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Chevalet triste – ( RC )


peinture: Alice Rotival – Chinghetti 2012

 

C’est cet endroit
suspendu dans le temps
qui semble se refermer dans le sommeil ,
où la poussière se dépose
lentement
et finit par tout recouvrir .

L’atelier est désert
depuis la mort du peintre.

Il y a encore des tubes
aux couleurs incertaines .
Ils voisinent une palette éteinte,
quelques pinceaux raides,
et une ébauche qui attend depuis longtemps
sur ce chevalet triste .

Les odeurs de térébenthine
ne sont qu’un lointain soupir .

Vernis fossilisés,
essences évaporées,
tout est déserté ,
sauf les toiles d’araignées
ayant occulté complètement
les fenêtres de l’atelier .

Le deuil se pare d’un voile épais,
juste propice à l’attente .

Le silence même
est à l’image de ces insectes ,
desséché,        vide de sa substance
prisonnier de l’immobilité .
Le sommeil de la peinture
aux gestes arrêtés, voué à l’éternité .


RC- juin 2019

 

voir aussi  une parmi les nombreuses  aquarelles de David Chauvin


Tubes, couleurs, palettes, tableaux – ( RC )


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On n’imagine pas
comment les familles de pâtes
prisonnières
libèrent leurs couleurs
sur les palettes :
– arcs-en-ciel bousculés ,
petits tortillons calmes,
dans l’attente de la toile
où grésillent déjà des ocres
et les rouges.

On n’imagine pas non plus,
comment ces mêmes couleurs,
extraites des tubes,
– à la manière des bernard-l’hermite
sortant la tête de leur abri – ,
vont tout à coup envahir
les zones encore vierges ,
lutter contre d’autres,
ou s’y fondre
en chatoiements discrets.

C’est que chaque peintre
a son regard,
que la lumière provoque,
et bouscule .
De palettes identiques ,
la douceur des pinceaux,
la fureur des brosses
laissent des empreintes
chaque fois différentes
organisées en accords vibrants .

Tubes alignés dans l’attente,
les flacons de vernis sont en transe,
encore immobiles,
mais constatent que le peintre
les allient à l’ivresse des songes
ourlés d’essence de térébenthine ,
en couches opaques ou translucides.
Le tableau en est l’écran
où se concrétise sa vision
( et du même coup, la nôtre ).


RC – juin 2019


Erri de Luca – la brebis brune


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photo denvedarvro  ( écomusée  du musée de Rennes )

 

 

La brebis brune

Est la première agressée par l’éclair et le loup,
le tour de mauvaise chance qui gâte la couleur uniforme
du blanc troupeau.
Le jour la chasse, la nuit l’accueille
dans le noir térébenthine qui dissout couleurs et contours
et fait qu’elle ressemble aux autres.
La nuit est plus juste que le jour.
Face au danger le cri le plus limpide est le sien,
sur la glace de l’aube c’est elle qui marque la trace.
Où passent les confins, elle seule longe la haie de mures
Qui fait frontière à la vie frénétique, féroce, qui ne donne répit.

La pecora bruna

È la prima aggredita dal lampo e dal lupo,
lo scherzo di mala fortuna che guasta il colore uniforme
del bianco di gregge.
Il giorno la scaccia, la notte l’accoglie
nel buio d’acqua ragia che scioglie colore e contorno
e fa che assomigli alle altre.
La notte è più giusta del giorno.
In faccia al pericolo il grido più limpido è il suo,
sul ghiaccio dell’ alba la traccia è battuta da lei.
Dove corre il confine, lei sola rasenta la siepe di more,
e chi si è smarrito si tiene al di qua della pecora bruna,
che fa da frontiera alla vita veloce, feroce, che tregua non dà.

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traduction par Antonio Silvestrone : voir son site