Théo Léger – les dieux

Les beaux, les nobles, ce sont eux sans nul doute
qui nous donnèrent le feu et la rapide roue au caisson du char.
Le globe qui traverse en volant la Neige et l’Avril,
à l’Homme et à l’Abeille ils l’ont donné.
Sur le rivage de la mer des Ténèbres où. la Terre se noie
ils édifièrent leur palais. La demeure, ils la bâtirent
dans la flamme et le sifflement des vipères
pour que dansent la danse des masques, les sauvages.
Ils donnent mesure au Temps aérien, ils font rouler les soleils
mais ils ne savent rien des puissants ateliers
enclos dans la goutte de rosée aux ramures de l’Arbre de Mai
qui forgent sans répit la création du Monde.
(Théo Léger- 1960)
Théo Léger – Beauté des temps révolus
Peinture: Giovanni Boldini
Elles traversaient les profondeurs de l’argent des miroirs.
D’une fragrance de chevelure aux parfums érotiques,
d’une jaillissante malice de dentelles couvrant leur chair
où luisaient les globes fragiles soumis aux caresses de l’homme,
de leur murmure d’éventails, de leur secret de bagues
dont les fourmis laborieuses ont mémoire au musée
sous les racines d’un monde vert
qu’est-il resté ? Rien. Ton seul sourire :
un papillon de cils battant contre une lèvre d’amant
la crispation de doigts malhabiles.
Sur les draps de la nuit était-ce
cris de naissance ou de mort? Cela, les horloges l’ignorent.
Théo Léger (1960)
Theo Léger – Le courtisan

photo extraite du film « Ridicule »
-LE COURTISAN
Pareil à la sculpture indispensable aux palais
à l’architecture d’une salle de bal
Virtuose des redoutes, Cicérone des alcôves de la cour,
tel le voilà! si léger qu’il tourne à tout vent.
Il s’exerce à la danse : art très utile
Aux temps du carnaval
d’un tour de valse il fait tomber dans la disgrâce
des tribus tout entières.
Rompu aux méandres du jeu,
il suffit qu’au moment juste
un nom lui tombe des lèvres entre deux airs,
avant que sa main ne marque la nouvelle cadence
un bouquet de têtes ennemies
déjà s’est fané aux potences.
Il est tout agilité, mémoires de balcons secrets,
d’un toucher de prophète si parfait
qu’en te serrant la main
il connaîtra ta place au banquet de l’an prochain.
Il peut si nécessaire (on ne soupçonne les amoureux)
s’éprendre d’une Juliette
traînant tête vide une clameur de ragots
qui lui dira le temps précis d’abandonner des murs branlants
et d’attendre que pâlissent les traces de sang.
Puis, à l’heure où les maîtres nouveaux regardent
écœurés d’ail, obèses de choucroute, nostalgiques
l’île déserte d’un morne trône, le revoilà!
–
{Théo Léger) (1963)
Théo Léger – Perdu dans la Montagne un soir de novembre
Perdu dans la Montagne un soir de novembre
Amples demeures des morts. La sourde. L’endormie.
J’entends se déchirer la caresse des branches
contre sa pierre énorme
j’entends la violente larme des torrents.
Je rôde sur une rive de fumée.
J’éveille une barque l’eau neutre les roseaux.
Je trouble à peine leur silence.
Je passe et ne laisse aucune ombre.
Chemin perdu, j’appelle.
A peine un écho me répond
un vent d’hiver.
Où sont les anciens voyageurs ?
Où sont mes camarades mes frères ?
Où sont ils ?
Soupir innombrable des pins contre une pente obscure.
–
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Théo Léger – Le courtisan
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LE COURTISAN
Pareil à la sculpture indispensable aux palais
à l’architecture d’une salle de bal
Virtuose des redoutes,
Cicérone des alcôves de la cour,
tel le voilà! si léger qu’il tourne à tout vent.
Il s’exerce à la danse : art très utile
Aux temps du carnaval
d’un tour de valse il fait tomber dans la disgrâce
des tribus tout entières.
Rompu aux méandres du jeu, il suffit qu’au moment juste
un nom lui tombe des lèvres entre deux airs,
avant que sa main ne marque la nouvelle cadence
un bouquet de têtes ennemies
déjà s’est fané aux potences.
Il est tout agilité, mémoires de balcons secrets,
d’un toucher de prophète si parfait
qu’en te serrant la main
il connaîtra ta place au banquet de l’an prochain.
Il peut si nécessaire (on ne soupçonne les amoureux)
s’éprendre d’une Juliette
traînant tête vide une clameur de ragots
qui lui dira le temps précis d’abandonner des murs branlants
et d’attendre que pâlissent les traces de sang.
Puis, à l’heure où les maîtres nouveaux regardent
écœurés d’ail, obèses de choucroute, nostalgiques
l’île déserte d’un morne trône, le revoilà!
{Théo Léger) (1963)
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