Alicia Galienne – Nous nous noyons de fleurs grandissantes et vulnérables

Isoler tes lèvres
Les fleurs nouvelles
Et tes grands yeux d’eau
Qui vont la nuit sur les toits
Cueillir d’autres fleurs
Promener les champs de nuit
Isoler tes regards
Les cacher sans malice
Lorsque tu baisses les yeux
Sur moi sur nous
Nous marchons les fleurs
Sans trop nous approcher des fenêtres
Vacantes d’espace
Et les toits remplis de pluie
Se vernissent de lune
Je n’ai jamais eu de souliers vernis
« L’amour est enfant de bohème »
Et je danse pieds nus
Ruisselantes les ardoises du ciel
Et toutes les fleurs nouvelles
Amène-moi dans ta bouche de pluie
Boire les lacs sucrés
Qui s’en vont dérisoires
Au-delà de mes cheveux
Nous nous noyons de fleurs
Grandissantes et vulnérables
Sur des murs rampants
Comme des astres
Tu m’envoies
Chaque jour davantage
Tu m’en voles
Par centaines de fois
C’est la danse aux fleurs
Au-dessus des toits navigués
Isoler tes gestes dans l’air
Pour te répéter lorsque tu manques
Au petit matin
extrait de « » l’Autre moitié du songe m’appartient » ( ed Sophie Noleau )
Orhan Veli – En mal de mer

Des bateaux traversent mes rêves
Par-dessus les toits, bateaux pavoisés ;
Moi le malheureux,
Moi en mal de mer depuis des années,
Je regarde, regarde et pleure.
Je me souviens de mon premier regard sur le monde
A travers la coquille d’une moule :
Le vert de l’eau, le bleu du ciel,
Le plus moucheté des éperlans…
De la blessure ouverte sur une huître
S’écoule mon sang encore salé
.
Nous étions partis comme des fous,
Au large, vers l’écume toute blanche !
L’écume n’a pas le cœur méchant,
L’écume ressemble aux lèvres ;
Faire l’amour avec l’écume
N’est pas un péché pour l’homme.
Des bateaux traversent mes rêves
Par-dessus les toits, bateaux pavoisés ;
Moi le malheureux,
Moi en mal de mer depuis des années.
d’autres écrits de ce poète turc sont visibles ici entre autres
… d’un rêve en couleurs, comme un tableau de Chagall – ( RC )
peinture: Marc Chagall
Il y a trois chevaux courant dans le ciel,
ils marchent sur des nuages et boivent le vent .
Il y en a un vert, un rouge , un jaune.
Ils galopent au-dessus de la ville.
La tête à l’envers sur le quai de la gare,
les sons et les parfums tournent dans l’air du soir ;
la galaxie est toute proche .
Tu pourrais presque toucher les étoiles.
C’est comme dans un tableau de Chagall .
Un violoniste joue sans partition
de vieux airs yiddish
avec un accordéoniste .
C’est un mouvement de danse
qui t’entraîne au-dessus des toits.
Cette mélodie t’appelle ….
… – d’un rêve en couleurs tu te rajoutes des ailes.
–
RC – mars 2018
Sirènes de Syrie – ( RC )
peinture S Dali
Plantés au sommet du toit
des oiseaux noirs
figés dans la cendre
interrogent les limites d’un monde
où le ciel manque aux disparus
La télé bégaie
des programmes identiques,
que personne ne regarde plus,
et la belle saison ne fleurit plus :
mutante, en couleurs acides,
sur-saturées.
Les girafes sont en feu,
coincées sur l’horizon,
encombré de flocons noirs,
du cri des sirènes métalliques.
Ce ne sont pas celles
qui charmaient les marins de l’Odyssée.
Ou bien la traversée du temps
a transformé la légende
en autant de paroles vénéneuses.
Malgré l’odeur persistante du chlore,
des araignées voraces
étirent leur toile,
et se nourrissent des corps brûlés
abandonnés dans les rues.
–
RC – avr 2017
Colombe, un ange déguisé – ( RC )
dessin: P Picasso
–
Une colombe, ou un ange déguisé
– on ne sait pas –
parcourt un ciel chargé,
les nuages pesant sur les toits.
Une colombe ( ou bien… on ne sait ),
est entrée dans la chambre,
S’est donnée aux miroirs ,
est entrée dans l’oeil,
et l’âme, – peut-être –
tenant dans son bec,
ce qu’il faut d’espoir ,
pour que le regard,
s’échappe au-delà des murs,
accompagne son voyage,
au-delà des orages,
Si loin, si haut,
que le vent, que la mitraille,
ne peuvent pas s’en saisir .
–
RC- nov 2015
Candice Nguyen – Forêt, Femme, Folie, un écho
Forêt, Femme, Folie, un écho
J’habite un pays au-dessus des toits à hauteur de cheminées, sous mes yeux le creux qui s’étend. D’où je viens les eaux sont profondes, les cieux peu cléments, les lendemains incertains. Le grain des voix est cassé par la solitude des départs, de ceux qui durent trop longtemps, pour des destinations lointaines et se répètent souvent. D’où je viens les enfants partent en masse vers les tours de verre et reviennent rarement. D’où je viens les attentes sont plus grandes que par-delà les plaines, rêves à l’automne moins pâle, le crépitement du bois dans les foyers nombreux contre l’hiver intransigeant.
J’habite un pays au-dessus des toits à hauteur de cheminées, sous mes yeux leur absence qui s’étend. D’où je viens les forêts sont pour s’y perdre, les jeunes femmes y partent seules, de nuit, et reviennent quelques matins plus tard le regard fuyant, le ventre vide. Les ruisseaux sont gelés, le poisson prisonnier, des tâches sombres, rouges, se remarquent encore entre les feuillages au pied des arbres. D’où je viens les hameaux s’arrêtent en lisière des forêts, denses, sauvages, redoutées, et l’imaginaire magnifient les femmes et les portent hors de la maisonnée, l’extérieur apprivoisé, le tigre dompté. D’où je viens les hommes sont extérieurs à tout, n’ont rien en propre, pas de tâche assignée, fumer jouer chasser : se faire chasser. Ni des forêts ni des lignées, ils rentrent nus.
Et puis il vint des étrangers comme il en vient à chaque époque, en chaque lieu. On commença alors à faire tomber les arbres aux abords des sentiers et peu à peu nos peurs de la forêt sacralisée furent bientôt remplacées par la peur de sa propre disparition. On nous prédit l’expropriation, l’avènement d’un nouveau dieu, on mit à jour la futilité de nos croyances, à sac nos rites et nos terres. D’aussi loin que je me souvienne, peu ont résisté, il n’est de cycles qui se renouvellent sans le refus de s’enfermer.
Villages morts – figures d’un exode rural – ( RC )
Un hameau abandonné entre Alés et Saint Ambroix (Vallée de la Cèze)
–
En traversant, l’espace d’une déchirure,
Certains diraient « cauchemar »,
Des villages désertés,
Où la vie s’est repliée,
Desséchée. –
–
Certains,
Où se multiplient les vents,
Et battent portes et volets ,
Sur les façades des maisons vides.
–
Et risquant mes pas,
Sur l’absence,
Le cataclysme passé,
Dont on ignore les vraies causes…
–
Le foudroiement lent,
Du défilé des années,
L’impossibilité de continuer,
A subir les assauts de l’hiver,
Où il est juste question de survivre,
–
Alors que l’avenir n’est est plus un,
Que les sources se tarissent…
Et aussi, l’exode vers les villes,
Font, que, petit à petit,
La vie se déplace,
–
Et qu’ici, seuls restent,
Accrochés à leur passé,
Les arbres,
Qui font le lien,
Entre le ciel et la terre,
Si , plus personne ne vit ici.
–
Seuls reviennent,
Le temps de quelques mois,
Les vacanciers,
Epris de paysages champêtres,
–
Fuyant le bruit et la fureur,
Des banlieues grises,
Des appartements étroits,
Et des parkings payants.
–
Mais ce sont des temps d’illusion,
Dont on revient vite,
En faisant la queue, sur les autoroutes.
Car le pays réclame son dû,
Et reprend ses droits
–
Il ne peut pas être regardé,
Comme une simple carte postale,
En couleurs, et seulement en été,
Quand les saisons, sont là,
Comme ailleurs,
–
Et le gel et la boue,.
Et que les ronces prolifèrent,
Dans les maisons abandonnées,,
Aux toits effondrés…
Et sans bétail, les champs aux herbes folles.
–
RC – 20 novembre 2013
–
note: ces « villages morts » sont aujourd’hui une réalité, dans les zones « reculées », où l’accès y est difficile…
… d’autres sont restaurés mais sont sous « perfusion », d’une vie artificielle, quelques semaines dans l’année, et fermés le reste du temps, en particulier dans les zones touristiques, où seul le « loisir en boîte », fait recette,.
C’est bien là que s’exprime de façon évidente , un paradoxe, entre l’apparence, et la vie authentique, symbolisée par l’existence même de ces villages .
–
Pinceau de la ville ( RC )
- peinture: Nicolas de Staël: toits de Paris – 1952
–
Faire que le tout s’étale
à grands coups de spatule
et que la peinture s’écrase
poussant de petits monticules
La matière de surfaces agitées;
—————– la couleur décalée
sous le gris se profile le rouge,
Nicolas , et les toits de Paris
Cliquetant des éclats d’argent
lorsque filtre un pinceau de lumière
au gré du vent, sur la ville
ses écailles y brillent
une nasse fragmentée d’envers,
…. Immobile d’hivers
–
–
RC – 24 novembre 2012
–
voir aussi l’article précédent intitulé simplement Nicolas de Staël
Pierre La Paix Ndamè – il est des regrets debout ou assis…
il est des regrets debout ou assis…

peinture: Aboudia: peinture de la guerre civile ivoirienne.
le vide est loin
de la vie en rut
quand on brise le néant
par le sacre du crime
quand on fuit le ciel
par la porte d’à côté…
voici que la peur s’absente
aux murs remplis de vies
russes… que les souris
complices du pécu nié
cliquent à souhait…
mais le cri amer de la nuit
qui jette sur les toîts troués
du malheur
les versets maudits de la foi
ne s’entendra plus sous la dune…
il est des regrets debout
ou assis… qui nous guettent au passage
en oubliant parfois le bonjour abject
sur les lèvres de poussière
que la faim assèche mal…
nous tremblerons sous les seismes
fictifs des égoïsmes libéraux
abandonnés au froid des jours
et des nuits…
à cause de notre… Barraque
infidèle à la cheminée qui l’incendie…
mais que faire?
tant qu’elle S’Arque Aux I..dées de l’autre…?
mauvaise Polie Tic…
—
Joseph Brodsky – Elegie
–
ÉLÉGIE
Ma bonne amie, c’est bien toujours le même
bistrot, le même barbouillage aux murs,
les mêmes prix… Le vin est-il meilleur?
Je ne crois pas. Non, ni meilleur ni pire.
Pas de progrès, et c’est très bien ainsi.
Seul le pilote de l’avion postal
picole, ange déchu.
Les violons
continuent de troubler, par habitude,
mon imagination.
A la fenêtre,
blancs comme la virginité, des toits.
Les cloches sonnent. Il fait déjà sombre.
Pourquoi as-tu menti?
Pourquoi mon ouïe
ne sait plus distinguer la vérité
et le mensonge, veut des mots nouveaux,
sourds, étrangers, que tu ne connais pas
mais qui ne peuvent être prononcés
que par ta voix, comme avant…
Joseph Brodsky
1968
(Traduit par Michel Aucouturier)(éditions Gallimard)