variations en bleu et vert ( chez Whistler ) – ( RC )

W A Whistler – variations en bleu et de vert 1868
C’est peut-être une fin d’été. devant la mer
Quatre femmes sont les actrices
d’une peinture de Whistler: presque une esquisse
peinte à grands traits rapides.
Sous un ciel paisible et lisse,
une brise s’élève à peine :
c’est une symphonie de bleus et de verts
devant une eau claire et limpide,
où rien ne bouge…
Le personnage de gauche marche lentement.
On le dirait sorti d’une fresque romaine
ses voiles jouent avec le vent.
A côté de cette femme
se tiennent deux dames
habillées de bleu et vert, également
avec quelques notes de rouge.
L’une d’elles tient un éventail.
Le peintre n’a précisé aucun détail…
Elles entourent le personnage principal
à la position centrale,
le regard perdu dans le lointain
assise, avec un geste de la main.
On ignore ce qui les réunit ici,
s’il y a une maîtresse et des servantes ;
elles se fondent dans le calme et l’harmonie.
On s’attendrait à une fête galante,
sans fioriture inutile
au retour d’Ulysse dans sa patrie,
un vaisseau que l’on devinerait entre deux îles:
—- on ne saura rien de la suite
du tableau, le regard se perd au-delà de ses limites…
Tableau d’anatomie comparée – ( RC )

collage Frederick Sommer
Férus d’anatomie,
complétez votre tableau,
en disposant comme ici
des éléments fleuris
tout à votre avantage :
on découpera le cerveau
pour faire plus joli,
quelques glandes accessoires
à l’aspect mat.
Epinglées avec habileté
dans votre collage,
pouvant s’exposer
sur un fond noir :
couleurs délicates
avec dominante nacrée :
d’autres paraîtront bien plus belles
que les morceaux
encore tout chauds
et les autres organes
dont on ne détectera pas la panne.
Ces éléments non identifiés –
sont maintenant à l’état de choses
découpées par le scalpel…
Certains gardent leur aspect rose
entrant dans une composition
des plus élaborée
résultat de la dissection,
à conserver dans le formol
et une bonne dose d’alcool
( ingrédients de base,
comme il est d’usage,
dans le cabinet de curiosités)…
la saveur des fruits – ( RC )

De quel endroit viens-tu,
toi qui me regardes à travers le tableau,
à côté d’une coupe pleine de fruits ?
La peinture n’est pas encore sèche.
Elle joue sur les nuances et la lumière,
presque à ton insu, se pose sur leur galbe.
Bientôt tu pourras m’en décrire la saveur…
Le ruban noir – ( RC )

J’ai vu cette main en gros plan,
posée sur un membre,
ou un corps souple .
Peut-être était-ce celui d’un autre
plutôt que celui de la personne
à qui appartient la main.
Rien ne l’indique .
Ou peut-être une petite différence
de pigmentation de la peau :
Les doigts sont face à nous .
La main repose, légère,
abandonnée.
Lassitude, tendresse ?
Elle s’enfonce apparemment
dans la peau, souple, accueillante.
Mais les ombres sont pourtant assez marquées :
elles tirent sur le mauve.
Ce qui surprend ,
c’est aussi l’ombre portée du bras
sur l’arrière plan,
placé précisément sur l’axe diagonal du tableau ;
comme si celui-ci était plaqué
sur la surface d’un mur,
donc n’ayant pas l’espace nécessaire
pour qu’il puisse se poser
sans faire une contorsion.
C’est une main féminine,
et le torse, horizontal,
si ç’en est un,
montre un petit grain de beauté
au niveau du pouce :
cela fait un ensemble empreint de douceur,
mais l’arrangement de l’ensemble
ne semble pas tout à fait naturel :
la position rappelle un peu
celle de la main de l’Olympia, de Manet.
Le titre attire notre attention
sur un ruban noir étroit,
noué au niveau du poignet.
C’est un détail,
qui réhausse le côté un peu blafard de la chair;
et on se demande s’il y a un sens particulier,
donné par sa présence:
s’il était placé plus haut,
ou ailleurs,
plus épais, d’une teinte différente.
Si le nœud n’était pas si apparent…,
et s’il n’y avait rien du tout,
seulement son empreinte ?
Comme un ruban du même type
est aussi présent dans l’Olympia,
mais autour du cou, et noir également
c’est une similitude,
comme l’oblique du bras,
qui n’est peut-être pas fortuite ,
et on s’attendrait sur d’autres toiles,
à des rapprochements similaires…
–
Mona(-s) désacralisée (s) – ( RC )

montage RC
J’en connais certaines
qui dépassent du tableau
et survivent aux vernis
comme si des couches de fards
parvenaient à gommer les rides
et les années.
Seraient-elles allongées
telles Olympias
sur le divan du psychiatre,
reproduites à l’infini
en carte postale,
parées de moustaches,
« les Mona » de Vinci
ont maintenant de la concurrence
avec les Marylin de Warhol,
qui finiront à leur tour
bien esseulées
dans un musée,
parées de robes de verre
à l’épreuve des balles.
– On ne sait jamais :
qu’on veuille s’en emparer
les cacher sous un lit –
( pour satisfaire son appétit
– …d’images)
Détourner la douleur vers un peu de sourire – (RC )

Tant d’années à se dire
à se lire , à déchirer les ténèbres
de tant d’heures,
pour que la lumière vienne,
et rebondisse sur les fleurs
dont la tête penche ;
Elles n’égarent pas leurs couleurs,
car elles restent vivantes
dans le tableau.
Je suis derrière,
je ne sais si tu me reconnaîtras,
car j’ai un peu changé,
et ma voix est chargée
de mes pas égarés
dont l’immobilité rejoint
celle la pierre
Le silence serait-il
de la même nuance qu’hier ?.
Je me suis exercé
avec le jeu des pinceaux,
pourtant , je ne façonne pas les heures,
je laisse passer les oiseaux,
je me retire dans des paroles
souvent vaines,
mais j’y loge un peu de soleil
pour détourner la douleur
vers un peu de sourire.
RC
Jacques Prévert – le sang
peinture V V Gogh – les champs rouges
—
Complainte de Vincent ! A Paul Éluard
Arles où roule le Rhône
Dans l’atroce lumière de midi
Un homme de phosphore et de sang
Pousse une obsédante plainte
Comme une femme qui fait son enfant
Et le linge devient rouge
Et l’homme s’enfuit en hurlant
Pourchassé par le soleil
Un soleil d’un jaune strident
Au bordel tout près du Rhône
L’homme arrive comme un roi mage .
Avec son absurde présent
Il a le regard bleu et doux
Le vrai regard lucide et fou
De ceux qui donnent tout à la vie
De ceux qui ne sont pas jaloux
Et montre à la pauvre enfant
Son oreille couchée dans le linge
Et elle pleure sans rien comprendre
Songeant à de tristes présages
Et regarde sans oser le prendre
L’affreux et tendre coquillage
Où les plaintes de l’amour mort
Et les voix inhumaines de l’art
Se mêlent aux murmures de la mer
Et vont mourir sur le carrelage
Dans la chambre où l’édredon rouge
D’un rouge soudain éclatant
Mélange ce rouge si rouge
Au sang bien plus rouge encore
De Vincent à demi mort
Et sage comme l’image même
e la misère et de l’amour
L’enfant nue toute seule sans âge
Regarde le pauvre Vincent
Foudroyé par son propre orage
Qui s’écroule sur le carreau
Couché dans son plus beau tableau
Et l’orage s’en va calmé indifférent
En roulant devant lui ses grands tonneaux de sang
L’éblouissant orage du génie de Vincent
Et Vincent reste là dormant rêvant râlant
Et le soleil au-dessus du bordel
Comme une orange folle dans un désert sans nom
Le soleil sur Arles
En hurlant tourne en rond.
Jacques PRÉVERT « Paroles »
Alain Paire – le miroir de l’absente
… J’ai souvent regardé La Mort de la Vierge,
les grandes palmes sombres de l’Ange de Mantegna,
l’écume d’un chemin nacré parmi les eaux de la lagune.
Peut-être n’était-ce pas ce tableau que je contemplais.
Mais plutôt, dissipant lentement les ombres du labyrinthe,
sans envers ni lointains, sans même l’espace d’une voix ,
le miroir de l’absente qui appelle encore, [
qui revient près de nous.
extrait du recueil » la maison silencieuse «
Alberto Giacometti – facettes

— Alberto Giacometti, Écrits, Éditions Hermann, 2007
… d’un rêve en couleurs, comme un tableau de Chagall – ( RC )
peinture: Marc Chagall
Il y a trois chevaux courant dans le ciel,
ils marchent sur des nuages et boivent le vent .
Il y en a un vert, un rouge , un jaune.
Ils galopent au-dessus de la ville.
La tête à l’envers sur le quai de la gare,
les sons et les parfums tournent dans l’air du soir ;
la galaxie est toute proche .
Tu pourrais presque toucher les étoiles.
C’est comme dans un tableau de Chagall .
Un violoniste joue sans partition
de vieux airs yiddish
avec un accordéoniste .
C’est un mouvement de danse
qui t’entraîne au-dessus des toits.
Cette mélodie t’appelle ….
… – d’un rêve en couleurs tu te rajoutes des ailes.
–
RC – mars 2018
Vous ne vous imaginiez pas modèle – ( RC )
peinture : D Velasquez
Bien sûr, c’est un mystère
qui se construit petit à petit,
sous mes yeux ébahis.
Je vois la peinture se faire
L’ange poser ses ailes :
Vous êtes ainsi alanguie
Sommeillant sur le lit
Vous êtes celle
qui lentement se révèle
à la caresse des pinceaux :
suivent la courbe de votre dos
(vous ne vous imaginiez pas modèle )…
Du voyage au long cours,
le vent dans les voiles,
vous apparaissez sur la toile,
peinte avec amour.
Négligemment déposés,
vos habits en tas,
à côté de votre bras …
Dans une lumière bien dosée
vous apparaissez, rêveuse,
les mains sur vos hanches,
votre poitrine est blanche,
et comme lumineuse….
Vous êtes la lumière du soir .
Surgie dans le décor
( et l’or de votre corps
se reflète aussi dans un miroir ).
On ne vous imagine pas blonde ,
car la seule ombre au tableau
porte le flambeau
de l’origine du monde .
Il n’y a pas besoin d’être Courbet,
pour que le monde vous contemple :
la première entrée du temple
est sur la toile, posée sur le chevalet.
–
RC
– juill 2017
Wislawa Szymborska – Avec le vin
peinture André Cohn
D’un regard il amplifia ma beauté
et je la pris pour mienne.
Heureuse j’avalais une étoile.
Je lui permis de m’inventer
à l’image du reflet
dans ses yeux . Je danse, danse
dans les secousses de mes subites ailes.
Table est table. Vin est vin
dans le verre, qui est verre
restant dressé sur la table,
Je suis illusoire,
incroyablement illusoire
imaginée jusqu’au sang.
Je lui parle de ce qu’il veut : de fourmis
mourant d’amour
sous la constellation de pissenlits.
Je jure qu’une rose blanche,
arrosée par le vin, chante.
Je ris, je penche la tête,
avec précaution, comme si je vérifiais
une invention. Je danse, danse
dans une peau étonnée, dans les bras qui me créent
Eve de la côte, Venus des écumes,
Minerve de la tête de Jupiter,
étaient plus réelles.
Quand il me regarde,
Je cherche mon reflet sur le mur.
Et je vois seulement
un clou, duquel on a enlevé son tableau.
Joconde – ( RC )
peinture: Fernand Léger Mona-Lisa aux clefs – 1930
La Joconde est sortie des nuages.
Elle a l’air bien songeuse ,
et s’est détachée , ténébreuse,
en partie, de l’image.
On connait mieux la peinture de Léonard
que celle de Léger
( elle a depuis, perdu ses clefs ) :
celles qui ouvrent la porte de l’art.
Oublié le sfumato,
et voici la danse des lignes,
des cercles et des signes,
qui parcourent le tableau.
Elle est comme une image pieuse,
— vous voyez bien, comme celles
qu’on trouve dans les pages du missel
( une icône, et des plus fameuses ).
Malgré son caractère profane,
et son décor imaginaire,
elle est célèbre sur la terre entière .
Ce modèle est juste une femme :
Il en est ainsi,
mais, toujours elle attire
Les foules avec son sourire :
Ce sacré Vinci
En peignant cette demoiselle
Ne pensait pas en faire une star
de l’histoire de l’art ;
– mais, retour dans le réel:
Même sortie de la toile,
c’était peut-être une sainte
telle qu’elle était peinte,
ayant égaré son auréole, ( ou son étoile ).
En attendant de la retrouver
– elle n’en a pas fait le deuil –
elle vous adresse un clin d’oeil
ce qui était plutôt osé, en ces temps reculés.
On dit bien que tout se retrouve
et rien ne se perd, mais jamais elle ne désespère
bien que prisonnière ,
au Musée du Louvre.
Si Duchamp la renomme,
et lui met des moustaches,
que personne ne se fâche,
ce pourrait être un homme !
En dehors de son cadre lourd, on pourra la voir
en illustration banale
imprimée en cartes-postales
sur les présentoirs.
Quelle est donc l’énigme de cette peinture ?
Et avec elle, la clef du mystère,
Où se trouve la serrure ?
… en conjectures on se perd.
Ayez pourtant en tête cet évènement fortuit,
qui posa plein de questions:
Une machine à coudre, sur la table d’opérations,
et Mona cachée sous le parapluie ..
–
RC – juin 2016
penture: Fernand Léger – composition au parapluie 1932
Reina Maria Rodriguez – L’île violette
–
VIOLET ISLAND
…j’ai connu un certain homme, un homme étrange.
il gardait jour et nuit la lumière de son phare
un phare ordinaire qui n’indiquait pas grand-chose,
un petit phare pour embarcations de fortune
et peuples obscurs de pêcheurs, là, sur son île,
il échangeait avec son phare les sensations
attendant jour et nuit cette autre lumière
qui ne surveille la persécution d’aucun objet,
cette autre lumière réflexive, parcourant vers l’intérieur
la distance entre le port sûr de l’endroit
et l’œil qui voit revenir, d’en haut et transparente,
l’illusion provisoire qui s’éternise :
cette courbe de l’être tendue tout contre le phare
sans précaution ni limite, pour être ou avoir
ce qu’imparfaitement nous sommes, rien d’autre
que rêver ce qu’il veut bien rêver et être où il est
au-dessus des eaux tranquilles et éteindre tout dans le tableau
d’un jour et redevenir nouveau au petit matin
près du petit phare perdu d’Aspinwoll
sans même imaginer qu’il pourrait exister le moindre désir
ne serait-ce que celui de désirer la petite lumière qui tombe,
avec la nuit,
sur les eaux tranquilles et les sons déjà morts
de ces vagues, de jouir et souffrir, un refuge sincère.
Comme le gardien du phare d’Aspinwoll, seul sur son phare,
je me suis endormie malgré la lumière intense qui tombe
et se détache au-dessus du temps, malgré la pluie
frappant le miroir des poissons blancs,
malgré cette lumière spéciale qu’était son âme,
je me suis endormie entre le port et la lumière,
sans comprendre : je voulais, je voulais seulement
un peu plus de temps pour recommencer à apprendre,
pas sur le ressac de la commisération
où les désespérés attachent leurs mâts;
pas l’authentique bonheur de vivre sans savoir,
sans se rendre compte; pas la lumière provisoire qui s’éternise
et feint d’être
ce que nous serons
ni la peur de posséder la réalité opaque, immanente,
je ne voulais la vie qu’à cause du plaisir de mourir,
sur les eaux tranquilles,
en compagnie des poissons blancs, et j’attendais impatiente
qu’arrive encore la répétition de mon inconscient
afin que quelqu’un y trouve l’intouché, l’autre voix,
pas de cet être intermédiaire, un corps
pour mesurer les criques basses : un corps pour le viol
d’un moi impraticable :
je me suis endormie, inconséquente, dans l’imagination
de cet être différent dans la distance, suffisamment avancée
pour avoir ma propre illumination à Aspinwoll, mais
fracassée et obscurcie, comme le gardien du phare
au-dessus des eaux tranquilles
de ce qu’imparfaitement nous sommes, dans la petitesse
d’un phare qui n’indiquait pas grand-chose,
à travers la pluie chaude
et réelle de l’impossible.
–
(poème extrait d’une anthologie de la poésie sud-américaine)
Jules Supervielle – se faire un peu de feu
–
Il ne s’agit pas d’être le feu, mais de se faire un peu de feu
Quand on a froid et que l’humide veut régner sur nous peu à peu,
II ne s’agit pas d’aller toujours sur une grand-route prévue
Mais de pouvoir flâner un peu comme fait même l’âne qui broute,
II ne s’agit pas d’être partout mais de choisir un petit coin,
Appelez-le arbre, maison ou femme ou bien morceau de pain,
Un jour je t’expliquerai ce que sont le ciel, les étoiles
Et ce que tu es toi-même, avec ton or innocent,
Je te ferai quelques croquis sur le tableau noir de la nuit,
Mais si tu veux y voir clair, il faut venir tous feux éteints.
***
Jules Supervielle (1884-1960) – Le Corps tragique (1959)
Aria – ( Comme un air d’Italie ) – ( RC )
peinture: B Gozzoli – détail-
—
C’est en franchissant les portes des jardins,
que la vue se porte, sur les collines.
Elles se dandinent, dans une robe chamarrée d’ors.
On y trouve des villages à mi-pente
Où les maisons s’épaulent de leurs lignes.
Les cyprès forment une couronne, sur les lignes de crète.
Ce serait une lumière, comme celle que peint Botticielli ;
La transparence diaphane de l’air, et le vent léger soulève les voiles de la Vénus,
La caresse du regard enchante même les parterres de fleurs .
Les mains se tendent et les bras s’arquent en chorégraphie.
Les cloches se répondent de vallée en vallée .
La terre ne serait pas comme on la voit ailleurs : blonde ou brune,
Nourrie à la tiédeur solaire,
Presque nourriture à son tour ,
Elle en a le parfum, et son pesant de couleur
Qu’on retrouve dans la robe des vins ,
Alignées dans les trattoria.
Les linges sont oriflammes en travers des rues ;
On a l’impression d’entrer de plain pied dans un tableau …
La langue italienne est une porte ouverte sur sa chanson.
photo Robert Schrader
—

photo: Edmondo Senatore – atmosphère toscane
–
RC – mai 2015
Vision nocturne – ( RC )
peinture H Füssli-
Le sommeil a ses reflets,
Le miroir en effet,
De l’armoire à glace,
Située en face
Me regarde dormir,
Et si je ne peux décrire,
La traversée des secrets,
Et les rêves de craie,
Se dessinent à grands traits,
Racines -pièges, sorties des forêts
Et l’invasion des limaces,
Ne tenant plus en place.
C’est à mon réveil,
Seulement, que le soleil,
Repousse les ombres,
– Que la nuit encombre…
… Quand elle revient , elle se penche,
Et au-dessus de moi, de ses formes blanches,
Sitôt la lumière éteinte,
Je retrouve l’étreinte
Des femmes sorties des nénufars,
Aux longs membres blafards…
Les pensées tanguent, parallèles,
Eléphants aux pattes grêles,
Aux parcours du dormeur,
Sous les draps, sa tiédeur…
Ou, au contraire, prisonniers de la glace
Les yeux ternis des rapaces
Le balancier régulateur,
Défiant la pesée des heures,
Où se joue le complot,
Extrait du tableau.
> Il n’y a plus de trêve,
Si l’absence s’empare du rêve.
–
RC – 13 septembre 2013
–
Jorge Luis Borges – les choses

photo: CoreyS5
Le bâton, les pièces de monnaie, le porte-clés,
la serrure docile, les lettres tardives
qui ne seront pas lues dans le peu de jours
qu’il me reste, les cartes de jeu et le tableau,
un livre, et, entre ses pages, la violette
flêtrie, monument d’un soir
sans doute inoubliable mais déjà oublié,
le rouge miroir occidental dans lequel
une illusoire aurore brille. Oh, combien de choses,
plaques, seuils, atlas, tasses, épingles,
nous servent d’esclaves tacites,
aveugles et si étrangement discrets !
Elles dureront au delà de notre oubli;
elles ne sauront jamais que nous sommes partis.
–
Traduit de l’espagnol par E. Dupas
–
François Corvol – vivre comme tu vis
vivre comme tu vis. ivre de vivre. dans ton périmètre. dans ta voix. ce timbre ici-bas. dans ta bouche. dans le creux. bleu. noir. le cadran solaire. cousu de fil d’or. avec les chats. dans le ciel. ouvert dans le pôle. dans le manteau blanc. le tableau. la main du maître. pour l’enchantement. la minute. sur le bord de l’eau. saturne. pour la tiédeur. sans mouvements. écoulée. par le hublot. les heures. le temps. que le sortilège. dans la vase. et la fumée. ton portrait. sur la page. parmi les oiseaux. tour à tour. replongent. les bêtes. à cent lieux. après que la lave. avec l’orage. coula. recousu. une meute. le piano. à la forme de ton oeil. ouvert. attrapé. bruissement d’insecte. pelé. dans les os. pour la nuit. sur le dos. souvenir. abrité. tendu. parole de nerfs. en-dessous. la peau. figurine. où le rêve. contigu. se ressource. surpris. loin de la chambre. achevé. sitôt formé. en fumée. inconnu. déjà. imagine. un instant. a duré. par la fenêtre. le rideau. mouvant. invité. silencieux. persistances. par petits bouts. son histoire. obstinée. remuer. son corps. le poids. sur la terre. un moment. encore. et marcher. avec la musique. et les crampes. les pas. un à un. sur la mer. gelée. diurne. ivre. vivre comme tu.
Comme dans un tableau d’Edward Hopper ( RC )
–
Des chaises en plastique blanches, aux pieds chromés,
Banquettes rouges plaquées le long du mur,
Lumières froides suspendues
Et un personnage à table, lisant le journal
Caché en partie par un pilier de béton
Enveloppé malgré lui, du décor anonyme
Au bar de l’aéroport, … – comme dans un tableau
D’Edward Hopper
RC – 22 décembre 2012
–
Jean-Claude Mazloumian – Plus mots
Du blog « déblogue » de JCM que l’on peut retrouver ici...
Des mots éparpillés
Des mots épars pillés
Brillants par leur absence
Qui ont perdu leurs sens
Des mots évanouis
Pas du tout réjouis
Poète déconfit
Cherchant des mots graphie
Gestation douloureuse
Naissance aventureuse
En accord désaccords
Qui lutteront encore
Mais ils ne plaisent plus
Il a beaucoup trop plu
Et les mots délavés
Ne sont pas motivés
Des mots, bile fixée,
Amers et désaxés
Des mots tutti résonnent
Qui rient et les i sonnent
Là où tous les mots quêtent
Pour qu’enfin ils caquettent
Sans aucun préjudice
Jusqu’au de profundis
Puis un jour le mot naît
Le tableau apparaît
C’est une vieille croûte
Un poème en déroute
Qui ne dit rien de plus
S’achevant par motus !
*
Cribas: Fausse signature…(J.I 35)
A la pêche aux anciens écrits de Cribas… j’ai remonté des profondeurs..
Cribas: Fausse signature…(J.I 35)
Par Cribas le dimanche 17 décembre 2006, 19:04 – Cribas 2006 – Lien permanent
L’incursion de mon existence, en pleine vie, ce n’est pas une mince affaire.
Et pourtant…
Je supporte plus facilement ma plume lorsqu’elle est en vie, que ma vie qui me vole dans les plumes.
Je me moque de la vie, et de sa poésie contestable, c’est à n’y plus rien comprendre !
D’ailleurs, je n’ai jamais rien compris !
Je me suis donné, comme un don !
J’aime bien l’automne et ses vitres troublées.
J’aime bien la ramener, ma grande gueule pour pas un rond.
J’aime les tains sordides sur mes doubles fonds.
J’aime les couleurs
En l’occurrence sur mes réseaux.
J’aime être à fleur
J’aime courir après mon souriceau.
J’ai des idées noires
Sur mon tableau blanc
Et j’efface tous mes souvenirs
Avec la craie chaque soir
Je me vérifie
En hurlant que j’écris pour l’à venir.
L’incursion de mon existence
Inversée dans le fond
A l’extérieur sur mon tableau noir.
Moi je sais monsieur
Je calcule avec un bandeau sur les yeux
Les plus-values de ma destination.
Mourir ?
Même pas peur !
Je vis ma rancœur
Insipide dans le pire !
Et je prends des rides
Et mon visage sa vigueur,
Ma sale gueule à la rigueur
Mais toujours mon regard moins vide !
L’excursion de mes insistances
Ouvre ma fenêtre en brisant les vitres
Du cœur sordide de mes nonchalances.
Non sans résistance
Sur mon tableau blanc
J’ai encore mes idées noires…
J’aime bien vivre en hiver
Pleurer dans le silence
Et à double tour.
J’aime bien vivre en enfer.
Et dans l’insignifiance
Insulter encore ma mère !
Je montre du doigt
Toutes mes petites colères
Et ça se voit
Sur le train-train de mes radiateurs
Ça se règle ça se ressent
Mon besoin de chaleur.
Il fait « trop » bon chez moi
Comme à la maison dis
Moi que tu même…
Et je tenterais avec « mais si »
De te rendre la pareille !
J’entends les cloches de mon village
Et les sirènes sur ma ville
J’ai un peu perdu le surnom de mon gage
Et l’innocent règne sur mes sourcils.
J’ai le regard amorphe
Mon tableau blanc
Et mes idées noires dans le coffre
Je fonce à la même vitesse
Que les fausses signatures fières
Tendues solitaires, à ma maîtresse.
J’aime bien vivre en enfer !
Mais je prends des rides
Et mon visage sa rigueur !
Dans le grand froid
Des sudations de mes peurs…
–
Claude Esteban – la peinture
Chez J M Maulpoix, voila un dialogue où Claude Esteban, nous entretient de ses rapports de poète, avec la vision et perception de la peinture…
« La peinture, bien évidemment, qu’elle s’attache à figurer l’apparaître des choses ou qu’elle s’en sépare pour instaurer un univers autonome de lignes, de formes, de couleurs, n’a nul besoin de prendre appui sur ce système conceptuel de représentation, et la liberté dont elle fait usage dans son expression plastique m’a toujours fasciné, tel un horizon immédiat pour certains, inaccessible pour ceux qui doivent se contenter de mettre des mots, côte à côte, sur une page.
Lire les poèmes des autres ne m’avait pas suffi ; contempler un dessin, une gravure, un tableau, ne parvenait guère plus à me satisfaire, mais le dialogue avec eux se révélait singulièrement plus ardu, puisque mon approche, au mieux, ne pouvait être, en effet, que parallèle, soumise, malgré moi, à un parcours discursif.
Je m’y suis résolu pourtant, j’ai « accompagné » – le terme que vous employez est, hélas, trop juste – nombre d’expériences picturales de notre temps par le biais d’études, de commentaires critiques sur l’imprécision et les limites desquels je ne me méprenais pas.
Quel que fût mon désir, il y manquait cette proximité, cette adhérence tactile à une tache, à un coup de brosse, ce corps à corps avec une matière palpable que convoquaient mes phrases sans l’atteindre jamais. »
peinture: Ken Noland; Hard drive 1965 – St Louis, Missouri
… il dit aussi à propos de ses textes sur Edward Hopper.
« Je ne parvenais pas à m’arracher à ces paysages urbains pétrifiés, j’aurais voulu percer leur mystère, pénétrer leur surface trop lisse, mais je demeurais en dehors comme si une sorte de lecture immédiate, par trop littérale, me paralysait à mon tour. Il me fallait rompre avec cette hypnose qui, si je m’abandonnais à elle, me condamnait au mutisme, au ressassement du regard.
Il fallait, en quelque façon, que le temps reprenne son cours au cadran des horloges, que l’espace à nouveau s’anime, que cette femme, devant sa fenêtre, finisse de se coiffer, ouvre une porte, retrouve le soleil.
Au risque de m’égarer dans l’imaginaire, je me suis livré, délibérément, à une sorte d’effraction du tableau, m’emparant à mon gré de tel ou tel élément de la composition, en modifiant l’ordonnance, suggérant un récit, tressant les fils d’une intrigue minutieuse, voire saugrenue. Une pareille désinvolture, que je ne m’étais jusqu’alors jamais permise avec une œuvre d’art, je la devais, pour beaucoup, à cette forme d’écriture dont je découvrais, non sans étonnement, les virtualités.
Je n’avais pratiqué la prose que dans un dessein tout intellectuel d’élucidation ; je découvrais, maintenant, qu’elle pouvait s’enrichir d’autres aventures, se prêter à l’imprévisible des circonstances, embrasser l’accidentel.
Etait-ce, toute neuve pour moi, la tentation du romanesque, une griserie passagère, ou la découverte, grâce à Hopper, de territoires inconnus ? Voilà qu’à la faveur d’une peinture, redoublant la fiction des images par la fantasmagorie d’une histoire, je laissais les mots fomenter à eux seuls de mouvantes scénographies… »