Cécile Odartchenko – Tour de jardin –
extrait de Carnets (Les Moments littéraires, n° 26, 2ème semestre 2011).
Tour de jardin : admiration des pousses de bambous, découverte d’un petit chêne (j’avais planté un gland) et admiration de mon petit palmier.
Les feuilles en éventail ou jupe plissée, les nouvelles feuilles, se tiennent raides en faisceau au centre, c’est magnifique et égyptien, donne envie d’avoir aussi des plantes aquatiques qui ont ce port très fier et très haute couture.
Peut-être proches, parce que les tiges raides et le feuillage précieux, les ancolies doubles, violettes à gauche et rose ancien à droite, elles, ont au moins neuf rangées de pétales, des étamines jaunes au centré de cette houppette penchée vers la terre comme pour les cacher.
Mais le feuillage poilu des pavots d’Orient n’est pas en reste. Des poils dessus et dessous et chaque pointe terminée par une minuscule perle jaune.
Le bouton caché au centre est poilu aussi et ressemble à un gland de sexe masculin. Il en a la grosseur. Que de feuilles pour une seule fleur ! Pourquoi tant de poils ? Est-ce pour protéger la fleur flamboyante, une des plus grosses, des plus luxueuses, mais aussi peut-être des plus fragiles ?
Entre deux pavots, des touffes de grandes marguerites.
Les feuilles ont Pair dures et drues à l’œil, mais sont douces au toucher et bien lisses.
Elles ont un peu de poil très ras et argenté que l’on ne peut voir que sous un certain angle.
II y aura de belles touffes de marguerites un peu partout cette année. Sorties de belles plantes en automne, il y a des petites fleurs blanches que je ne connais pas encore très bien.
Des digitales un peu plus loin sont en train de monter et vont fleurir dans une ou deux semaines.
Une transformation étonnante s’est produite dans mon propre corps, occupé par cette question passionnante. Je suis tout à coup (après avoir été consulter mon dictionnaire botanique sur le divan, après avoir déterré et enterré à nouveau la graine de tamarinier, et après avoir regardé à la loupe la plantule de l’avocat) comme transformée, secouée, réveillée, plus d’impression de chaleur et de combustion lente, mais, au contraire, impression d’être oxygénée comme après la marche ou l’amour.
L’intérêt très vif, pour mes plantes, une sorte de passion qui crée une excitation passagère favorisant tous les échanges vitaux de la plante que je suis.
Étonnant vraiment !
Je respire profondément. Un très léger souffle de brise agite un peu les branches que je regarde, comme si elles me faisaient un signe de sympathie.
Suzanne Tanella Boni – Gorée, île baobab
–
“Gorée Île Baobab” (quatre poèmes)
.
peut-être le bonheur est-il si loin
invisible dans les feuilles de tamarinier
quand ma main effleure les fruits
à partager avec les génies riant des cruautés
faites à l’homme par l’homme
.
peut-être l’espérance dans mes yeux traîne-t-elle
l’avenir en nuages de poussières où je cherche
étincelles et dignité des âmes en sursis
.
quand l’horizon au petit matin
dessine images et silhouettes entre soleil et mer
tu n’es pas là pour voir mes yeux
où tu n’a jamais vu l’humeur du monde
. . .
avec la bénédiction des habitants
invisibles de l’île ici je revis
car ton regard n’est pas un poème
mais toute la mer qui coule à mes pieds
des pages infinies
. . .
ici aussi j’ai bu à la source
des mots couverts de moisissures
comme murs suintant de tous les malheurs
gravés aux portes du temps
.
j’ai bu la source vive
qui nous donne mémoire et chemin majuscule
des jours à venir
j’ai bu je ne sais combien de gorgées élixir
“…pour la survie du poème
qui hante mes pas depuis toujours”
.
demain je reviendrai
entendre ta voix qui me parle
encore de toi et de moi
. . .
ici aussi les draps où l’histoire fait la sieste
sont blancs et vides
.
seule la couverture du temps
est verte comme dernière parole du monde
quand le vent tourbillonne
nuit et jour à la porte du chaos
.
alors je m’enroule dans les mots de ton regard horizon
par-delà la mer nous séparant infiniment.
—
Suzanne Tanella Boni née en 1954 est une auteure de Côte d’Ivoire.
“Gorée Baobab Island” (four poems)
.
perhaps happiness is so far away
invisible among the tamarind leaves
when my hand brushes the fruit
to share them with spirits laughing at man’s
cruelty to man
.
perhaps the hope in my eyes drags
the future in clouds of dust where I seek
sparks and the dignity of condemned souls
.
when the horizon in the early hours
creates images and silhouettes between sun and sea
you are not here to see my eyes
where you have never seen the humour of the world
. . .
with the blessing of the island’s
invisible inhabitants I become alive again
.
as your look is not a poem
but the vast sea that pours infinite pages
at my feet
. . .
here too I drank at the source
words covered with mildew
like walls oozing all the sorrows
carved on the doors of time
.
I drank the life source
that gives us memory and the capped path
of days to come
I lost count of the mouthfuls of elixir I drank
so that the poem
that has forever haunted my steps survives
.
tomorrow I will return
to hear you talk to me
again of you and me
. . .
here too the sheets where history snoozed
are white and empty
.
the covers of time alone
are green like the last word in the world
when the wind howls
day and night at the gates of chaos
.
then I wrap myself in the words of your look faraway
beyond the sea that separates us infinitely.
—
L’île de Gorée est célèbre pour La Maison des Esclaves et La porte du Voyage sans Retour, d’où partaient pour l’ultime voyage les esclaves acheminés vers les plantations d’Amérique.
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