Armine NEAGU – Qu’attends-tu de moi ? (XXI)

Félix Valloton – Mimosas en fleurs à Cagnes
L’heure est blottie sous l’abrupte falaise
– notre secret, cette heure volée.
Regarde se hâter ces ruelles tortueuses,
témoins suspendus
cascadant à la diable tout droit vers la mer ;
elles évoquent comme nous
leur passé, leur présent, leur poids de malheur
– sur les vagues des ombres de vieil argent poli.
Ici, ailleurs
où retrouver notre temps gaspillé ?
(J’ai voulu remonter l’une de ces ruelles pour voir ce qu’il
y avait de l’autre côté. Mais plus je grimpais et plus elles
s’allongeaient. Tu comprends ça toi ? Faut-il y renoncer ?)
Qu’attends-tu de moi ? Daniel Delort Imprimeur
L’observateur du tournant – ( RC )

photo Annabelle Chabert
–
Il y a des lieux comme ça,
Qui nous sont familiers,
On les emprunte si souvent,
Qu’ils s’incrustent dans l’esprit :
Telle pente,
et la lumière qui la frôle,
Tel arbre, sentinelle,
s’étoffe de feuilles,
selon les saisons, – et le serpent grisé
de la route ici, dans cette épingle à cheveux,
- la première des trois avant d’arriver au plateau –
Où le virage prend les couleurs du destin,
Le passé, le futur…
C’est à droite ? : Il faudra descendre,
faire attention à ne pas freiner les jours d’hiver,
quand le verglas guette…
– Et puis se poster là,
selon les jours,
au même endroit.
Poser l’appareil sur son pied,
précisément à la même place,
marquée d’une croix rouge.
Enregistrer tout ce qui se passe,
Que cela soit au petit matin,
ou à l’heure verticale
quand le soleil ne fait presque pas d’ombre .
Attendre…
… attendre qu’il se passe quoi ?
Qu’une biche traverse la chaussée, juste dans le champ de l’appareil ?
Attendre que les motards se succèdent ( le week-end),
se penchent pour mieux aborder le virage,
et compenser la force centrifuge
> ( notions de physique me restant du lycée ).
Pouvoir comptabiliser le trafic :
combien de véhicules se sont succédé ce mardi,
combien montaient, et d’où venaient-ils ?
( leur immatriculation ), et s’il y avait des camions parmi eux.
Attendre que la pluie cesse,
attendre que les engins curent les fossés,
que les employés municipaux
consolident la murette ?
Qu’une pomme de pin se détache et roule sur la chaussée,
selon la pente …
—
Je ne sais pas si se poster là, équivaut à être un témoin,
si jamais il se passe quelque chose
à observer les passages, et les transformations, du temps…
Je ne sais pas….
Peut-être Van Gogh non plus ne savait pas pourquoi
le chemin se sépare en deux,
dans sa dernière peinture, devant son champ de blé.
> Il était là, et c’est tout.
–
RC – juin 2015
–
ceci est une réaction à l’article « photographique » de Jean-Marc Undriener http://www.fibrillations.net/GYAANDS-TOUYANANTS
Dialogue de seul – ( RC )
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Une histoire avec soi-même
S’il en est ainsi et qu’on la vive
En étant son premier témoin
Son premier lecteur
Une histoire personnelle
Qui se lit en travers
Au travers des âges
Seul on se croit, seul on se vit
Partageant les élans et les peines
Trop lourdes
Se raconter des histoires
Sans témoin
Les histoires d’amour
Inaccomplies
Et les larmes
Qui finissent par déborder,
Mais toujours accompagnées
De ce qui aurait pu être,
Et,
Toujours fidèle compagne,
Sans jamais sortir de la chair *
La solitude
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RC – 19 janvier 2013
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Sans jamais sortir de la chair * est le titre d’un ouvrage récent de Joël Bastard
Le banc, au fond de l’allée (RC)
Le banc, au fond de l’allée
—
–
Au fond de l’allée, il y a un banc
C’est là, souvent, que je m’arrête , et attends
Près d’une murette , recouverte de mousse
Des parterres de fleurs, puis , une herbe douce
Arrête-toi, au fond de ce jardin,
Et que de nouveau, hier soit demain !
Je revois ta silhouette, pleine de grâce
Dans mon souvenir imprégnée, qui passe
Et joue avec les cerisiers en fleurs
L’ombre et la lumière, en fraîcheur
Mais tu ne reviendras plus,… dans l’attente
Je ne fais que compter , les heures lentes
Invoquer les souvenirs, prendre tes mains
Inverser le couplet et les refrains
Remonter le cours du temps, et ses jours
Qui imprimaient les pas, de l’amour
C’est mon coeur, qu’il faudrait prendre à témoin
A crier , pour te savoir vivante, même loin
Il n’y a plus, dans ce jardin, que mes traces
Et sur le sol, lentement s’aventure, une limace.
Monet: jardin à Giverny
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RC – 14 avril 2012
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Samih al-Qassim -Testament d’un homme qui meurt en exil

peinture " fire painting" Yves Klein
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( extrait d’une anthologie du poème arabe moderne, de A. K. El Janabi et Mona Huerta—-> suivre ce lien)
Testament d’un homme qui meurt en exil
Allumez le feu
Pour qu’au miroir des flammes
Je voie la cour de la maison, le pont
Et les champs dorés.
Allumez le feu pour que je voie mes larmes
La nuit du massacre
Que je voie votre soeur, cadavre
Au coeur déchiqueté comme un oiseau
Par les langues et les vents métis
Allumez le feu pour que je voie
Votre soeur comme un cadavre,
Le jasmin comme un linceul
Et la lune comme un encensoir
La nuit du massacre
Allumez le feu pour que je me voie mourir
Mon soupir désespéré sera votre héritage,
Mon soupir désespéré
avant que le jasmin ne devienne témoin
Que la lune ne devienne témoin
Allumez le feu pour que vous puissiez voir
Allumez le feu…
–
Arthémisia – elle sait

dessin: l'homme qui marche - Alberto Giacometti