Le canal Saint-Martin – ( Susanne Derève – René Chabrière)


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extrait de : Le calendrier de l’avAnt et de l’Après (écritures communes ou en écho)
Nous écoutons cette cantate (RC ) – Que le monde soit ( SD )

retable Chartreuse de la Sainte-Trinité de Champmol ( Dijon )
Je t’ai vue à travers la musique . Tu dansais comme dans toi-même au son de ces voix, habillées de pourpre, et qui s’élevaient jusqu’aux voûtes, donnant un peu de chaleur aux âmes qui ont froid, dans le parcours des leçons de Ténèbres, où l’on mouche les chandelles une à une, jusqu’à ce que l’obscurité pèse son poids de silence . Je t’ai vue à travers la musique , tu étais loin, mais proche pourtant , tu avais tracé mon nom sur le carreau de la vitre, et nous écoutions la même cantate, comme si je te tenais la main et, les yeux fermés, les harmonies se croisant , offraient au jour naissant , la lumière vibrant , avec l’avènement d’un monde, celui que l’on ne peut décrire ni en images ni à l’aide de mots . René C – septembre 2018 variation sur " que le monde soit ( SD ) ------- Que le monde soit… comme je le veux comme je l’ai pris enfanté au matin les yeux ouverts La lumière s’y déployait si blanche avant que la couleur l’inonde, ainsi l’orgue conduit la voix - la liturgie du jour à venir était blonde et me parlait de toi. J’ai effacé un peu de buée à la fenêtre et sur le carreau froid tracé ton nom dessiné un peut-être Le jour venait de naitre limpide et pur, oratorio vibrant une césure avant que le ciel ne bascule vers son avènement dans une orgie d’ors et de cuivres Je ne sais s’il était d’une étoffe dont on peut se vêtir comme l’aube de lin des retables ou la pourpre ardente des rois s’il fallait le poursuivre dans sa marche solaire au-delà du beffroi qui claironnait les heures et l’aurais-je cherché dans le sel ou le sable comme le vent façonne la dune instable quand il glissait vers toi en éclaireur Le monde s’offrait à moi par un matin de fin d’été et je m’en suis saisie les yeux fermés. SD
Earendel – (Susanne Derève) –

Doux logis,mol édredon d’hiver voué au roulis sonore des tempêtes, la pluie battait fort aux fenêtres. Haranguant le vent,je rêvais de varangues livrées aux nuits d’étoiles, aux insolentes moissons du Ciel que me contait Le Monde *. Earendel,ta flamme éteinte poursuivait son chemin tandis que La Grande Ourse, dans les mains du Sculpteur,abandonnait la Roue de son Chariot ailé au feu de galaxies lointaines, à des millions d’années-lumière de nos soleils, dans des ornières célestes où la boue des chemins s’ornait de sombres nébuleuses et de poussières d’astres… Big bang, sarabande cosmique dans le premier milliard d’années de l’Univers: supernovae,trous noirs,comètes,astéroïdes… Deçà mes volets clos cinglait la pluie maligne, elle noyait ciel et terre dans le temps sidéral, et moi,le nez dans les étoiles,je cherchais le sommeil,mol oreiller sur les oreilles, mes fenêtres donnaient sur la mer…
*- très librement inspiré de l’article du Monde du 29/08/2022 :
Télescope James-Webb : son album de l’été ( David Larousserie) –
Rivière – (Susanne Derève) –

Un chant, ce soir, dans le jardin. Le jour, passé à battre la rivière jusqu’à cette nasse d’eau profonde où je me suis baignée, après le casier bleu aux écrevisses, dans le reflet éparpillé des saules. Et d'y saisir dans le cours silencieux du flot le bond étincelant d’une truite … aventureuse. .
Jour de marché – (Susanne Derève) –

Tu flânes sur le parvis dans l'ombre mauve de l’église, lumière d’été,chapelets d’aulx. C’est marché,Samedi,de fleurs, de miel et de fruits rouges, d’odeurs de volailles rôties,de menthe et de pain chaud. Auprès de la fontaine, sous les marquises blanches l’étal aux livres, tu glisses dans ton panier Rose Ausländer,la rose errante qui te dit « Non,je n’oublie pas, les années marquées au fer »*
* rose ausländer – ich spiele noch . je joue encore (le bousquet-la barthe edition.)
Verts – ( Susanne Derève) –

Feuillées, Le vert y est-il vraiment vert -et la joie que je chante est-elle joie ?- J’y devine des gris d’ailes et de nuages, ceinturés de regrets, un bleu d’azur filé, des ocres, des terres brûlées, un miel dentelé de fougères,(de la géographie légère d’un rêve inachevé); j’y vois des pailles sèches tout près de s'embraser, des troncs cendrés, les bractées pâles des tilleuls vibrant d’un reste d’enfance, un mur festonné de mousse où des fleurs minuscules,de frêles saxifrages à peine dentelées de rose pointent leurs corolles tendres vers la lumière et loin,très loin, sous le couvert à l’heure où les verts se répondent le cerne d’or d’un fruit sauvage jailli de l'ombre, -la joie que je chante est joie!-
Solstice d’été -(Susanne Derève)-

La pierre : tiède sous le doigt, comme une chair repose
au sortir du sommeil, promise à la marche de l’aube.
Au solstice d’été, la nuit peine à jeter son voile ; demain,
les jours raccourciront, entameront leur course lente vers le déclin
et leur douceur ne sera plus que la trêve illusoire
qui précède leur mort.
Mais ce soir, la lumière est reine.
Dans le dernier sortilège du jour, le fief limpide de l’azur
résiste encore, gagne en transparence, en pureté,
s’étire, blanchit en longues bandes virginales à l’horizon,
même si l’irruption de la première étoile annonce sa fin prochaine ;
un bleu d’estampe,
que vient griffer, comme le rideau tombe, le vol furtif
des pipistrelles.
Viens boire dans ma main, l’oiseau – (Susanne Derève)

Viens boire dans ma main,l’oiseau. L’aile du vent s’est tue. On annonce aujourd’hui 50° à Rio et autant à Paris, et la voix qui claironne la mort lente des ombres, celle bleue du figuier, et la joue ronde du cormier, et le voile doré des trembles, qui égrène les villes,les fleuves, les pays, La voix dit: « à Rio,les mangroves ont séché; Paris n’entend plus le chant menu des fontaines. À Rome,le marbre s’est brisé, et l’asphalte a fondu à Londres et à Memphis; le Rhône et le Danube ne charrient plus que des boues lisses, et le sel sur les rivages de nos étés trace des routes blanches qui crissent sous le pas comme du verre pilé ». Viens boire dans ma main,Oiseau, je te dirai une autre histoire où tu nichais dans la fraîcheur des granges; les matins s’habillaient de perles de rosée et le froid emportait les migrations d’automne vers de nouveaux étés. C’était un temps ancien où les oiseaux chantaient.
Le sable des étés – (Susanne Derève) –

Plage Sainte-Marguerite (Finistère)
Serre-moi fort entre tes bras,
j’oublierai les marques du temps :
celles qu’il laisse au coin des lèvres,
et puis celles invisibles qu’on cultive en secret.
Est-ce ainsi qu’on devient, un très vieux sablier
qui voit filer entre les doigts son rêve usé,
fragile cerf-volant de papier qui s’abat sur la plage,
et le ciel verse les images du passé.
J’ai trop voulu étreindre,
tenir entre mes mains le sable des étés,
la mer se retirait si loin
– ce n’était qu’une buée légère au fond des yeux,
un scintillement bref, un regret –
Nos jours s’abandonnaient au souffle vaporeux
des grèves , puis nous rendions la plage aux nuits
et la mer insatiable y érodait sans trêve
les dunes arasées.
N’en reste que l’écume, un peu de bois flotté.
De mon aiguille patiente – (Susanne Derève) –

De mon aiguille patiente je reprise les plaies du temps plaies vives plaies rebelles À la fenêtre le blanc troupeau de nuages d’une aube grise vient enserrer le jour J’attends l’instant d’après - celui de la belle ouvrage - où renaît ton sourire un lever d’hirondelles dans l’azur pantelant d’un ciel d’été
Le vent – (Susanne Derève) –

Ce vent soudain levé emportait tout à travers lui : L’accablement des jours passés dans la chaleur caniculaire de Juin, un peu de nous soustrait à la fournaise derrière les volets clos,le linge arraché au séchoir,l’odeur de lessive et de paille,les chants d’oiseaux. Peut-être emportait-il l’été dès avant sa naissance, dont n’avaient plus que faire nos peaux brûlées,les feuillages pantelants de soif,les mottes grises,l’herbe jaunie. Il emportait le silence du monde : Nous savions que le soir venu descendrait la clameur du haut des granges, quand la poussière retomberait avec la pluie, et nous nous trouverions tout à coup frissonnants,étonnés de sentir sous nos pas la terre frémir,s’ébrouer. Nous le saurions alors ce qu’était le cadeau du vent : les parfums retrouvés, cette jouvence dont nous partagions l’ivresse et qui marchait vers la vallée porter la fraîcheur de l’averse
Lotus – (Susanne Derève )-

Un peu de terre, et le chaos des pierres que vient baigner le flot, rives,limons,rizières. Sous le sampan de bois, les lotus à fleur d’eau comme une peau légère et sur leurs tiges frêles, la jupe tendre des corolles, rose, translucide, d’où naît le poème ancestral, celui qui tient le temps dans ses filets, le porte jusqu’à nous en son précieux calice. Aux faces parcheminées, aux visages étoilés de sueur sous la paille, à leurs bouches édentées,je dérobe un sourire. Telle chaleur en deçà de l’ombrelle, la chanson filée de la rame en sourdine. Je ne trahirai ni l’effort ni le silence, ni la parole lente, je tairai les mots. Le bonheur est patience.

Midi aux oiseaux- (Susanne Derève)

Trois nids Un va et vient sonore de pépiements et de bruits d’ailes entre le toit et la remise un oisillon tombé du nid, à peine mort,que déjà les fourmis carnassières sont à l’oeuvre C’est midi au soleil Le coq au cadran veille On voudrait faire silence mais c’est un roi sans trône que le silence tant l’air résonne de trilles et de vols affairés Le rouge-queue,inquiet,caquette comme une poule Le moineau lance inlassablement de la gouttière son cri fluté Il faudrait graver dans le bleu du ciel ces chants d’oiseaux, avant que dans sa course folle un couple d’hirondelles ne les disperse au vent
Elle disait – (Susanne Derève) –

Elle balançait son pas léger sur le pavé des rues et ses cheveux flottaient comme d’anciennes voiles avec leur lien de chanvre abandonné au vent Elle disait: Je m’en vais pour longtemps et son regard brillait du fol émoi qui gouverne les rêves habillait l’horizon de palais de lumière tandis que j’y voyais lever un éternel hiver Elle disait je m’en vais dans son oeil tremblait le reflet des lagunes … et j'y noyais mon infortune
Poppies – (Susanne Derève) –

Ne crois pas que les coeurs s’éteignent Poppies coeurs charbonniers le vent s’en joue et les malmène froisse leurs pétales à regret Ainsi agaçait-il les jupes rouges des filles le vent avec ses ailes bleues de paon feu follet sur la lande palpitant sous la boue et la nuit comme un cierge brûlait à nos genoux Lande brune de bruyères et d’ajoncs croix des calvaires jaunies de mousses la pierre sous nos doigts était douce et les lointains noyés dans les brumes d’été résonnaient de la mer la grande Ourse de sel sur les sables déserts Poppies ne crois pas que les coeurs s’éteignent Là où les champs de blés essaiment leur butin on voit parfois des fleurs aux croisées des chemins un sanglot rouge que noie le vent marin
Ici, on a les oiseaux – (Susanne Derève) –

Ne t’inquiète pas : ici, on a les oiseaux, qui font de charmants tête à queue sur la gouttière, Ils piaillent, piaillent - et pas besoin de leur répondre - recouvrent de leur chant l’incessant va et vient des voitures qui vrombissent au bas du jardin, et sèment leurs miasmes de gazoline au soleil Ne t’inquiète pas pour moi, appelle quand tu peux, les oisillons sont nés, ils tendent un bec avide comme un enfant jamais rassasié de tendresse ; et puis voilà qu’un moinillon prend son premier envol, atterrit tout ébaubi à mes pieds, recouvre doucement ses esprits pour gagner le couvert d’une patte incertaine Le second s'égosille au bord du nid s’avance,puis recule, effrayé,tel nageur vacillant pris de vertige en haut du grand plongeoir Et pas de mère oiselle pour lui venir en aide sous le vent …

Père, Mère – (Susanne Derève)

Père, mère, on vous abrite toute une vie, oiseau fragile nous portant d’un coup d’aile au-delà de nos rêves, ou talisman de pierre nous plombant de regrets Tes rêves, père, comme un livre entr’ouvert dans mon regard d’enfant, de jeunesse guerrière,d’eaux neuves, de poissons glorieux entre tes mains agiles Tes rêves, mère aux pantoufles de vair, façonnés de tendresse et de rires d’étoles de velours et de tables dressées Dans vos sourires flottait la tranquille certitude de l’amour, et je le cueille encore,orchidée sauvage dans les prairies fécondes du destin, je le dessine au-delà de la perte et de l’oubli en palimpseste du souvenir pour récrire l’histoire de vos vies, plus fervente et plus douce,telle qu’en vos rêves juvéniles avant la pluie, avant le naufrage de la mémoire,des paroles, des non-dits, avant que le dernier train qui s’éloigne ne me laisse seule et dépourvue au bord du quai, serrant mon blanc mouchoir d’adieu, Père, Mère aimés, sans bien comprendre encore que je vous ai perdus
Au fil de l’eau – (Susanne Derève )

Au fil de l’eau, un bruit de baiser sur la roche, le rire léger de la marée étale, telle transparence qui arrache aux pierres plates sous la surface de doux reflets de perle la chanson lancinante de la vague va va va et revient avant que les courants ne refluent et t’emportent comme fétu de paille ou ne te laissent échouée sur l’estran de boue grise tremblante sous le vent
Éoliennes sur champs de colza -(Susanne Derève)-

Eoliennes sur champs de colza, jaune apparat pour fleurs d’acier, et de joyeux nuages en gardiens du troupeau céleste. J’imaginais des clairs-obscurs agrestes des ciels champêtres de tendres bosquets de printemps... Qu’une bourrasque les emporte ! Les fleurs distilleront la lumière du vent et les prairies engraisseront la toile de mes rêves pour les changer en or.
Chemins de Rance – (Susanne Derève) –

La joie, envahie par l’herbe du temps comme tronc mangé de lierre, trèfle dans la prairie, à ajuster mon pas dans les pas d’autrefois, joie morcelée, ce chemin mille fois emprunté qui devient dépossession de soi, quête illusoire dans les lieux que portait l’enfance, des sons,des odeurs,des voix. Manque le bruit des voix, des frôlements,des rires,leur soudain éclat comme au fil du diamant. Manque le poids des corps et des étreintes et l’épaisseur des chairs, dense, leur ombre chaude dévoilant le soleil, cernant les peurs,les devenirs. Joies éphémères, tous les chemins de Rance portent mes souvenirs, seul les noie le chatoiement de l’eau dans la lumière,les mille et un fragments de son miroir brisé où la mémoire s’immerge, un instant pacifiée.
Sur la pointe des pieds – (Susanne Derève) –

Rends plus léger ton pas, qui donc irait te suivre ? Cueille, cueille sur la pointe des pieds l’éphémère beauté, la danse fragile du printemps. Prends soin de dérober ton larcin aux regards, bientôt il ne sera plus temps : le chemin des saisons s’égare et voici que rampe à nouveau la bête immonde
Elégie – (Susanne Derève)

Arbre dressé vers le ciel élégie de bourgeons tremblants dans la lumière du soir Chez nous tout arrive tard la promesse de vie est si longue à venir qu'on la croirait perdue à la dérive dans les glacis de l'hiver comme ces longs nuages à la remorque des oiseaux de passage Soubresauts L'hiver chez nous est si long à mourir grêle pluie vent pâles brouillards de givre et de lune froissée Mais un arbre dressé vers le ciel élégie de bourgeons tremblants d'un vert si tendre un arbre annonce le printemps
Paroles – (Susanne Derève)

Une romance aux doigts de fée Paroles celles que tu me soufflais ce matin au réveil sitôt enfouies pour aller les semer à midi dans un jardin de roses en sommeil Soleil Peut-être faut-il l’hiver pour éprouver ce qu’est un arbre sa grande ossature endormie ses plaies ses lézardes ses mains pâles et la tienne au poinçon gravant le bois tendre du tronc
Âme qui vive – (Susanne Derève) –

Âme qui vive ? Non, le bruit du vent. En sentinelle,la lisière des enclos,les fûts dressés des sapinières et de courtes brassées d’épines : chardons, carlines, genévriers, le lit du vent. Celui du causse court en longues foulées sonores semblables à la rumeur d’une mer ancestrale essaime un pépiement d’oiseau, nasillard, monocorde, émonde l’Aubrac de ses brumes. Choisis une pierre de calcaire, blanche et dorée, grave-la de ton nom, je te couronnerai roi d’une solitude où seule vit, souffle et trépigne la grande harpe du vent. Épouse-la , ou fais-toi homme du silence pour la combattre tant elle nous tient dans sa main, étrangers, incongrus, couvrant le chétif grelot de nos voix nous forçant à remettre à plus tard de dire l’étoupe blonde des prairies harassées, l’argile lourde des chemins,l’arpent noir des forêts, et seule âme qui vive, le babil insensé de l’invisible oiseau, son chant nuptial dans la longue liturgie du vent.
Plume – (Susanne Derève) –

Gratte, gratte le papier plume bavarde tandis que je griffe la terre froide pour y enfouir la promesse de vie. Sève, qui cheminera vers le soleil tandis que tes mots candélabres s’abimeront dans l’encre noire du poème.
Appelle-moi encore – (Susanne Derève) –

Contre un tas de bois mort, brise indolente, abri silencieux, voix. Voix qui m’appelle a fait fuir le lézard et la mésange. N’épelle pas mon nom usé. La terre porte un mirage d’eaux neuves, de printemps. Des chevaux captifs renversent le fil acéré des enclos. Les drailles à l’horizon cheminent vers le ciel, et franchi le ciel vers l’échine argentée du vent, le pelage ras des Causses hérissé de lavandes, l’étrangeté des pierres dressées. Déjà, le soir s’enferre au creux des combes, l’ombre violette des futaies se déploie et s’allonge, tout ce que le jour portait de douceur et de fièvre bascule puis se fige dans le premier battement d’aile de la nuit. Appelle-moi encore, et je te rejoindrai.