Passagers de la nuit – (Susanne Dereve)

La nuit dérivait lentement
pas une nuit d’argile ni de mousse
ni de la froide clarté des constellations de Juillet
ni de l’ombre des pins , noire , où balançait le vent
ni du roulement des vagues ou de celui du temps
perdu , éperdu , amassé
– telles ces piécettes d’or miroitant
sous l’eau des fontaines –
Une nuit d’étreintes et de baisers
du lourd parfum des pluies d’été
saturé d’humus et de braise
– sait-on jamais ce que pèse
le poids des mots et des regrets –
La lune s’était levée ,
paupières closes , lèvres scellées ,
et ses lançons d’argent vibraient sur l’eau
épousant le flot incertain du courant ,
la gravant en nous comme un sceau
Passagers de la nuit arpentant les étoiles ,
nous étions deux amants …
Quelques notes de piano au fond de la bassine – ( RC )
C’est un triste matin
dans un Paris déserté
où l’on s’imagine voyager
au-delà des toits de zinc:
un de ces longs jours d’hiver
si pluvieux
qu’on ne peut espérer mieux
que les pensées d’hier
Elles nous jouent cet air
la chanson perpétuelle
de l’eau qui ruisselle:
la chanson de la gouttière
( quelques notes de piano
au fond de la bassine … )
une chanson citadine
à défaut de concerto .
–
RC – mars 2020
–
à partir d’un texte de Susanne Derève: » Ce pourrait être »
Une note
je dirais de piano
Un toit de zinc
l’eau
Ce pourrait être la mer
la mer n’est jamais loin
Ce pourrait être un air
de flûte
un concerto en ut
Ce n’est que la gouttière
à l’angle du perron
par un matin d’hiver
pluvieux
pluvieux
pluvieux
qui chante la triste chanson
des adieux
Côté ombre – ( échos de textes SD – RC )
( ces textes sont visibles dans la partie » ping-pong )
photo Jerry Uelsman
—
COTE OMBRE
J’ai fait les cent pas sur le parvis
côté ombre
À même le pavé
la gitane a suivi les lignes de ma main
mais elles étaient brouillées
De l’autre côté des pierres
Notre-Dame de la Mer
écrasée de soleil, déserte,
s’endormait
Dans le silence
d’un plein après-midi d’été
Non, tu ne viendras plus
mais j’attendrai le soir
J’attendrai les chanteurs,
le timbre des guitares
le son rauque et cassé de ces mélopées lentes
qui disent le départ
et le prix de l’errance
– la gitane dénoue les pans d’un fichu vert
un enfant fait la manche –
Demain j’irai revoir la mer
la mer et les étangs
la robe claire des chevaux
et l’éclat de corail des flamants
comme des perles ébouriffées
qu’aurait éparpillées le vent
sur l’eau
J’irai dire un adieu à Arles la romaine
Fouler aux pieds les Alyscamps
Comme Toulet au bord des tombes
Eprouver le poids du passé
Avant que le jour ne s’effondre
Et oublier
SD
C’est la faute des pierres .
Elles ont attendu si longtemps,
alignées au bord des allées,
que même les inscriptions,
se sont effacées
assistant, immobiles, à la fusion des jours:
peut-être n’avaient-elles
plus rien à dire et ont suivi
le chemin des montagnes altières,
un souvenir des Alpes lointaines .
Ses rochers se sont écartés
pour laisser passer le mistral .
Le vent est toujours là, où tu l’a laissé,
les flamants roses sont comme des fleurs
posées sur les étangs,
mais on ne sait pas si ce sont les mêmes,
ou d’autres générations venues
sur les étangs de Camargue .
Tu trouves toujours aux Saintes-Maries,
une gitane prête à te dire ton destin,
dans les lignes de la main .
Mais tu ne sais pas la reconnaître.
Et d’ailleurs, si tu lui confiais ta paume ,
elle trouverait ces lignes effacées.
Et ce seraient comme ces pierres,
qui ont attendu si longtemps,
qu’elles ont fini par s’éroder,
se dissoudre :
dans le liquide du temps,
et le poids du passé .
–
RC
Étaient-ce des perles ou des fleurs
déposées par le vent
Je restais les observer des heures
Ils quittaient l’eau parfois
abandonnant leur fragile élégance
pour prendre leur envol
Et lorsqu’ils déployaient leurs ailes
ce n’était pas tant la fulgurance
du corail que ces rémiges noires
qui signifiaient tout à coup leur puissance
Arles déchue Arles des pierres dissoutes
de langueur et d’oubli
les arènes sont vides
la roche friable sous mes doigts
– j’en garde
un peu de la poussière au creux des ongles-
sur les gradins il n’y aura pas d’ombre
Mais au-delà des murs, échappée du regard,
j’aperçois la douce respiration de la ville
le soleil fléchit contre les toits de tuiles
Le temps devient cet or liquide
sans passé ni présent
le temps a la lourdeur des pierres
immobiles
SD Février 2018
J’ai fait les cent pas sur le parvis
côté ombre,
et tu n’es pas venue.
J’ai pourtant attendu longtemps.
Peut-être je n’aurais pas dû
acheter des fleurs ce matin.
Elles courbent déjà la tête,
et désespèrent de te voir,
à mesure
que le soleil
grignote un peu plus de la place .
Mais je suis resté,
assis sur un banc, désoeuvré,
et du square me parviennent les cris des enfants.
Je me suis occupé à compter les pavés.
Il y en avait beaucoup sur la place
autour des maigres platanes
que l’on y avait plantés.
Beaucoup, mais pas tant,
que ces minutes qui n’en finissent pas.
Elles s’étirent en un long soupir.
L’après-midi s’est prolongé,
c’était l’été et la lumière s’est attardée
jusqu’à la fermeture des boutiques.
Non, tu ne viendras plus.
Je le sais maintenant,
et les fleurs sont fanées.
Mais je reviendrai demain.
Il y aura des musiciens
qui accompagneront mes pensées.
Celles qui disent les exils volontaires,
l’incertitude de l’errance ,
et les lueurs de l’espoir.
Demain, quand tu seras là
je te tiendrai par le bras,
et nous irons revoir la mer
La robe claire des chevaux ,
et ton regard aura l’éclat
de la nuit , où le jour commence à poindre…
Nous éviterons les paroles inutiles,
que le vent aurait éparpillées ;
tu te contenteras d’être là.
Et ce sera la joie,
quand tu reviendras
.. mettre un terme à l’incertitude…
RC
Tu étais là, sur le parvis
côté ombre
et je t’ai reconnu même avant de te voir
Tu attendais sur le vieux banc de pierre
avec cet air d’éternel enfant
– celui sans doute qui m’avait fait revenir
sur mes pas une dernière fois
en te cherchant-
– Notre Dame de la mer –
Qu’attendais-tu, indifférent
a ce qui t’entourait
au timbre des guitares
aux gamins qui mendiaient à même le pavé
Il m’a semblé qu’une gitane en robe noire
lisait les lignes de ta main
T’a-t-elle parlé de moi ?
Je sais que j’ai couru vers toi que j’ai crié
que tu m’as serrée dans tes bras
et je suis si légère, t’en souviens-tu,
que tu m’as fait tourner, tourner sans fin
jusqu’au vertige
Si haut qu’au-delà du fronton de l’église
j’ai vu le soleil basculer ricocher
dans tes yeux
La place en est soudain devenue trop étroite …
Il me fallait le ciel entier côté lumière,
Il me fallait la mer au-delà de ces digues
qui ferment l’horizon sous le pas des chevaux,
au-delà des étangs, au-delà des roseaux
lequel entrainait l’autre, le sais-tu ?
Il me semble que tu m’as portée jusqu’à la mer
en chuchotant à mon oreille des mots
que le vent étouffait
Ou bien était-ce le vent lui-même qui murmurait
Qu’importe je te retrouvais
SD
Est-ce un homme qui pleure ? – ( RC )
en « réponse » au texte précédent, de Susanne Derève
Est-ce un témoignage d’amour,
cette plume qui est
le marque page
de notre livre ?
Est-ce que nos vies
sont liées
par ce serment écrit ,
avec cette plume, justement ?
Mais les pages se sont tournées,
avec les années :
il n’y a plus
que les miettes du passé .
Si la tendresse se conjugue maintenant
à l’imparfait,
faut-il regretter d’avoir dit,
» je t’aimais ? «
J’ai connu d’autres chapitres ;
l’oiseau de l’amour
est revenu reprendre sa plume, et s’est envolé
mais je n’ai pas de regrets .
–
RC
Susanne Derève – l’alphabet du regard
peinture: Giovanni Segantini
Il me semble voir ta main
Attirer doucement l’objet dans la lumière
Le tenir à portée
Dans le reflet tamisé de la lampe
Faire pivoter l’objet lentement
Afin que la lumière l’épouse
Et le révèle
Dans l’alphabet du regard
Prendre une à une les images
Et les toucher comme on ferait
Du front des yeux et de la bouche
D’un visage aimé
Et puis les reposer dans le cadre
A leur place
Et reculer de quelques pas
Pour juger de l’effet produit
Sur celui qui n’a pas les clés
Et qui découvre médusé
Comme on tire un rideau de théâtre
Le don que tu lui fais
De la beauté .
Susanne Dereve – Offrande
nécropole rupestre – Abbaye de St Roman – Gard
De charogne ou de cendre le jour où Elle viendra
choisissez un bon bois de chêne, lisse au toucher, robuste et clair,
gardez-moi des vaines offrandes,
ces urnes que les us épandent en sombres paraboles abandonnées au vent,
aux rumeurs infécondes et sourdes du levant
et qu’un bras malhabile se devrait de répandre au-delà du silence
comme on boit le calice âcre de la souffrance
De charogne ou de cendre le jour où Elle viendra
choisissez un carré de terre,
de ce terreau qu’égrainera la pelle d’un ton clair
il faut du temps il faut des fleurs pour oublier
il faut ce marbre uni où poser des œillets
l’herme aux lueurs du soir est plus doux au malheur que ces brumes d’errance le vent a-t-il jamais séché les larmes de douleur
De cendre ou de poussière lorsque le temps viendra
choisissez un bon bois de chêne lisse au toucher, robuste et clair
et dans ce vieux pays de Rance enterrez-moi près de mon père.
–
suivi de ma « réponse »
Quel que soit le carré de terre,
que des pelles viendront blesser
la pierre ou le marbre,
l’ombre des cyprès,
les noeuds de leurs racines,
auprès de toi,
Quel que soit le vent,
qui répandra les cendres,
comme autant de paroles vaines,
et aussi les fleurs
qui meurent, de même,
dans leur vase,
Il y aura un temps pour oublier,
lorsque les mousses
auront reconquis la pierre gravée,
les pluies effacé les lettres :
– même la douleur
ne peut prétendre à l’éternité .
Que l’on enterre une princesse
avec ses bijoux,
et toutes ses parures,
ne la fait pas voyager plus vite
sur le bateau
de l’au-delà…
Ce qu’il en reste
après quelques siècles :
> quelques offrandes,
et des os blanchis
ne nous rendent pas sa parole
et le ton de sa voix.
A se dissoudre complètement
dans l’infini,
c’est encore modestie :
– On pourra dire « elle a été » -,
mais le temps du souvenir,
se porte seulement dans le coeur des vivants .
–
RC
: