Miguel Angel Asturias – marimba chez les indiens

La marimba pond ses œufs dans les astres…
Oh la la, quel caquet
pour un œuf que tu ponds !
Eh, venez donc le pondre !
La marimba pond des œufs dans les astres…
Le soleil est son coq, il la coche, il la saigne.
La marimba pond des œufs dans les astres.
Oh la la, quel caquet
pour un œuf que tu ponds !
Eh, venez donc le pondre !
Dans les calebasses au trou noir de noix de coco
et aux membranes de tripes tendues il y a des
sanglots de mouches,
de poissons-mouches, d’oiseaux-mouches…
Et le charivari de la perruche verte
et le crépitement de l’oiseau jaune en flammes,
et le vol tournoyant du guêpier bleu de ciel,
et les quatre cents cris du moqueur d’Amérique.
Le moqueur a sifflé, le guêpier a volé
l’oiseau jaune a flambé, la perruche a crié.
Oh la la, quel caquet
pour un œuf que tu ponds !
Eh, venez donc le pondre !
Musique entre les dents et la peur endormie,
jetée par des hommes de pierre-foudre vêtus de blanc,
qui du haut du soleil tendent leur bras de feu
et leurs doigts armés de baguettes brûlées aux longs
cheveux de caoutchouc
qui frappent la face sonore du clavier à peine soutenue
par les fils de quatre couleurs
en bariolant les airs : vert, rouge, jaune, bleu….
Son-roulement de pluie des tissages célestes !
Son-roulement de pluie de la ruche du monde !
Son-roulement de pluie de la sueur des humains !
Son-roulement de pluie du pelage du tigre !
Son-roulement de pluie de la robe de plumes !
Son-roulement de pluie des robes de mais !
De la sueur des hommes- (Susanne Derève)

Pierre Péron – port de commerce Brest
Que sait-on de la poussière des grues
et de la sueur des hommes
Que sait-on des derniers relents de la nuit
quand l’humidité ronge insinue
coule sous les paupières
la sève brûlante du sommeil arraché
au café du petit matin
Muscles gourds sous les bleus de chauffe
corps durcis endurcis muets
corps las
du cliquetis des bielles
de l’aigre stridulation des essieux
de leur implacable giration de chronomètre
Métal glacé des crevasses profondes
gerçures plaies immondes
Que sait-on de l’asphalte
suintant de graisse et de cambouis
flaches saumâtres
de ces navires à quai
gueules béantes
dont les entrailles grondent
réclamant leur tribut
de fournaise et de bruit
épaves moribondes
étoiles nues
absentes ensevelies
Mais aussi
que sait-on des aubes légères
du pavois d’or de la lumière
dans le ciel blanc de pluie
Que sait-on de la tendresse des hommes
entre leurs mains rebelles
Que sait-on de la vie …
Formant une colonne chantante – ( RC )
photo perso – Burkina Faso
Il fallait que je marche
sur les sentiers secs
parsemés de pierres
et d’herbes sèches,
longtemps ,
depuis le village
– je n’en ai plus la notion –
pour arriver jusqu’au puits.
Il y avait un cercle de béton:
une rondelle comme une estrade,
où des femmes en pagnes
s’activaient à la pompe,
en exprimant la soif du monde :
il y a au village
toujours des bouches
qui demandent à boire…
Sous le soleil de l’Afrique.
l’ombre des manguiers ne suffit pas
à en tempérer l’ardeur….
Elles avaient la peau luisante
d’éclats d’eau et de sueur,
et riaient de me voir attendre,
empoussiéré,
une bouteille en plastique vide, à la main .
Elles s’apprêtaient,
quelquefois avec un enfant accroché au dos,
à prendre à leur tour
les sentiers secs
parsemés de pierre,
un gros bidon jaune,
en équilibre sur la tête
formant une colonne chantante .
–
RC – nov 2017
Benjamin Fondane – là nous voyageons ensemble .
––
Je ne suis pas le pilote
de ce bateau que les aubes ont lavé à grande eau –
et les soirs. Je n’ai pas
le droit de commander aux houles
ni mettre de côté
un peu d’écume pour mes vieux jours. Toutes ces autres
écumes, les mouettes,
obéissent à d’autres regards. Je n’ai pas,
voyageur toléré sur le pont, en partage
avec vous, que le droit d’être jeté dessus
le bord, à l’achevé du cycle. De ce droit
ce n’est pas mon dessein d’user. Je vous respecte
marins et vous pilote,
je vous serre la main, commandant. Sur ce pont
vous êtes tous chez vous. Oui, mais moi-même
je ne suis pas d’ici
et me laisse laver par les aubes. Je triche.
Je ne partage pas votre vie. Ma sueur
ne se joint pas à votre travail. Mon visage
est loin. Oui, mais le soir
sous la lampe j’exprime le jus de la journée
sous mon pressoir. Le temps est fini. On commence
un autre voyage. Mais là
nous voyageons ensemble
dans un poème dont je suis le pilote
en un temps, en un temps où il n’y a pas de temps.
Paul Vincensini – Des paniers pour les sourds
Peinture: JF Millet : paysans bêchant
L’âcre odeur de sueur
Qui monte de la terre
A dissipé l’encens
Et ronge les suaires
Les mains durcies fermées par le labeur
Et les mains sans limites
S’effilochant en rêves
Se cherchent et se crispent
Dans la même douleur.
« Des paniers pour les sourds », 1953.
L’aspra adori di sudori
Chì cresci di a tarra
Hà alluntanatu l’incensu
È runzicheghja i fossi
È i mani induriti è senza fini
Chì si starpiddani in sonnia
Circhendusi stantarati
In un stessu dulori
Esther Tellermann – Choucas
photo perso fresque de l’église de JANAILHAC
Ils sont tiens
les choucas
les Dieux peints
les tissus refroidis
la sueur
et la grille
Ils sont tiens
les lits durs
les goûts de paille
l’usure
des soulèvements
***
Car
rien ne donne la réponse
ni dômes surgis
ni masques de terre
Pistes s’égrènent en copeaux
en nuits balayées par les torches
Etions accoutrés d’os
faisant commerce de braise
***
Leopold Sédar Senghor – Prière de paix

Sculpture romane – église de Ste Marie et St.David, Kilpeck. England
- Voilà que le serpent de la haine lève la tête dans mon coeur, ce serpent que j’avais cru mort…
- Tue-le, Seigneur, car il me faut poursuivre mon chemin, et je veux prier singulièrement pour la France.
- Seigneur, parmi les nations blanches, place la France à la droite du Père.
- Oh ! je sais bien qu’elle est aussi l’Europe, qu’elle m’a ravi mes enfants comme un brigand du Nord des bœufs, pour engraisser ses terres à cannes et coton, car la sueur nègre est fumier.
- Qu’elle aussi a porté la mort et le canon dans mes villages bleus,
- qu’elle a dressé les miens les uns contre les autres comme des chiens se disputant un os
- Qu’elle a traité les résistants de bandits, et craché sur les têtes-aux-vastes-desseins.
- Oui, Seigneur, pardonne à la France qui dit bien la voie droite et chemine par les sentiers obliques
- Qui m’invite à sa table et me dit d’apporter mon pain, qui me donne de la main droite et de la main gauche enlève la moitié.
- Oui, Seigneur, pardonne à la France qui hait les occupants et m’impose l’occupation si gravement
- Qui ouvre des voies triomphales aux héros et traite ses Sénégalais en mercenaires, faisant d’eux les dogues noirs de l’Empire
- Qui est la République et livre les pays aux Grands Concessionnaires
- Et de ma Mésopotamie, de mon Congo, ils ont fait un grand cimetière sous le soleil blanc.
L.S. SENGHOR, Hosties Noires, 1948
Salvatore Quasimodo – Chevaux de la lune et des volcans

peinture: Giorgio de Chirico 1928
–
CHEVAUX DE LA LUNE ET DES VOLCANS
à ma fille
Îles que j’ai habitées
vertes sur des mers immobiles.
D’algues sèches et de fossiles marins
les plages où galopent fous d’amour
les chevaux de la lune et des volcans.
Au moment des secousses,
les feuilles, les grues assaillent l’air :
dans la lumière des alluvions
brillent des ciels chargés ouverts aux astres ;
les colombes s’envolent
des épaules nues des enfants.
Ici finit la terre :
avec de la sueur et du sang
je me construis une prison.
Pour toi je devrais me jeter
aux pieds des puissants,
adoucir mon cœur de brigand.
Mais traqué par les hommes
je suis encore en plein dans l’éclair,
enfant aux mains ouvertes,
aux rives des arbres et des fleuves :
ici l’anatomie féconde de l’oranger grec
pour les noces des dieux.
—
CAVALLI DI LUNA E DI VULCANI
al la figlia
Isole che ho abitato
verdi su mari immobili.
D’alghe arse, di fossili marini
le spiagge ove corrono in amore
cavalli di luna e di vulcani.
Nel tempo delle frane,
le foglie, le gru assalgono l’aria :
in lume d’alluvione splendono
cieli densi aperti agli stellati ;
le colombe volano
dalle spalle nude dei fanciulli.
Qui finita è la terra :
con fatica e con sangue
mi faccio una prigione.
Per te dovrò gettarmi
ai piedi dei potenti,
addolcire il mio cuore di predone.
Ma cacciato dagli uomini,
nel fulmine di luce ancora giaccio
infante a mani aperte,
a rive d’alberi e fiumi:
ivi la latomia d’arancio greco
feconda per gli imenei dei numi.
–
Philippe Delaveau – Bistrots de Paris
BISTROTS DE PARIS
On est debout devant le zinc et sous l’œil simple
et bleu du patron qui s’active il arbore
une moustache artistique en balai-brosse
tandis que l’ivresse égare un monde incertain
qu’alimente la truelle d’un monologue à son propre rythme
lent parfois pâteux de bâtisseur de mondes ce sont les vignes
venues à Paris déverser leurs vendanges vers le métal
des tubes et des sièges les glaces réfléchissent les visages blancs
la sueur au front qui perle chez ceux qui reconstruisent
patiemment mais le poème est mort et les murs s’écroulent
éclairant par gouttes les fronts rien ne visite les solitudes
ni la bière barbue ni le petit rouge qui danse sur son ballon
ni le blanc sec en renversant la tête ou le café dans son corset d’ébène
–
Thierry Metz – Je suis tombé
Je suis tombé
dans mes pas
jusqu’à les suivre.
Jusqu’à ne plus dormir.
Les mères étaient trop loin
et je n’avais qu’une torche
à peine pour me conduire
assez pour passer sous chaque mot.
Et seul, me consumer.
Puis j’ai fait un signe
d’au-revoir.
Il n’y en a eu qu’un pour me dire :
Oui,
tu peux sortir de la maison
nous n’avons plus de visage.
Mais moi je suis sorti avec mon visage. Je continue mon métier dans les feuilles. Sur les talus. Dans les fossés. Près des eaux. Je nettoie les bords.
Je ne fais pas une enquête. J’essaye seulement de retrouver l’assiette et le verre, le soir, sur la table.
Je n’ai rien à signaler que ce que je fais, parmi l’herbe et la ronce.
Quant à mon écriture : c’est une roue qui passe, une brouette de terre. Le reste est dans ma main. Avec la sueur.
Ici il y a plus de 36 chemins. Qui vont nulle part.
Et j’y vais à coup de faux et de trinque.
Le livre est livré au jour, à lui-même. Moi, dehors : j’éclaircis, je cingle l’ortie comme on frappe sur les eaux ; quelque chose alors est rendu au possible, au probable : une aile, une branche, un sourire. Mais comment ne pas faillir hors de ces rares instants, si simples et pourtant toujours remués ? Que vient faire ce que je suis là-dedans ?
Je ne sais pas mais je m’accorde un répit. En attendant la mêlée. Sur une souche. J’ai rassemblé mes gestes comme si c’étaient des chiens, des bâtards. Mais je suis prudent avec eux car c’est partout la faim.
Puis vient le soir, la petite heure. Le carnet est vite dépecé. Le verre de vin est bon. Le feu. Les mille et un petits gestes qui font qu’on ne fait rien.
Qu’on ne fait rien. Que le souffle ou la main n’est admis.
Enfin c’est le sommeil, le drap déplié, le château.
Tout sert d’appui autour de ce qui est à rêver, dans l’oubli. Tout sert dans ce convoi, tiré par des oiseaux. C’est le jour, c’est le ciel, c’est le bonjour d’un passant qui a servi d’appât.
Mais je ne dors pas,
je cherche le soleil.
Je me suis pris les mains dans ce que je disais.
Thierry Metz, Terre, Opales/Pleine page, 1997 ; rééd. 2000
–
Ibrahim Koné – J’ai compris
–
J’ai compris.
J’ai compris qu’il vaut mieux se taire quand on veut se faire entendre
Que le silence est une cruche, remplie d’un nectar doux et tendre
Que la patience des braves ne se mesure pas toujours en terme de victoire
Que la vie d’ici bas n’est pas qu’un purgatoire
J’ai compris qu’il vaut mieux sourire en quittant ce monde
Que les larmes sont le signe de l’abandon et du doute
Que le sourire efface la crainte même dans la déroute
Qu’il n’y a rien de meilleur que l’harmonie et la paix profonde
J’ai compris que le temps ne passe pas comme l’on croit
Que c’est nous qui passons dans le temps qui nous tend la main
Que gagner le pain a la sueur de notre front n’est pas une croix
Que la vraie croix est la façon dont nous mangeons ce pain
J’ai compris que la beauté n’est qu’une pale copie de la bonté
Que la parure du cœur vaut mieux que les fards sur le visage
Que les belles paroles ne font pas toujours le sage
Que le sage et le fou sont les deux voix de son immense bonté
J’ai compris que finalement je n’ai rien compris
Que chaque jour révèle que nous n’avons rien appris
Que ma raison n’est pas nécessairement ton tort
Que la vérité n’est pas toujours du coté du plus fort
J’ai compris…
Ibrahim Kone. ( auteur ivoirien)
Décennies verticales , sous l’écorce ( RC )
sculpture-installation Giuseppe Penone ( jeune arbre révélé dans arbre adulte )-
Cache toi derrière les feuilles,
elles se sont, depuis , bien ouvertes
L’abîme au centre de ton angoisse
Est tapie au coeur de l’arbre
Et parfois, on peut l’entendre gémir,
avec les branches qui se poussent toujours plus haut,
à écorcher le ciel.
Son tendre aubier tourbillonne, avec les gels, et les vents
Et je me confondrai avec, saignant avec , les jours de tempête,
ou quand les hommes viendront abattre mes voisins,
à grands han de hache et de morsures mécaniques.
Je connais au coeur du tronc, la jeune pousse,
qui devint brindille, puis arbrisseau…
Elle s’est cachée , de même, sous d’autres écorces,
On peut supposer qu’il en est de même chez l’humain,
avec ses saveurs barbouillées d’années.
Cache toi derrière le tronc, que les frissons parcourent,
Sous les branches, comme des bras, porteurs de mains larges ,
abri des oiseaux de la terre, tant qu’il n’est pas
l’heure de migrations vers un ailleurs plus clément.
Mon aubier accueille ton front et imprime sa sueur de sève,
et de mousses… – tu y as gravé ton nom…
Témoin des décennies verticales, relié au sol par mes racines,
sentinelle au creux de la clairière, …
–
RC 30 juin 2012
–
Et petit commentaire sur Giuseppe Penone, qui est un des artistes les plus importants de la nouvelle scène italienne, et justement, tout son travail autour de l’arbre, de sa croissance, de l’arbre jeune révélé à l’intérieur d’un plus ancien… une prise en compte du temps ( de la croissance), et de la nature qui se modifie et occulte son passé… G Penone, travaille donc à « rebrousse-temps »…
Chercheurs d’or à la sauvette – ( RC )
En parcourant les chemins,
C’était dans un autre monde
Celui des hommes intègres
Ceux d’ici peut-être
Mais il y a ceux d’ailleurs
Qui viennent creuser – pour l’or
Dont il y a quelque part
Au milieu de la roche brune
Quelques grammes, quelques paillettes
Qui peut-être, sueur, labeur
Transport, lenteur, avidité
Permettront à quelques uns de vivre
De vivre mieux, c’est dire
Difficile, mais l’espoir
Justement, fait vivre
Même s’ il faut n’en pas vivre, mais gratter
Au sein même d’obscurs tunnels instables
Quelques roches, et remonter d’escalade
> Même si certains en restent ensevelis
Ils ont cru pouvoir vivre
En prenant aux entrailles de la terre
Un peu de précieux qui pourrait
De quelques carats orner une main
D’une bague aux souvenirs de peine
Qui se souviendra de la poussière brune
Des transports éreintants
Afin de convertir le risque encouru
En quelques kilos de riz
—
je viens de trouver aussi un poème de André Velter,
qui nous dit une impression parallèle
( je ne cite que la fin du poème)
Mais perdre perdre surtout
La moindre révérence
Le plus frêle désir
De collier de gourmette
De broche de clip de boucle
De tocante et d’alliance,
Laisser l’or aux gogos
Laisser l’or au décor
Aux fesses des angelots
Au dôme des Invalides
Aux dos des doryphores,
Laisser l’or aux émois
Des honnêtes esclaves
Qui se carrent les carats
D’une aura toute en frime,
Laisser l’or à l’ordure
Motus et monétaire
Qui fait de l’or avec
De la sueur de sang –
extrait de « La vie en dansant » Gallimard
–