Francis CARCO – L’ombre –

.
Cependant tu n’étais qu’une fille des rues,
Qu’une innocente prostituée,
Comme celle qui apparut,
Dans le quartier de Whitechapel,
Un soir, à Thomas de Quincey
Et qu’il chercha, plus tard, sans jamais la trouver,
De porche en porche et d’hôtel en hôtel …
.
Il le raconte dans un livre.
.
C’est là, pour la première fois, que je t’ai rencontrée.
Tu étais lasse et triste, comme les filles de Londres,
Tes cheveux conservaient une odeur de brouillard
Et, lorsqu’ils te voyaient à la porte des bars,
Les dockers ivres t’insultaient
Ou t’escortaient dans la rue sombre.
Je n’ai pas oublié l’effet que tu me fis
Dans ce livre désespéré,
Ni le vent, ni la pluie, ni le pavé qui luit,
Ni les assassins dans la nuit,
Ni les feux des estaminets,
Ni les remous de la Tamise
Entre ses mornes parapets…
Mais c’est après bien des années
Qu’une autre qui te ressemblait
Devait, le long des maisons grises,
Me faire signe et m’accoster.
.
.
Francis CARCO
Poètes d’aujourd’hui
SEGHERS Editeur
Charing Cross, au matin ( RC )
Je vois une large avenue en arc, verte
Où balbutient des branches sans feuilles,
Et de vielles autos bleues
Le long d’un quai de Tamise
C’est un Londres , au matin
Encore sous l’émotion de sa brume changeante,
En touches suspendues
D’ors d’ocres et verts incertains,
Charing Cross, dans un tableau de Derain
Devant les barres bleues d’ombre
Ces bâtiments vides
Je ne distingue plus les voix,
Seulement le murmure, d’une ville
Qui s’éveille et s’étire aux heures,
Et la patience immobile
Des statues sur leur socle
Encombrées de mousse,
Au charme des squares,
Encore à l’ombre, à cet instant.
Une nappe de vapeur s’étale
Et glisse , nonchalante
Des péniches lourdes,
Jusqu’aux berges lasses.
Les verticales des réverbères
Sont, aux quais, des signes bleutés
Qui attendent,
La musique du jour
Et les cris des marchands de journaux
En décalquant l’invisible
–
RC – 24 octobre 2012
–