Qui n’a pas trouvé son chemin vers mes lèvres
Les jours de bonheur,
Tel un vent silencieux
Telle une pierre tombale
Fend mon visage
Dans mon chagrin
Qui a saisi ce sourire doux-amer ? – ( RC )

Les trains du soir
se sont enfuis dans la nuit,
et ton sourire a ces lèvres absentes
de la beauté fanée
d’une photographie
qui a mal vieilli.
Une pellicule dans un album photo
oublié au fond d’une armoire.
Je ne sais plus qui a saisi cet instant,
ce sourire doux-amer
qui rappelle celui de la Joconde,
derrière son épaisse armure de verre
– le mystère d’une perspective
difficile à saisir – ,
une fleur épinglée sur la poitrine
laissant échapper son parfum.
Qui se souvient des fêtes et de la joie,
des portes qui grincent,
des fenêtres ouvertes sur l’azur ,
des verres qui tintent,
de la guerre tendre des regards ?
une guerre qui pâlit
comme s’effacent les voix
de ceux qui t’ont connue.
L’or des cheveux
retrouverait-il son feu,
ton oeil, son incandescence
le vent , son insolence ,
si le sort était levé,
tu reviennes à la vie,
extraite comme par magie
de la photographie ?
Franck Smith – noir solstice

je ne comprends pas
pourquoi toujours l’inquiétude doit être profonde
le ciel bleu la mer épaisse et profonde
le souvenir épais et bleu chaude
la chaleur de l’été solide
l’ennui ne comprends pas printanier
et bleu le bouquet comme noir
le soleil noir mouillé de noir
et c’en est fait du ciel pourquoi
radicalement noir comme celui
et c’en fut fait du ciel le noir dans la bouche
je ne comprends pas pourquoi
après le noir le blanc toujours
ensuite non ne comprends pas
tu comprends toi pourquoi
et où et de quoi as-tu peur dans le noir
quelle est la longueur dis cette peur rayonnante
sa lenteur
son caprice
dans le noir qu’elle est
radicalement
puisqu’il n’existe pas
le nom du jour n’existe pas
c’est noir quand le jour
n’est plus
non je ne sais pas
écoute un nom contient
le noir un noir un autre noir
au même endroit
c’est comme
le vent c’est comme
l’électricité
c’est comme la mer après
dont tu ne comprends pas
l’équilibre
la force non
et nous ne savons pas
plus de même
au même endroit
de cette peur
entre le vent
radicalement faible
de tout entier
et dérisoire
c’est comme la proie
la tache
noire aux sombres soucis
et tu te tais
et c’en fut fait du ciel
III
noir
c’est un peu d’orange pourtant
une branche ou deux qui font éclater les valises
je partirai passerai par l’usure du monde
je vais partir c’est sûr puisque
je te le dis dans le noir
te le dis dans la plus éculée des disparitions
avec à coté de moi quelques mots quelques oublis
une misère sans importance des baleines bleues
au ventre je te chercherai au coeur net
de ce que je refuse à côté si proche
la rivière du désordre dérisoire et vraie
te dira une absence
IV
je vais partir c’est sûr les mots
arrangeront un visage aimé
aux contours à peine dégrossis
je n’aurai aucun retour aucune peine à me perdre
V
quel noir est-ce qu’on voudrait tenir
pour endurer un silence moins inquiet
un sourire dénué du feuillage
des signes
quelque chose mauvais encore
et tenir têtes et gestes
je vais partir dans ce noir
que tu ne sais pas
donner
ni répondre
en cette seule et petite
fréquentation du mal
le mal-dit le mal-compris
autant de mensonges
ni personne
VI
les pas seront ceux du bleu effrayant et fatigué du malheur mal guéri
après l’autre après les autres feront-ils offrande ‘ c’est toujours
un peu non un peu seulement sauf que non c’est pas pareil à des patiences difficiles
VII
je ne sais pas pourquoi le ciel
je ne sais pas pourquoi le ciel la nuit
je ne sais pas pourquoi tant le ciel si l’obscurité
tant la nuit tant va le ciel
ne sais pas jamais
tant d’obscurité que si la nuit
alors qu’au ciel
et au-delà
bien au-delà
l’épaisseur des herbes-où nous courons
dans le ciel
, VIII
pour aller où je sais que j’aime ça se traverse longtemps aussi longtemps que l’eau
chaque force chaque éclipse » et rien pour dénombrer le temps
Détourner la douleur vers un peu de sourire – (RC )

Tant d’années à se dire
à se lire , à déchirer les ténèbres
de tant d’heures,
pour que la lumière vienne,
et rebondisse sur les fleurs
dont la tête penche ;
Elles n’égarent pas leurs couleurs,
car elles restent vivantes
dans le tableau.
Je suis derrière,
je ne sais si tu me reconnaîtras,
car j’ai un peu changé,
et ma voix est chargée
de mes pas égarés
dont l’immobilité rejoint
celle la pierre
Le silence serait-il
de la même nuance qu’hier ?.
Je me suis exercé
avec le jeu des pinceaux,
pourtant , je ne façonne pas les heures,
je laisse passer les oiseaux,
je me retire dans des paroles
souvent vaines,
mais j’y loge un peu de soleil
pour détourner la douleur
vers un peu de sourire.
RC
Jean-Pierre Rosnay – À Tsou l’Egyptienne

Par-dessus le toi des guitares
Ses yeux et son sourire bleu
La nuit mêlée à ses cheveux
Chaque train oubliait sa gare
Le flux et le reflux de la mer intérieure
Qui animait mon coeur à la cause du sien
Me faisait ressemblant à ces ombres de chien
Qu’on voit laper la nuit des restes de lueurs
Mon égyptienne ma mythique
Quand nous baignerons-nous à nouveau
Au port d’Alexandrie entre ces vieux rafiots
Dont la voile crevée donnait de la musique
Du haut de la plus haute pyramide
Léchée par des millions de regards touristiques
Entre Son Lumière légendes et cantiques
Je t’apporte ces mots de sang encore humides
Ces inhumains versets d’amours supra-humaines
Quand le poète écrit d’amour à son aimée
Il charge son stylo d’encre à éternité
Puis lui dit simplement Madame je vous aime
Et je vous saurais gré de l’avoir remarqué
Gabrielle Althen – le sourire antérieur
photo-montage RC
Je voudrais le mot blanc d’un ciel absent
qui laissât trace de demeure.
Un mot qui fût le lit du jour et parvînt
à la fête unanime du vent.
Croisement de chances et de campagne,
bourdonnement des boucles de ta tête, rosaces,
rosaces en partance et applaudissement
sous le pic impavide du gris de l’horizon,
des mains battraient dans l’herbe
parmi les arbres et la faux des grands jours,
et la vertu émancipée roulerait jusques aux franges du moment.
Foules prolixes et ciselées, royaume retourné,
jeunesse sous l’or gris et pivot d’une aisance somptueuse,
— aucun diamant n’est autre
que la possession nue de l’esprit sur le langage.
une forme douce et un sourire – ( RC )
peinture: Jeremy Annear
J’ai commencé
par une forme douce et indéfinie,
un peu ovale, mais sans bords,
que j’ai remplie d’un sourire
que je ne peux décrire.
Un sourire,
dont tu es l’ombre portée ,
qui s’étend lentement,
sans avoir de centre.
La couleur est apparue,
lente et dense
mais semblant sourdre de l’intérieur.
Il est difficile de l’expliquer
et encore d’en transmettre une image,
que l’oeil pourrait saisir.
Il suffit de se laisser envahir par sa présence,
s’en laisser traverser,
( enfin s’éprendre de ce désir,
qu’on ne peut même pas qualifier ) .
Rabindranath Tagore – Au petit matin
photo Nicolas Grandmangin
Au petit matin on murmura que nous allions partir en barque, toi seulement et moi,
et qu’aucune âme au monde ne saurait jamais rien de notre pèlerinage nous menant éternellement vers un autre nulle part.
Sur cet océan sans rivages, devant ton sourire attentif, silencieux, mes chants s’amplifieraient en mélodies, libres comme les vagues, libres de la servitude des mots.
Le temps n ’est-il pas venu ? Qu ’il y a-t-il encore à faire ?
Vois, le soir est descendu sur la plage et dans la lumière faiblissante les oiseaux de mer regagnent leurs nids.
Qui sait quand, les amarres rompues, la barque, telle la dernière lueur du couchant, s’évanouira dans la nuit ?
Pentthi Holappa – les navires naufragés
peinture: Katheryn Holt naufrage
LES NAVIRES NAUFRAGÉS
Il n’y a pas d’abri contre la douleur, ni sous une cuirasse
ni dans le ventre de la mère. Y en aurait-il dans une
urne funéraire?
Prends garde aux nuits de pleine lune, quand la mer
reflète
les lumières de la ville !
Le ciel pourrait s’effondrer sur tes épaules.
Ta foi fragile dans les anges du ciel pourrait
se briser, si tu les voyais cueillir sur les récifs
les brassées d’or
des navires naufragés.
Tu te mettrais à pleurer, après l’esquisse d’un sourire.
L’homme est un enfant, qui même sous les coups n’apprend pas
que les miracles s’effacent dès qu’on les
contemple.
Ceci
n’est pas le pire malheur, mais plutôt de rester
au port
quand les anges déroutent les bateaux vers les hauts-
fonds.
Colporteur du temps – ( RC )
Le colporteur du temps
N’a pas sa montre à l’heure
Et a laissé se faner les fleurs
Des rendez-vous d’avant
En semant les traces à tout vent,
C’est tout un champ d’enfants
Qui grandissent en chantant
Déposés en sommeil, on les oublie souvent
Lorsque le hasard nous amène
A revenir sur nos traces
Les souvenirs reviennent, et nous embarrassent
Le temps avait figé, – quel phénomène – !
un geste dans l’espace
La terre humide, qui fume
Le village, perdu dans la brume
Et de lointains ressentis passent
Ton sourire d’avant est resté le même
Dans mon souvenir; il est ce défi
Que me lance encore, ta photographie
Les fleurs d’antan , pour ce poème
Sont encore fraîches, et la couleur
Que n’a pas retouchée le colporteur
Du temps, qui s’est étiré, sans toi.
Couleur du bonheur, en papier de soie.
25-01-2012
issu de la création de Pantherspirit: le colporteur du temps
Philipp Larkin – à propos de l’album de photos d’une jeune femme
Enfin vous m’avez laissé voir cet album qui,
Une fois ouvert, m’affola. Tous vos âges
En mat et en brillant sur les épaisses pages !
Trop riches, trop abondantes, ces sucreries
Je me gave de si nourrissantes images.
Mon œil pivote et dévore pose après pose –
Cheveux nattés, serrant un chat pas très content,
Ou vêtue de fourrure, étudiante charmante,
Ou soulevant un lourd bouton de rosé
Sous un treillage, ou portant chapeau mou
(Un peu gênant, cela, pour diverses raisons) –
De toutes parts, vous m’assaillez, les moindres coups
Ne venant pas de ces types troublants qui sont
Vautrés à l’aise autour de vos jours révolus :
Dans l’ensemble, ma chère, un peu indignes de vous.
Mais ô photographie semblable à nul autre art,
Fidèle et décevante, toi qui nous fais voir
Morne un jour morne et faux un sourire forcé,
Qui ne censures pas les imperfections
– Cordes à linge et panneaux de publicité –
Mais montres que le chat n’est pas content, soulignes
Qu’un menton est double quand il l’est, quelle grâce
Ta candeur confère ainsi à son visage ,
Comme tu me convaincs irrésistiblement
Que cette jeune fille et ce lieu sont réels !
Dans tous les sens empiriquement vrais ! Ou bien
N’est-ce que le passé ? Cette grille, ces fleurs,
Ces parcs brumeux et ces autos sont déchirants
Simplement parce qu’ils sont loin ;
En semblant démodée, vous me serrez le cœur,
C’est vrai ; mais à la fin, sans doute, nous pleurons
D’être exclus, mais aussi parce que nous pouvons
Pleurer à notre aise, sachant que ce qui fut
Ne nous priera pas de justifier notre peine,
Même si nous hurlons très fort en traversant
Ce vide entre l’œil et la page. Ainsi, je reste
A regretter (sans nul risque de conséquences)
Vous, appuyée contre une barrière, à vélo,
A me demander si vous noteriez l’absence
De celle-ci où vous vous baignez ; en un mot,
A condenser un passé que nul ne peut partager,
A qui que ce soit votre avenir; au calme, au sec,
II vous contient, paradis où vous reposez
Belle invariablement,
Plus petite et plus pâle année après année.
Philipp LARKIN
« The Less Deceived »
(The Marvel Press, 1955) Traduction in « Poésie 1 » n° » 69-70