Zbigniew Herbert – le sel de la terre
peinture F Kupka
Une femme passe
son foulard tacheté comme un champ
elle serre contre sa poitrine
un petit sac en papier
cela se passe
en plein midi
au plus bel endroit de la ville
c’est ici qu’on montre aux excursions
le parc et son cygne
les villas dans les jardins
la perspective et la rose
Une femme avance
avec la bosse d’un baluchon
– que serrez-vous ainsi grand-mère
elle vient de trébucher
et du sac
sont tombés des cristaux de sucre
la femme se penche
et son expression
n’est rendue
par aucun peintre de cruches brisées
elle ramasse de sa main sombre
sa richesse dissipée
et remet dans le sac
les gouttes claires et la poussière
Elle
reste
si
longtemps
à genoux
comme si elle voulait ramasser
la douceur de la terre
jusqu’au dernier grain
Le quotidien et la vision de ce qui est, au plus profond, deux aspects inséparables. Cet extrait de L’inscription, par exemple :
Je répète un poème que je voudrais
traduire en sanscrit
ou en pyramide :
quand la source des étoiles se tarira
nous éclairerons les nuits
quand le vent deviendra pierre
nous attendrirons l’air
—
Anna Jouy – J’écoute le point du jour
montage perso – 2014
je me suis couchée dans le bleu , je me lève aux oranges. ma jupe est rayée d’avions mon corsage est nu, il y a un coeur qui s’y lave
la nuit est un sucre à la fonte, la mienne fait des gouttes d’oiseaux. il faut une fenêtre pour avancer et tu fabriques de si belles trouées
tu délivres les gens de ma sorte, tu m’affranchis
c’est l’heure de laisser couler les mites du rêve
j’écoute le point du jour comme un doigt au milieu du thorax
c’est de lui que je m’habille, comme un ongle qui saigne et me désigne.
Bras obscurs et songes flottants – ( RC )

Le mystère a des bras obscurs,
qui confisquent les formes,
les mélangent ,sans qu’on sache bien comment,
dès que le soir grignote l’espace connu…
Alors l’humidité sourd des plantes,
qui se détendent du jour,
et laisse place aux créatures nocturnes.
Celles que l’on entend, et celles
que l’on imagine, abrités derrière
les paupières fermées des volets de bois,
la lune essayant de se faufiler par les fentes.
On essaie d’oublier ce qui se trame
de l’autre côté des murs,
en allumant l’électricité, dont la fixité rassure.
Mais il suffit d’une panne
pour que le quotidien bascule,
on ressort les chandelles, que l’on dispose ,
pointillés lumineux dans la pièce,
tremblotantes flammes, elles , éphémères,
sans doute effrayées, elles-aussi,
que le mystère de la nuit
envahisse l’intérieur, réagissant
au plus petit mouvement d’air,
– un pressentiment –
comme si celui-ci,
profitant de la plus petite brèche,
s’apprêtait à bondir
de l’autre côté des murs,
une protection si mince,
qu’on pourrait penser qu’ils puissent
se dissoudre aussi,tel un sucre
plongé dans un verre d’eau…
la porte ouverte à tous les possibles,
de ceux dont on n’a d’autre idée
que celle des songes flottants prenant soudain consistance .
–
RC- sept 2015
Plante carnivore (RC)

plante carivore, parc de Bako, Nouvelle Calédonie
–
Sur l’étagère, du pot la végétation sournoise ;
Se développent dans l’ombre maintes tentacules
Qui espèrent, aux aguets,insectes et animalcules
Entre le buffet revêche et l’horloge comtoise…
Il émane de quelque part, des tentatives de lucre.
Lentement se propage, le poison de la plante
Dans la petite pièce, l’atmosphère étouffante
Flottant quelque part, acide, entre le miel et le sucre…
C’est de trompeuse douceur, le parfum de la mort
Venant boire de la vie, l’errance abjecte,
Quand se posent sur elle, d’innocents insectes
Englués dans les sucs, de la plante carnivore..
Aujourd’hui, bien à sa place, mais plutôt replète
Je la sens qui m’observe, toujours sur le qui-vive
En attendant, sans bouger, que la nuit arrive
Et ses reflets troubles, agacent et entêtent.
Je l’imagine, alors, dans le noir, tout envahir
Développer des lianes et filaments
Me ficeler menu, me faire son aliment,
Qu’elle triple ainsi de taille , à hauteur de son désir
Je serai « bu » par elle en un tournemain
Epaississant , la forêt de ses feuilles
De moi, on pourra faire le deuil,
La plante aura , ce petit air hautain,
Entre l’horloge comtoise et le buffet revêche,
Caché dans la plante, ( c’est peut-être pour demain )
Tiges et tentacules auront quelque chose d’humain…
Avant que mon coeur, entièrement, ne se dessèche…
C’est un fantasme, qui bien sûr, angoisse
——Que je n’aurais peut-être pas dû partager
Car , si j’en viens, à vous manger
Même avertis, mes amis, serez dans la poisse !
Mais nous serons si bien ensemble, dans les tiges,
De votre vie passée , des souvenirs anciens,
Comme pour moi, il n’en restera plus rien
Un touffe de cheveux qui dépassent… des vestiges…
RC 2 juin 2012
–
Au bouquet de l’âme (RC)
Aux bouquets, de ceux qui parfument
J’hume
Au bouquet de l’âme, je repêche à la surface
Les fleurs éparpillées par le vent de glace
Nos étoiles, sont deux parallèles de regard, qui se croisent
Sont deux langues qui s’additionnent ( et dégoisent)
Aux bouquets, de ceux qu’on croise
J’écrirai encore sur ton ardoise
Des secrets de craie si nacrés
Qu’ils portent, animals, leur sucré
Edmond Jabès – le sucre est liquide le long des branches et le soleil rond comme une bille.
La petite fille a posé sa tête
contre la poitrine velue du printemps.
Ses cheveux en sont parfumés;
ses doigts tressent la tige frêle de nos rêves.
Qui fait encore défaut à l’appel?
Ce jour est interdit.
Pour elle,
le sucre est liquide le long des branches
et le soleil rond comme une bille.
(Edmond Jabès)