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Eugenio de Andrade – J’entends courir la nuit


J’entends courir la nuit par les sillons
Du visage – on dirait qu’elle m’appelle,
Que soudain elle me caresse,
Moi, qui ne sais même pas encore
Comment assembler les syllabes du silence
Et sur elles m’endormir.
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.
.
« Il n’y a pas d’autre manière d’approcher
de ta bouche : tant de soleils et de mers
brûlent pour que tu ne sois pas de neige :
corps

ancré dans l’été : les oiseaux de mer
couronnent ton visage
de leur vol : musique inachevée
que les doigts délivrent :

lumière répandue sur le dos et les hanches,
encore plus douce au creux des reins :
pour te porter à ma bouche, tant de mers
ont brûlé, tant de navires. »

 

Eugénio de Andrade, Blanc sur blanc, Gallimard, Collection Poésie


Justo Jorge Padrôn – une pluie aux syllabes bleues


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la pluie tombe en syllabes bleues.
Herbe et feuillages se réveillent,
splendeur qui demeure dressée,
vivante dans la fleur, l’arbre, les parfums silencieux
qui glissent dans les lits du soir comme des fleuves.

la pluie polit de son bleu les pierres noirâtres
et les écale avec douceur depuis leurs centres durs.
Elle palpe leur chair captive, la délivre, la dénude
en corolles à la pulpe rouge.

Sève que le soleil invoque, soleil qui moissonne la pluie.
Feu cruel asséchant le vert en sa sveltesse,
prairie qui s’asphyxie en sillons désertiques,
pétale rouge qui s’achève en roche,
roche qui se replie, qui s’emprisonne
et se tait, sourde et noire, jusqu’au jour du miracle :
où toute audace, arrive le printemps
qui nous apporte une pluie de syllabes bleues.


Restes d’une langue électrique ( RC )


image extraite d’un film « noir » américain

 

 

 


Au sommet  d’immeubles,
Les lettres  s’échappent, s’agitent.
Certaines se précipitent, se mêlent
finissent par retrouver  leur ordre.
En néons verts se disputant aux  rouges.

Ce sont les façades voisines qui assistent à leur  course.
Balbutiant leur clignotement.
Deux lettres, presque au milieu  du mot,
lassées , vibrent  d’une lumière  déteinte,
maladive,     à leur base.

Personne ne songe  à les  remplacer.
Leur message  n’est sans doute pas indispensable,
c’est sans  doute un reste de langue électrique,
qui peut ne s’exprimer  
que par onomatopées :

il peut s’échapper des syllabes,
cela n’a  que peu d’importance,
Une partie du paysage urbain,
s’activant dès que le soir
commence à épaissir le ciel.

De l’endroit où je l’observe,
Ce que je vois, est à l’envers.
J’ai le vague  souvenir  d’un film,  de gens sur les toits,
poursuivis par d’autres, et la lumière émise,
les cachant plus qu’elle  ne les  révèle .

J’imagine les passants
gardant autour de leur corps
une auréole de néon,
alternativement  verte  et rouge,  
qu’ils  emporteraient  avec eux.

Mais l’arrivée du bus me ramène sur terre.
Je monte dedans.
Avec l’avenue empruntée,
je devrais pouvoir lire l’enseigne  à l’endroit,
quand il aura fait le tour  du rond-point.

Mais un rideau d’arbres
aux feuilles encore denses s’interpose.
Décidément cela ne me semble pas destiné,
pas plus qu’à mes voisins,
le regard  absent, pressés de rentrer chez eux,          sans doute.

 

RC – oct 2015

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