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Jacques Borel – les images


 

peinture: Arnold BÖcklin  avec la mort  violoniste

 

Je ne peux pas grand’chose lorsque s’abat sur moi

La grande faulx noire et dorée de la mélancolie,

Seulement ployer un peu plus bas l’échine, ou supplier

De se taire dans la combe la plus obscure du cœur où ils se sont réfugiés

Ce groupe d’aïeux qui se retournent et chuchotent

Comme des soldats frissonnants sous une couverture

Et dont je n’ose pas surprendre les secrets conciliabules;

Retenir un instant cette main, et c’est celle de mon père,

Qui voudrait approcher de la table de jeu

Et poser encore un peu d’or sur le tapis;

Convaincre doucement ma mère de rentrer,

Qu’il n’y a plus de messe à l’église des fous

Et qu’aucun noyé ne l’appelle du fond de cette eau où elle se penche.

Peut-être pourrais-je refuser de reconnaître

Ce sourire d’amer plaisir que j’ai déjà vu sur d’autres bouches,

Ou ce geste de l’épaule qui tremble et ploie

Quand la vague d’un autre corps va la recouvrir de son ombre

Et la rouler sur un lit d’algues où elle retrouvera soudain

La même face confondue de la mémoire et de la solitude.

Dire non, mais puis-je aussi

Dire non à cet enfant dans son lit

Qui murmure à la mort des mots de fiançailles

Et il me semble qu’il ne s’est pas endormi depuis,

Qu’il est là depuis toujours, à tenter d’apprivoiser

Le sommeil aux mains de sable

Les larmes de Peau-d’Ane encore sur son visage

Et la lune sur la vitre qui survit à ses songes.

Ô images, plus indestructibles que les choses !

Grandes banderoles à jamais accrochées aux façades !

Vous me cacherez jusqu’au bout les profondeurs des fenêtres,

Les gestes, les colères et le tendre recul

Des êtres qui respirent à leur tour dans les chambres;

Le vent qui vous arrachera me balaiera avec vous,

Je vous sentirai encore collées à mes paupières,

Et, dans la déchirure,

La même lampe continuera d’éclairer pour moi

La même marge obscure et infranchissable du monde

Découpée une fois par les ciseaux du temps,

La maison refermée sur les terreurs du jour,

Ce salon vide, cette porte, et sur le mur

Cette figure lentement qui se confond avec sa robe

Et qui en a fini désormais de ressembler à personne.


Pourquoi je dors dans le couloir – (RC )


 

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Je dors à même le sol,
dans le couloir de l’hôtel.

L’air a été meurtri de couches diffuses
de tabac froid.

J’imagine qu’il y a
derrière les portes de chambres,
des lumières falotes,
et une photo défraîchie
d’une baie, quelque part,
en méditerranée.

C’est étonnant comme les choses immobiles
traversent les années.
Si le bâtiment s’écroule,
et qu’on voie comme si une tronçonneuse
était passée au travers

il y aura de chambre en chambre,
ce papier peint identique
à rayures verticales,
ces photos de la baie,
et la trace en clair,         sur le mur

des armoires hautaines,
ayant déposé leur ombre,
puis qui ont basculé
avec les étages
avec une pluie de gravats.

Je dors à même le sol,
dans le couloir de l’hôtel.

Je n’ai pas voulu entrer
dans la chambre
que j’ai réservée ,
où l’on ne dort
que d’un sommeil anonyme.

Mais j’entends tous les bruits.
Mes voisins qui ronflent,
l’armoire noire qui baille
attendant le bon moment
pour libérer les serpents.

Ils ne vivent que la nuit
et répandent leur venin
obséquieux dans les rêves
de citadins de passage
qui traversent les voyageurs .

La ville coasse encore
sous l’effet de la brume
et des lampes à iode :
une atmosphère de fête
qui plaît aux rongeurs.

Ils grouillent de partout
pénètrent dans les moindres interstices
et prennent le pouvoir:
leurs reflets dans leurs yeux,
sont comme de petites lucioles

Ils sortent même des lambris,
renversent les brosses à dents
et dévorent les tapis.

Vous devez maintenant savoir
pourquoi je dors dans le couloir.


RC – janv 2019


Anna Niarakis – Une minute


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photo:                image  extraite du film  « Henri », de Yolande Moreau

 

Heure 20:37.
Je ripe mes chairs, la mémoire
l’innocence oubliée.
Seul, nue , j’erre
A six dimensions
avec les six sens.
Je regarde  le labyrinthe de côté
formé par ton oreille.
Puis je plonge et disparais.
Je subis l’électrocution,
par les neurones
de ton cerveau.
Electrochoc.

Je me réveille pleine de sang
sur le ventricule gauche de ton cœur.
Je respire et vibre à un rythme étranger.
Ta pulsation.
Quelque chose te dérange.

Je deviens une glaire qui se plante dans tes poumons.
Tu tousses et tu me craches sur le tapis
Je me lève, je fais mes cheveux et je m’assieds.
Tu m’offres du café et me demandes ce que c’ était
J’allume une cigarette, la fumée m’enroule
Et je disparais.


Passer par le mur de l’eau ( les migrants ) – ( RC )


photo: naufragés maliens sur les côtes italiennes. Provenance Maliactu.net

C’est sec, épineux, et ici on mange des pierres .

On survit comme on peut .

Et puis ceux qui ne peuvent pas,

Mangent leur désespoir.

Ils se décident alors, à franchir le mur.

Un mur différent des autres.

Pas de béton, ni de barbelés.

Il s’étend à l’horizontale,         liquide.

Tes frères ont embarqué

Dans des bateaux si lourdement chargés,

Qu’ils penchent de leur poids de misère .

La mer, puisque c’est elle,

Se termine dans les esprits, quelque part,

                     Bien au-delà de l’horizon ,

Par des pays que l’on dit riches .

C’est              ce que dit la télévision,

Le rêve est à portée de mer.

On ne sait ce qui est vrai,

( Ceux qui sont partis ne sont pas revenus ) ,

               Le rêve entretient l’illusion,

Nombreux sont les candidats,

Ils ont misé leur vie pour un voyage

        qui n’a rien d’une croisière :

Ils ont chèrement payé les passeurs

Comme en jouant à la roulette :

Faire confiance au destin,      aveugle

Sans savoir où il mène.

Les dés jetés sur le tapis bleu  :

Avec la question

          « Coulera, coulera pas ?  »

Cela ne dépend plus de toi

Le mur d’eau        reste à franchir :

C’est un espace sauvage,

Avec tous ses dangers

         La progression est lente ;

                        Elle n’en finit pas

On dit qu’il y eut de nombreux naufrages,

On dit,    (  car les morts ne parlent pas  ) ,

Mais les cris, avec le gémissement du vent,

Ou les vagues hostiles,

Qui se lancent avec fracas

Contre la frêle coque  .

           Si tu vois un jour les îles,

         Des pays étrangers,

Tu auras eu la chance, beaucoup de chance,

         – remercie les dieux –

         De voir de tes yeux

          Cette carte postale   ! –

Que tu pourrais envoyer,

     – Si tu survis,-

Une fois arrivé  ,

A ceux de ton pays natal.

Maintenant, il te faut plonger,

Nager,           nager  jusqu’à épuisement

Car          la traversée ne comprend

pas de canots pour les naufragés.

Après cette épreuve redoutable,

          Migrant, si ton corps

T’as permis d’arriver à bon port,

Te voilà sur le sable .

           Mendiant de la vie

Avec une dizaine de rescapés.

Ils ont eu comme toi la chance,

Que le hasard leur ait souri,

Touristes malgré eux, arrivés

Dans un club de vacances .

        D’autres se sont échoués,

Dans la nuit, dans ce havre.

        Mais ils sont immobiles,

Sur la plage lisse.

Ce sont des cadavres,

Que vient compter la police.

Au concert des nations,

      Le mur de la mer,

Est aussi une frontière ,

D’où suinte la misère,

Celle des pays en guerre.

Un mur des lamentations .

RC –  juin 2015

Au sujet des touristes  « malgré  eux »…on pourra  se reporter  au film de Costa-Gavras,  « Eden à l’Ouest »

ainsi  qu’à cet article tout récent relatant la juxtaposition des « vrais » touristes, aux migrants, sur l’île de Kos  ( Grèce )


Stabat Mater – ( RC )


Résultat de recherche d'images pour "Stabat mater pergolese lesne"

C’est une voix intérieure,
Dont je peine à dessiner la forme,
Puisqu’elle est cachée dans l’âme,
Et le regard de celui
Qui la fait vibrer ,
Trempée dans celle de la musique,
Et ses couleurs en contre-jour,
Inscrite en dentelles d’encre,
Sur une ancienne partition,
… Notre oreille en ignore,
les passages soulignés de crayon.

Une parenthèse ardente,
Celle de la Passion,
Où l’invisible des sons,
Se transmet de nuit aux jours,
En plusieurs siècles au fil,
Quand se donne le chant,
Jusqu’aujourd’hui,
Et bien plus encore,
D’une émotion palpable,
Partagée en frissons,
Et portée par les accords…

Une colonne s’élève ,
Se sépare en volutes,
Peut-être vers un plafond à fresques,
Dessiné par les voix,
Se détachant des portées,
Emplissant tout l’espace,
Puis fuyant sous les voûtes,
Pour que renaisse le souffle,
S’appuyant sur le silence,
Remplacé bientôt par
le tapis dense d’instruments anciens.


( en hommage à la restitution des musiques du passé,
et ici particulièrement dédié à Gérard Lesne,
dans son interprétaton du « Stabat Mater  » de Pergolèse)

RC –  10 novembre 2013


Comptes d’Orient ( RC )


art –        manuscrit perse

Des mille et une nuits

Voila l’humeur voyageuse

D’objets, l’abondance et l’envie

C’est cette histoire merveilleuse;

L’escadrille  de tapis volants

Au souvenir des parfums d’orient

Celle des roses d’Ispahan

Qui berce l’esprit des  enfants …

Il est question de diamants

D’or et d’objets, de bandits

Dans l’obscurité les yeux  agrandis

Captent des éclairs d’objets brillants

Abondance à remplir  son cabas

 » C’est un hasard heureux

Qui m’a fait pénétrer ces lieux

Se dira, rêveur, Ali Baba

Je n’ai pas pu en faire le compte

De tous ces objets de valeur

Détenus par quarante voleurs  »

( enfin, c’est ce que suggère le conte)

Tant de richesses rendrait avide

Si on les savait quelque part

La misère est partout, chacun réclame sa part

Et réchauffe  les esprits cupides…

Ou bien  c’est un objet précieux

Qui permet d’exaucer les voeux,

D’avoir tout ce dont on manque

Et de faire  « sauter la banque »

La lampe  d’Aladin contenait un génie

Qui faisait de son mieux

Pour rendre les hommes heureux

Surtout pour les plus démunis…

Une demande pour l’avenir ?

Et ceci, à quel tarif ?

Devenir calife à la place du calife ?

La lampe à huile va tout vous dire…

Mais  attention, à ce qu’on croit

Faites bien votre choix

Les voeux se limitent à trois

Au delà vous pouvez faire une croix…

Et attendre des jours meilleurs

Assis dans la poussière

Vivant dans la misère …

A attendre le bienfaiteur…

Je conte sur lui…

RC  –  22 et 28 juin 2012


Spécialiste ( RC )


 

 

Presque à l’horizontale, je ne plane pourtant pas, en lévitation,
Mais ce sont, contre toute attente, brutales sensations

Car je ne vois pas de ciel, à travers mes paupières
Envahies d’un reflet, de violente lumière.

Ce qui me maintient, n’est pas un tapis volant
Et je ne m’appuie pas sur l’air, indolent…

Ma vue envahie, d’un rayon fixe, ne fait pas le tri
Embarrassée qu’elle est, rodant sur un plafond gris.

Ou le lieu fermé d’une cabine en verre, que je fixe,
Aux reflets violets, de futurs rayons X,

Et pour que l’esprit divague, je me vois dans cette boîte
Fixé, et sanglé ( et puis les mains moites)

Des caches des néons, je compte des ailettes, .
C’est ainsi que je m’entête, à faire des devinettes

A épier les bruits et petits heurts, juste derrière ma tête
Ce qu’on lime, ce qu’on use, à petits coups de roulette.

Alors que je maintiens ma bouche offerte,
A l’éclairage blanc  – grande ouverte,

Toujours plus allongé  qu’assis
Je suis , aux prédateurs, à leur merci…

Victime désignée pour rituels barbares
Mes pensées  s’égarent  en cauchemars

Alors que se  profile soudain , la silhouette, du spécialiste
Et ses outils, et la blouse verte,– de chirurgien  dentiste.

 

Dessin: Claude Serre de « Humour noir, hommes en blanc » ( Odontologie )

 

 

RC   11 juin 2012

 

 


Claude Minière – je reprends la main


………..je reprends la main

à la bonne vitesse

dans la courbe penché

sur la ligne du cercle

blanc sur noir

l’inconnu comme conscience

                      comme rail matériel et abstrait

 

comme écoutant le sol trembler

                       je reprends la main

 

à la limite de l’adhérence

                        le pneu soudain quittant la chair du bitume

                                                           perdant le contact, le fil

 

Je reprends la main

      je me reprends par la main sur le tapis vert

                                                            de la vérité chorale des pâquerettes

                                                                    du sang des coquelicots


Jacques Prévert – Alicante


peinture; Jane Peterson

Une orange sur la table
Ta robe sur le tapis
Et dans mon lit, vous
Cadeau doux de cette
Fraîcheur de la nuit
Chaleur de ma vie …

peinture: Paul Sérusier, nature morte dans l'atelier


Salah Al Hamdani – Seul le vieux tapis fleurissait le sol


image: montage perso

 

 

Seul le vieux tapis fleurissait le sol

La maison avait changé d’adresse
ma photo avait changé de place
la table avait été pliée derrière la porte
la chaise de mon père, aussi,
seul le vieux tapis fleurissait le sol

 

Je t’ai trouvée enfin
dans un jardin nu
avec ton grand châle noir
l’esprit en dérive
enfilée dans tes prières
l’âge cousu sur le visage

J’ai cru serrer un palmier agonisant
Puis dans mes bras,
j’ai reconnu ma mère.

 

 

 

Salah Al Hamdani – ( Irak)

2004 (« Poèmes de Bagdad »,)