Bernard Vanel – Changefège

photo RC – causse de Changefège
_
L’hiver incline l’homme au refuge des chambres, à la braise des bûches et au secret des lampes. Des hauts de Font Fadette, je regarde arriver, à l’horizon de Changefège, une nouvelle giboulée. Et c’est toujours ainsi.
C’est d’abord un brouillard, au loin, qui se rapproche. On dirait la fumée d’un incendie qui couve. Elle finit par effacer l’échancrure inutile de la vallée du Lot. Elle avance à boucher presque tout le paysage. Puis le ciel s’époussette, au-dessus de la ville, en tourbillons mélancoliques et Mende disparaît dans l’inquiétude des éclipses. Il neige. Mais cela dure peu ; le peu de temps, pas plus, que la giboulée passe. Lorsque les toits éteints quelques instants plus tôt, se dégagent du gris, les voilà saupoudrés de poignées de farine ; et des coulées de lait ruissellent sur les flancs du vieux causse transi. Mais vite le soleil fait vadrouiller son disque derrière les nuages, le ciel vient s’essuyer au mouchoir bleu d’une éclaircie et les lointains de Changefège dessinent à nouveau la ligne d’horizon.
Et c’est toujours ainsi.
extrait du « passager de Mende » ed le Bousquet-la Barthe
Guy Goffette – Premier rendez-vous avec la lumière
Il aime cette attente et ce geste de verser l’eau bouillante,
tandis que l’eau du temps coule sur les toits où seuls encore,
tels des cris de coqs, percent les cous rouges des cheminées.
Le café passe lentement, noir comme un coup de poing :
la nuit est morte.
Pierre, qu’il soit ou non amoureux, se lève tôt.
De peur de manquer ce premier rendez-vous avec la lumière, quand l’œil,
encore mal débarbouillé des songes,
n’est qu’un œuf sous la paille des cils.
Pierre Seghers – le toit s’est enfui
baie de Chesapeake. Maison aux Pays-Bas
« Le toit s’est enfui
La pluie est entrée
De vivre en aimant
Ce fut impossible
Futile bonheur
Fut-il pris pour cible ?
Il n’en reste rien
Qu’un corps éventré. »
(extrait de « La maison des sables »)
Henri Pourrat – Le clos au levant
Lorsque le soleil se lève,
Il se lève sur un clos :
La fraise y vient sous la fève,
Le cassis sous le bouleau.
Loin des fumées du village
Et des jardins en casiers,
Un clos qui sent le sauvage,
Plein d’ombre et de framboisiers.
J’entends le vent des collines
Qui m’apporte son odeur
De cerfeuil et de racine,
Son goût d’herbe de senteur.
Juste un toit pour notre couette
— Les nuits sont fraîches, l’été —,
Et puis, comme l’alouette,
Y vivre de liberté.
Henri POURRAT « Libertés » in « Anthologie des Poètes de la N.R.F. »
Guillevic – Recette
Peinture: Ch Soutine: rue à Cagnes
Prenez un toit de vieilles tuiles
un peu avant midi.
Placez tout à côté
un tilleul déjà grand
remué par le vent.
Mettez au-dessus d’eux
un ciel de bleu, lavé
par des nuages blancs.
Laissez-les faire.
Regardez-les.
Guillevic (extrait de « Avec » – éditions Gallimard, 196
Denis Scheubel – ce que tu as, ils en font du courant électrique
extrait de « about Rock, Sex ans the cities »
–
Confie-leur ta colère, ce que tu as
Ils en font du courant électrique
En remplissant la salle jusqu’au toit
Et le matin fera de leur art une relique.
Lucie Delarue-Mardrus – Par ma fenêtre ouverte
–
Par ma fenêtre ouverte où la clarté s’attarde,
Dans la douceur du soir printanier, je regarde…
Chaque arbre, chaque toit qui s’élance dans l’air,
Tel le roc qui finit où commence la mer,
Marque la fin d’un monde au bord d’un autre monde.
Ici la terre et là le vide où, toute ronde,
Cette terre, toupie en marche dans l’éther,
Sans sa pauvre ceinture d’air
Ne serait à son tour qu’une lune inféconde.
Je contemple ce toit et cet arbre, montés
Vers l’insondable énigme et ses immensités.
En bas, la rue est calme et le printemps tranquille.
Rien ne trouble la paix de la petite ville.
On entend au lointain un merle. Il fait très beau.
C’est tout.
— Pourquoi mes yeux regardent-ils si haut ?
L D-M
—
( beaucoup des créations de l’auteure peuvent être lus sur le site qui lui est consacré)
Joseph Brodsky – Elégie
–
ÉLÉGIE
Ma bonne amie, c’est bien toujours le même
bistrot, le même barbouillage aux murs,
les mêmes prix… Le vin est-il meilleur?
Je ne crois pas. Non, ni meilleur ni pire.
Pas de progrès, et c’est très bien ainsi.
Seul le pilote de l’avion postal
picole, ange déchu.
Les violons
continuent de troubler, par habitude,
mon imagination.
A la fenêtre,
blancs comme la virginité, des toits.
Les cloches sonnent. Il fait déjà sombre.
Pourquoi as-tu menti?
Pourquoi mon ouïe
ne sait plus distinguer la vérité
et le mensonge, veut des mots nouveaux,
sourds, étrangers, que tu ne connais pas
mais qui ne peuvent être prononcés
que par ta voix, comme avant…
Joseph Brodsky
1968
(Traduit par Michel Aucouturier)(éditions Gallimard)
–