voir l'art autrement – en relation avec les textes

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Charles Reznikoff – Te deum


gravure M Gromaire -orage sur la mer – 1957

Ce ne sont des victoires
que je chante,
je n’en ai pas,
mais le soleil qui brille pour tous,
la brise,
les largesses du printemps.
Non la victoire,
mais le travail quotidien accompli
du mieux que je pouvais :
non un siège sur l’estrade,
mais à la table commune.


Guy Goffette – les amarres du jour


photo David Briard phare de Kerroc’h

Couteau et peigne sur la table

l’un près de l’autre avec

le silence sur eux

plus profond que la mer

Entre ces phares l’histoire d’une femme

Qui trancha seule

Les amarres du jour

extrait de « éloge pour une cuisine de province« 


Boris Vian – Triste Azor


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poor dog !

Un chien vivait fort chichement
Dans une niche en bois de chêne.
Retenu sans cesse à la chaîne,
Il connaissait plus d’un tourment.

Mais le pire désagrément,
C’était la faim. Nourri de faines
Dont les malfaisantes akènes
Lui laissaient le nez tout saignant,

Il eût aimé jouir d’une table
Satisfaisante et confortable,
Lécher des assiettes, le soir…

Mais, pauvre, il mourut de la peste,
Et l’on grava sur le sol noir :
— Il est mort sans laper des restes.

extrait du recueil de B Vian ‘ sans sonnets »


Joseph Brodsky – un fantôme avait vécu ici


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J’ai jeté mes bras autour de ces épaules, regardant
Ce qui a émergé derrière ce dos,
Et vis une chaise poussée légèrement en avant,
Se fondant maintenant avec le mur illumimé.
La lampe semblait trop éblouissante pour montrer
à leur avantage le mobilier défectueux ,
Et c’est pourquoi un canapé en cuir marron
Brillait d’une sorte de jaune dans un coin.
La table avait l’air nue, le parquet brillant,
Le poêle assez sombre, et dans un cadre poussiéreux
Un paysage n’a pas bougé. Seul le buffet
M’a semblé avoir quelque animation.
Mais une mite tourna autour de la pièce,
m’arrêtant du regard
Et si, à un moment donné, un fantôme avait vécu ici,
Il était parti, abandonnant cette maison.

  • titre original:  mes bras autour de ces épaules

( tentative de traduction,: RC )

 

I threw my arms about those shoulders, glancing
at what emerged behind that back,
and saw a chair pushed slightly forward,
merging now with the lighted wall.
The lamp glared too bright to show
the shabby furniture to some advantage,
and that is why sofa of brown leather
shone a sort of yellow in a corner.
The table looked bare, the parquet glossy,
the stove quite dark, and in a dusty frame
a landscape did not stir. Only the sideboard
seemed to me to have some animation.
But a moth flitted round the room,
causing my arrested glance to shift;
and if at any time a ghost had lived here,
he now was gone, abandoning this house.

Joseph Brodsky


Bassam Hajjar – maisons pas encore achevées


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Maisons improvisées dans l’étendue vide
pas encore achevées
et vides encore
d’ habitants.

Mais elles sont, depuis le commencement, habitées par le personnage
des souvenirs.

(  Comme s’il n’y avait pas de mur et qu’avec cela, malgré cela,
on y ouvrait une porte.        Comme s’il n’y avait pas de père, de
mère, d’enfants, et qu’avec cela, malgré cela, il y avait des
lits, des vases, des livres et une table.            Comme s’il n’y avait pas
de salle de séjour et qu’avec cela, malgré cela, il y avait des
canapés, une table basse, une lampe, une télévision, des tiroirs
pour le papier à lettres, les journaux intimes,

les numéros de téléphone, les adresses postales, la note de l’épicier, la facture d’électricité, la boîte d’aspirine, les stylos à encre, les crayons à papier, le livret de famille, le vieux passeport, la boîte de dragées et la vieille montre, la boucle d’oreille qui reste en
attendant de retrouver l’autre, le carnet, beaucoup de clés,
dispersées ou reliées par un anneau et personne ne se souvient
maintenant si elles ouvraient des portes et où sont ces
portes…)

 

extrait de  «  Tu me survivras – « 


Yvonne Green – La chambre de mon père


peinture: Edgard Degas  -  Portrait de Duranty

peinture:           Edgar Degas –       Portrait de Duranty

La chambre de mon père

Mon père avait une chambre mansardée où il  écrivait ses livres .
Quand il n’ était pas là, j’avais l’habitude d’y aller et de regarder.
Il y avait des bouts de papier arrachés , de bloc-notes en spirale;
des catalogues de maisons d’enchères, du texte entouré de cercles, aux pages écornées,
le prix de réserve marqué dans un code; une chaise pliante dure,
une table aux tréteaux éclatés        et toujours son odeur .

À côté de sa chambre , il y avait une chambre pleine de livres et des bibliothèques;
des livres à l’intérieur,d’autres, empilés,et sur le sol (mon dictionnaire
un petit Larousse recouvert de papier brun de mon père
provenant du camp de prisonniers ).

Je ne me suis  jamais assise dans la bibliothèque, quand mon père était là
J’ avais peur de lui et de toute façon nous n’y étions pas admis
quand il se concentrait.
Il détestait faire ses livres mais je crois qu’il aimait être seul.

J’y allais après qu’il soit parti
comme une façon d’être auprès de lui.
Puis je suis allée à la bibliothèque
où tant d’histoires abandonnées sont ensemble sous la poussière
jusqu’à ce que je les ouvre, poudrant le bout de mes doigts.
—-

trad  RC

texte  original ci-dessous

My Father’s Room

My father had an attic room where he did his books
when he wasn’t there I used to go and look.
There were scraps of paper torn off spiral pads;
auction house catalogues, text circled, pages dog eared,
reserve prices marked in code; a hard folding chair;
a splintered trestle table and always the smell of him.

Next to his room was a room full of books and bookcases;
books in them, on them and on the floor (my dictionary
a tiny Larousse covered in brown paper was my father’s
from prison camp).

I never sat in the book room when my father was there
I was afraid of him and anyway we weren’t allowed
when he was concentrating. He hated doing his books
but I think he liked being alone. I’d visit after he’d gone
as a way to be near him. Then I went to the book room
where so many abandoned stories gathered dust
until I opened them, powdering the tips of my fingers.

(from The Assay Smith/Doorstop 2010)


Pascal Pratz – Feuille d’été


d'après une photo de Jeff Wall

d’après une photo de Jeff Wall

Le papier s’est échappé
par la fenêtre
à cause d’un vent mauvais
ennemi de l’écrit
un vent taquin
adepte de Kipling
venu le cueillir sur le coin de ma table
il virevolte et tombe
avec la grâce d’une feuille d’automne
ce n’est pas l’automne
jamais ne le reverrai
déjà parti plus loin
que le bout de la rue
dessus j’avais inscrit
pattes de mouches
toutes les idées d’une semaine entière
des débuts de poèmes
des idées de romans
des premières phrases
important, les premières phrases
n’ai plus qu’à m’y remettre
fouiller ma cavité
tout retrouver
tout reconstituer
tout réinventer
tout recommencer
le vent fripon
m’a tout déshabillé


Neige sur le dos de pierres – (RC )



Le dos de pierres
Courbé dessous
Le tas de cendres,
Et puis l’été,
Et puis la colline,

Vautrée sous le passage de l’orage.
Demeurent, parmi les restes de murs,
De la petite ruine,
Les éclats d’ardoise,
Que le feu a révélés…

Les mauvaises herbes, en tas,
Agressives,
Avaient pris possession des lieux,
Et les orties, étaient chez elles.
Sur le dos de pierres,  de la voûte écroulée,

–          C’était il y a longtemps,
.        Et déjà le feu,
.             La rumeur de la guerre,
Les maisons abandonnées,
A l’étrange été de neige sale,

Une neige de cendre,
Qui recouvrit
Aussi,
La table bleue,
>         Elle n’avait pas sa place,

Sur la charrette…

 

RC –  18 août 2013


Au silence des vases ( RC )


aquarelle        :  Giorgio Morandi

-

Silence des vases :
une suite  de silhouettes
Se découpent sur les strates
Des ombres enlacées.

Tiendrait encore dans la main,
La matité d’une  terre-cuite
Portant encore la trace du doigt
Modelant la glaise des anses.

Accord de trompette  avec un basson,
Rayon de soleil sur le manteau hivernal
Se pose le reflet  du verre
Sur l’assemblée des pots

Alignés sur la table
Silhouettes  confondues
Bravant le fond étalé de beige
Un éclat bleu  de Morandi.

RC –  mars 2013

Nature morte (Giorgio Morandi 1962)

et un petit hommage à Arthemisia….,        –  ainsi que     –  ainsi que ( encore )


Thierry Metz – Je suis tombé


peinture           Christian Rohlf

 

 

 

 

Je suis tombé
dans mes pas
jusqu’à les suivre.
Jusqu’à ne plus dormir.
Les mères étaient trop loin
et je n’avais qu’une torche
à peine pour me conduire
assez  pour  passer  sous  chaque mot.
Et seul, me consumer.
Puis j’ai fait un signe
d’au-revoir.
Il n’y en a eu qu’un pour me dire :
Oui,
tu peux sortir de la maison
nous n’avons plus de visage.

Mais  moi  je  suis  sorti  avec  mon visage. Je continue mon métier dans les feuilles. Sur les talus. Dans les fossés. Près des eaux. Je nettoie les bords.

Je ne fais pas une enquête. J’essaye seulement de retrouver l’assiette et le verre, le soir, sur la table.

Je n’ai rien à signaler que ce que je fais, parmi l’herbe et la ronce.

Quant à mon écriture : c’est une roue qui passe, une brouette de terre. Le reste est dans ma main. Avec la sueur.

Ici il y a plus de 36 chemins. Qui vont nulle part.

Et j’y vais à coup de faux et de trinque.

Le livre est livré au jour, à lui-même. Moi, dehors : j’éclaircis, je cingle l’ortie comme on frappe sur les eaux ; quelque chose alors est rendu au possible, au probable : une aile, une branche, un sourire. Mais comment ne pas faillir hors de ces rares instants, si simples et pourtant toujours remués ? Que vient faire ce que je suis là-dedans ?

Je ne sais pas mais je m’accorde un répit. En attendant la mêlée. Sur une souche. J’ai rassemblé mes gestes comme si c’étaient des chiens, des bâtards. Mais je suis prudent avec eux car c’est partout la faim.

Puis vient le soir, la petite heure. Le carnet est vite dépecé. Le verre de vin est bon. Le feu. Les mille et un petits gestes qui font qu’on ne fait rien.

Qu’on ne fait rien. Que le souffle ou la main n’est admis.

Enfin c’est le sommeil, le drap déplié, le château.

Tout sert d’appui autour de ce qui est à rêver, dans l’oubli. Tout sert dans ce convoi, tiré par des oiseaux. C’est le jour, c’est le ciel, c’est le bonjour d’un passant qui a servi d’appât.

Mais je ne dors pas,
je cherche le soleil.

Je me suis pris les mains dans ce que je disais.

Thierry Metz, Terre, Opales/Pleine page, 1997 ; rééd. 2000

 


Stefaan Van Den Bremt – À table avec une chaise


peinture baroque espagnole: Juan de Juanes  – la Cène

 Tafelen met een stoel

À table avec une chaise

                 en souvenir de C.K.

I
Écarte ce calendrier plein de sagesse éphémère.
Ce jour-là refuse de passer.

Ce jour-là, quelqu’un rapprocha une chaise.
Un lundi quelconque, il y eut cet hôte insolite.

Il ne pouvait rester, mais se mit à table,
garnit son assiette d’ombre, remplit son verre

de lumière, but d’un trait et s’en alla:
il ne pouvait rester là où il était.

Depuis ce jour, ce convive te hante,
venu à tout hasard jusqu’au lendemain.

Encore à présent tes nerfs sont à vif
et tu t’attables avec la chaise qu’il occupa.

II
Il ne pouvait rester et ne disait mot;
ménageant l’ombre, il but la lumière.

Celle du jour qui en sait plus long:
celle du temps qui refuse de passer.

Hôte, il lui est loisible de rester
à demeure dans ta peau.

Il te soustrait un jour et une nuit,
ne reste qu’une éternité.

Depuis, vivant à tes crochets,
il s’attarde à table, vissé à sa chaise.

III
Un lundi quelconque, quelqu’un rapprocha une chaise.
Un mardi perdu, il se leva.

Un Mercredi des Cendres, la chaise seule reste
comme si de rien n’était, étrangère

à celui qui tient table ouverte, sourde
à celui qui la questionne.

Elle reste où elle est et ne dit rien sinon
ces jours, leur démarche de crabe.

IV
Qui l’aidera à porter ce lundi
et l’hôte qui a pris place?

Lui qui s’est installé, prêt à partir
après avoir repris haleine.

Elle ne parle que la langue des choses,
avec la raideur de leurs gestes.

V
Mais lui, il restera attablé à contre-jour,
à longueur de journées.

Parfois il est assis, comme si d’un bond
il voulait s’en aller.

VI
Remonte le courant des années,
rétablis ce temps de sagesse éphémère.

Stefaan Van Den Bremt –



Mahatma Gandhi- enfer et paradis


 

 

 

Un jour un saint’ homme eut une conversation avec le bon Dieu et Lui posa une question :
« Seigneur j’aimerais bien savoir comment sont le Paradis et l’Enfer »
Dieu conduit le saint’ homme vers deux portes.
Il en ouvrit une et lui permit de regarder à l’intérieur.
Il y avait une très grande table ronde.
Au milieu de la table il y avait un très grand récipient contenant
de la nourriture au parfum délicieux.
Le saint’ homme en eut l’eau à la bouche
Les personnes assises autour de la table étaient maigres, avaient une mine livide et malade.
Toutes avaient un air affamé.
Ils avaient une cuillère avec un manche très très long, attachée à leur bras.
Tous pouvaient atteindre l’assiette de nourriture et en recueillir un peu, mais
comme le manche de la cuillère était plus long que leur bras,
ils ne pouvaient approcher la nourriture de leur bouche.
Le saint’ homme trembla à la vue de leur misère et de leur souffrance.Dieu lui dit: « tu viens de voir l’Enfer »
Dieu et l’homme se dirigèrent vers l’autre porte.

Dieu l’ouvrit

La scène que l’homme vit était identique à la précédente.
Il y avait la grande table ronde, le récipient qui lui faisait venir l’eau à la bouche.
Les personnes autour de la table avaient eux aussi des cuillères avec de longs manches.
Cette fois, par contre, ils étaient bien nourris, heureux et papotaient entre eux en souriant.
Le saint’homme dit à Dieu : « Je ne comprends pas »
« C’est simple » répondit Dieu. Ceux-ci ont appris que le manche trop long de la cuillère ne leur permettait pas de se nourrir eux-mêmes mais permettait de nourrir leur voisin. Ils ont ainsi appris à se nourrir les uns les autres !
Ceux de l’autre table, au contraire, ne pensaient qu’à eux-mêmes…. L’Enfer et le Paradis sont égaux dans la structure… la différence nous la portons en nous !!!!
Je me permets d’ajouter :

« Sur la terre il y a suffisamment de choses pour satisfaire les besoins de tous mais pas la goinfrerie de quelques-uns »
Nos pensées, pour le peu qu’elles puissent être bonnes, sont des perles fausses tant qu’elles ne sont pas traduites en actions.
Il en va de même pour les changements que tu voudrais voir dans le monde ».
Mahatma Gandhi.


Salah Al Hamdani – Seul le vieux tapis fleurissait le sol


image: montage perso

 

 

Seul le vieux tapis fleurissait le sol

La maison avait changé d’adresse
ma photo avait changé de place
la table avait été pliée derrière la porte
la chaise de mon père, aussi,
seul le vieux tapis fleurissait le sol

 

Je t’ai trouvée enfin
dans un jardin nu
avec ton grand châle noir
l’esprit en dérive
enfilée dans tes prières
l’âge cousu sur le visage

J’ai cru serrer un palmier agonisant
Puis dans mes bras,
j’ai reconnu ma mère.

 

 

 

Salah Al Hamdani – ( Irak)

2004 (« Poèmes de Bagdad »,)


Pablo Neruda – Ode à la table


Je  retourne  sur  le site   avec  les  traductions  de Pierre Clavilier,  au sujet de Neruda…

   peinture:  Audrey Flack

Sur les quatre pattes de la table
j’éparpille mes poèmes
étale le pain, le vin, le rôti
(navire noir des rêves)
j’y pose ciseaux, tasses, clous
oeillets, marteaux.table fidèle
porte-rêve, porte-vie
titan quadrupède.

C’est la table du riche
imposante et caracolante
telle un paquebot fabuleux
chargé d’abondance.
C’est la table du gourmet
belle et bien mise
dans son décor de langoustes gothiques

C’est la table solitaire
dans la salle à manger chez notre tante
quand s’ouvrent les rideaux
et pénètre un rayon de l’été
fin comme une épée
pour saluer sur la table sombre
la paix transparente des cerises.

C’est aussi la table lointaine, la table pauvre
où l’on prépare la couronne
pour un mineur mort,
et de cette table monte l’odeur froide
de la dernière douleur.

Tout près, il y a la petite table
dans cette alcôve sombre
où brûle l’amour et ses incendies
et sur la table
un gant de femme encore tremblant
comme l’écorce du feu.

Le monde est une table
entourée de miel et de fumée
couverte de pommes et de sang.
La table est dressée
elle attend les banquets ou la mort
et nous savons quand
elle nous appellera:
invités à la guerre ou au repas
il nous faut décider
savoir comment s’habiller
pour s’asseoir à la grande table
si nous mettrons les pantalons de la haine
ou la chemise d’amour fraîchement lavée
mais il faut faire vite
on nous appelle déjà:
les enfants, à table !

® Pierre Clavilier

10:34 Publié dans Odes