Gargouilles et corbeaux – ( RC )

Deux corbeaux se posent,
sous la voûte gothique :
ce sont deux ombres, – esprit des cierges
entourant le catafalque -,
qui se nourrissent de cantiques .
Les saints représentés sur les statues
restent immobiles,
leur tête chevelue de poussière,
leurs vêtements de pierre
abritent quelque oiseau nocturne.
Les pinacles se dessinent en noir
contre un ciel d’orage.
Pas de prières en dehors des horaires
Le « son et lumière «
ne fonctionne plus à cette heure .
Le parvis de la cathédrale est désert
et les gargouilles entament
une conversation muette,
leur gueule grande ouverte
aboyant sur les nuages .
Voix de livres – ( RC )
Un ton de voix qui traverse les pages,
maintenant, enfoui parmi d’autres .
Tous ne dialoguent pas ensemble,
mais il y a des échos qui transportent loin,
et la mémoire accorde quelque chose,
à la façon d’une saveur épicée,
à ces livres fermés depuis longtemps,
et que peut-être je ne lirai plus.
ou alors, si je les parcours
ce sera avec l’espoir de retrouver
les tournures des phrases
telles que ressenties avant.
Selon la couverture ,
on se rappelle plus ou moins
la couleur des mots
qui s’associaient à ce qui était conté .
Ils sont comme les statues d’un parc
attendant le visiteur.
Des années plus tard,
de la mousse aura envahi le visage,
elles auront été déplacées,
on les pensait plus grandes,
car vues avec un autre regard
que celui d’aujourd’hui.
Les livres sont pressés
dans plusieurs cartons,
et la chair de leur voix,
palpite encore quelque part .
Ce ne sont pas des objets comme les autres,
ils contiennent un peu de moi,
c’est peut-être pour ça
que je ne les ouvre pas.
–
RC – août 2017
Tourner les vents en sa faveur – ( RC )
Tu voyages
au pays des croyances,
et, tu constates,
qu’à chaque imprévu de l’existence,
on a trouvé une parade,
une carte maîtresse, une antidote…
Dans leur distribution ,
réparties au petit bonheur,
il y a le catalogue complet
des corps célestes et des oracles funestes,
qu’on peut trouver,
dispersés aux quatre vents,
comme des graines de pissenlit .
Même inégalement répartis,
il est tout à fait possible
d’y trouver son compte,
de se vouer à son saint patron,
comme pour les muses,
et les dieux antiques :
Quel augure permettra
de franchir les obstacles;
de tourner les vents en sa faveur
combattre les maladies,
favoriser la fertilité
et même prévenir de la morsure
des chiens enragés
– à chaque chose malheur est bon – dit-on..
Il y a aussi ceux qui représentent
la musique, l’architecture,
la corporation des chapeliers,
des orfèvres, etc .
Les églises sont un florilège
où se multiplient les représentations
en statues de bois ou de plâtre,
tel Saint Tugen
( qui guérirait des maux de dents ),
ou ceux – les plus courants –
qu’on reconnaît à leurs attributs.
Ils répondent « présent ! « ,
au garde-à-vous,
à la façon d’une bible sculptée.
Certains – comme saint Evénec,
bien connu des bretons,
ne représentent qu’eux-mêmes –
( à moins qu’on ait oublié
quels étaient leurs bienfaits ) …
Protecteurs ou indifférents,
montrés sur les tympans romans
ou les peintures gothiques,
leur regard est vide,
mais sans doute plein
de bonnes intentions….
( quoiqu’on connaisse aussi
ces poupées, où on peut planter
des aiguilles ) ;
ou ces fétiches bardés de clous
pour conjurer le sort,
ou au contraire
le provoquer…
Ce sont aussi des objets
crées pour repousser les mauvais esprits,
ou représentés par des masques
sereins ou grimaçants ,
dans lesquels s’incarnent
la puissance des ancêtres.
Mais on peut penser
à ces chouettes crucifiées,
beaucoup plus proches de chez nous,
clouées sur les portes,
pour avoir eu le malheur
de naître emplumées,
et porteuses – parait- il – de mauvais présages.
–
RC mai 2017
Alda Merini – j’ai besoin de poésie
photo: Julie Blackmon ( hommage à Balthus : Olive & Market street )
Je n’ai pas besoin d’argent.
J’ai besoin de sentiments,
de mots, de mots choisis avec soin,
de fleurs comme des pensées,
de roses comme des présences,
de rêves perchés dans les arbres,
de chansons qui fassent danser les statues,
d’étoiles qui murmurent à l’oreille des amants.
J’ai besoin de poésie,
cette magie qui allège le poids des mots,
qui réveille les émotions et donne des couleurs nouvelles.
Alda Merini
Balthus: le passage du commerce St André
Le temps rit de toutes ses dents – ( RC )

–
Le temps rit de toutes ses dents ,
appelle la calligraphie mobile des arbres,
le hennissement des chevaux
et l’éternuement des nuages .
( toujours pressés, ceux-là ! ) .
Les hommes se sont un jour
approprié le paysage, en traçant
de longues pistes, cultivant jusqu’au fleuve.
Pour marquer leur emprise,
ils ont construit un temple,
aux lourdes pierres, abritant
l’esprit des dieux, pensant
dialoguer avec l’éternité.
Mais on ne l’a pas à l’usure.
La lune brille toujours entre les branches.
Oui, ce sont d’autres branches,
et d’autres arbres.
Et d’autres hommes sont passés,
ont vécu, puis sont partis,
abandonnant leurs dieux , coincés dans les sanctuaires.
Désormais vides de prières.
Les statues regardent dans le vide,
( ou plutôt leur regard s’est voilé ) ,
couvert de mousses.
La jungle a repris le dessus :
> la nature a horreur du vide.
–
–
RC – avr 2016
Statues sans aspérité – ( RC )
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Sans aspérité,
La pierre couverte de mousse
S’étire, masquée par les arbres,
Aux branches effeuillées.
C’est une muse, une statue,
Au bout d’une allée…, oubliée.
Il y a un banc à côté,
Qui attend les promeneurs
Pour de tièdes soirs d’été..
Mais , c’est l’hiver à Versailles,
Les pièces du grand bassin,
Ont l’allure morne des eaux
Qui ne reflètent rien,
Et d’autres statues,
Perdent un peu de leur prestance,
Avec leurs gestes figés,
Et leurs têtes dressées,
———- sous un épais chapeau de neige.
RC – 30 mai 2013
Quelle est la mémoire des pierres ? – ( RC )

pierres du musée lapidaire: photo ville de Narbonne
Quelle est la mémoire des pierres,
Celles qui se cachent sous la mousse,
Aux traces noires incendiaires,
Sous le lierre qui repousse ?
Des siècles traversés
Qui se souvient, des hommes trépassés….?
Peut-être les statues renversées,
Aux bras mutilés et têtes fracassées …
La mémoire des pierres attend,
Derrière de nouveaux murs,
De l’histoire, les mouvements,
Les révoltes et les fêlures…
Les combats et les guerres,
Les armées en déroute,
Nous parlent des hiers,
Jusque dans les voûtes.
Portées en arabesques,
Par des colonnes massives,
Et la peinture écaillée des fresques,
Sous d’autres perspectives,
D’autres époques et manières de vivre,
Recouvrant églises et temples,
Telles les pages d’un livre,
Ouvertes à celui qui les contemple.
La mémoire des pierres s’mprègne du temps,
Et du labeur des hommes, la trace
Même parfois teintées de sang,
Indifférentes aux ans qui s’entassent.
Elles sont comme des sentinelles,
Tout au sein de leur masse,
Une part d’éternel,
Alors que les hommes passent.
Les dressant comme un défi, debout
Contre le soleil et la tempête…
Elles parlent encore de nous,
Offrant au futur,le récit de leur parole muette.
RC – juin 2014