Alda Merini – dans les ombres du sommeil

gravure Gustave Doré ( de l’enfer de Dante )
Tu es entrée dans les ombres du sommeil
un jour
et tu y as reconnu mon visage exsangue
aligné aux autres sur l’aire du sacrifice.
avec la torche de ton savoir.
Tu as éclairé les ombres de l’enfer.
toi, mère immaculée et triste
pour qui les jours ont été
comme autant de fils.
Pierre Seghers – le bon vin

Ah le bon vin ! de la bouteille rousse
On y buvait le repentir doré
On y buvait la ciguë des forêts
Le vent d’Avril et le diable à ses trousses
Ah le bon vin ! que sa chair était douce
Enlevait-il ses habits de velours
Qu’on l’embrassait comme soleil le jour
Il vous glissait comme un que le vent pousse
Ah le bon vin ! de-ci de-là chantant
Le souvenir des amours impossibles
Le devenir des amours pris pour cibles
Il en riait ou pleurait plus souvent
Ah le bon vin ! mais c’est Yseult la blonde
Avec Tristan qui le boit tout à coup,
Sa main de feu qui leur brûle le cou
Leur incendie qui dévore leur monde !
Ah le bon vin ! c’est la torche et la flamme
Si haut montées que la peur les saisit,
Si haut domptées que la mort les choisit,
Folie se meurt et se meurent leurs âmes…
Ah le bon vin ! que dit le fossoyeur,
Ces deux roussis n’avaient qu’à le point boire…
Et l’oiseleur qui met des ailes à l’histoire
Avec elle s’envole ailleurs
texte extrait du recueil des poètes d’aujourd’hui ( ed seghers)
Emma Lazarus – Le nouveau colosse
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Le Nouveau Colosse
Pas comme ce géant d’airain de la renommée grecque
Dont le talon conquérant enjambait les mers
Ici, aux portes du soleil couchant, battues par les flots se tiendra
Une femme puissante avec une torche, dont la flamme
Est l’éclair emprisonné, et son nom est
Mère des Exilés. Son flambeau
Rougeoie la bienvenue au monde entier ; son doux regard couvre
Le port relié par des ponts suspendus qui encadre les cités jumelles.
« Garde, Vieux Monde, tes fastes d’un autre âge ! » proclame-t-elle
De ses lèvres closes. « Donne-moi tes pauvres, tes exténués,
Tes masses innombrables aspirant à vivre libres,
Le rebut de tes rivages surpeuplés,
Envoie-les moi, les déshérités, que la tempête me les rapporte
Je dresse ma lumière au-dessus de la porte d’or !«
( ces dernières lignes rappelleront une actualité des déshérités de la migration subie )
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le texte original:
- Not like the brazen giant of Greek fame
- With conquering limbs astride from land to land;
- Here at our sea-washed, sunset gates shall stand
- A mighty woman with a torch, whose flame
- Is the imprisoned lightning, and her name
- Mother of Exiles. From her beacon-hand
- Glows world-wide welcome; her mild eyes command
- The air-bridged harbor that twin cities frame,
- « Keep, ancient lands, your storied pomp! » cries she
- With silent lips. « Give me your tired, your poor,
- Your huddled masses yearning to breathe free,
- The wretched refuse of your teeming shore,
- Send these, the homeless, tempest-tost to me,
- I lift my lamp beside the golden door!«
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C’est ce poème qui est gravé sur une plaque fixée dans le socle de la Statue de la Liberté.
Ahmed Mehaoudi – entre nous
–
parfois
il y a des fois
j’ai l’air de sortir des égouts
rien de blanc à servir
ou me taire
ai-je su me taire un jour
il paraît
que se taire
est le privilège des rentiers
avoir l’or
comme divinité
les amis comme pantins
et les pâquerettes pour cirer ses pompes
moi pauvre bavard
à me planter a chaque éclaircie
suis-je rentier
à jeter mes mots par les fenêtres
en être tremper à l’os
les plier comme une torche
allumer en joie
le feu de l’ermite
parfois
il y a des fois
j’en veux à mes yeux
de ne pas voir
où remplir mes poches
il paraît
que le siècle est passé
pour changer le monde…
–
Thierry Metz – Je suis tombé
Je suis tombé
dans mes pas
jusqu’à les suivre.
Jusqu’à ne plus dormir.
Les mères étaient trop loin
et je n’avais qu’une torche
à peine pour me conduire
assez pour passer sous chaque mot.
Et seul, me consumer.
Puis j’ai fait un signe
d’au-revoir.
Il n’y en a eu qu’un pour me dire :
Oui,
tu peux sortir de la maison
nous n’avons plus de visage.
Mais moi je suis sorti avec mon visage. Je continue mon métier dans les feuilles. Sur les talus. Dans les fossés. Près des eaux. Je nettoie les bords.
Je ne fais pas une enquête. J’essaye seulement de retrouver l’assiette et le verre, le soir, sur la table.
Je n’ai rien à signaler que ce que je fais, parmi l’herbe et la ronce.
Quant à mon écriture : c’est une roue qui passe, une brouette de terre. Le reste est dans ma main. Avec la sueur.
Ici il y a plus de 36 chemins. Qui vont nulle part.
Et j’y vais à coup de faux et de trinque.
Le livre est livré au jour, à lui-même. Moi, dehors : j’éclaircis, je cingle l’ortie comme on frappe sur les eaux ; quelque chose alors est rendu au possible, au probable : une aile, une branche, un sourire. Mais comment ne pas faillir hors de ces rares instants, si simples et pourtant toujours remués ? Que vient faire ce que je suis là-dedans ?
Je ne sais pas mais je m’accorde un répit. En attendant la mêlée. Sur une souche. J’ai rassemblé mes gestes comme si c’étaient des chiens, des bâtards. Mais je suis prudent avec eux car c’est partout la faim.
Puis vient le soir, la petite heure. Le carnet est vite dépecé. Le verre de vin est bon. Le feu. Les mille et un petits gestes qui font qu’on ne fait rien.
Qu’on ne fait rien. Que le souffle ou la main n’est admis.
Enfin c’est le sommeil, le drap déplié, le château.
Tout sert d’appui autour de ce qui est à rêver, dans l’oubli. Tout sert dans ce convoi, tiré par des oiseaux. C’est le jour, c’est le ciel, c’est le bonjour d’un passant qui a servi d’appât.
Mais je ne dors pas,
je cherche le soleil.
Je me suis pris les mains dans ce que je disais.
Thierry Metz, Terre, Opales/Pleine page, 1997 ; rééd. 2000
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Thierry Metz – extraits de Terre
–
J‘entraîne mes pas.
Dans une demeure que je n’attendais pas,
si frêle
où ma voix
comme une torche
s’éteint.
Ne s’entend plus
que sur un bûcher.
Mais la voix revient, chargée de foin :
Où sommes-nous ?
Quelle heure est-il ?
Il n’est que maintenant. Et c’est le livre. Et je n’ai rien trouvé d’autre. Mais je sème. Tout ce que je suis. Pour qu’il y ait un chemin au croisement de nos voix.
Je me tais.
J’écoute.
Un oiseau s’est posé sur moi.
Quelqu’un dans la haie a
ouvert un livre
malgré les épines
Thierry Metz
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Marie Nizet – La torche
La torche
Je vous aime, mon corps, qui fûtes son désir,
Son champ de jouissance et son jardin d’extase
Où se retrouve encor le goût de son plaisir
Comme un rare parfum dans un précieux vase.
Je vous aime, mes yeux, qui restiez éblouis
Dans l’émerveillement qu’il traînait à sa suite
Et qui gardez au fond de vous, comme en deux puits,
Le reflet persistant de sa beauté détruite.
Je vous aime, mes bras qui mettiez à son cou
Le souple enlacement des languides tendresses.
Je vous aime, mes doigts experts, qui saviez où
Prodiguer mieux le lent frôlement des caresses
Je vous aime, mon coeur, qui scandiez à grands coups
Le rythme exaspéré des amoureuses fièvres,
Et mes pieds nus noués aux siens et mes genoux
Rivés à ses genoux et ma peau sous ses lèvres…
Je vous aime ma chair, qui faisiez à sa chair
Un tabernacle ardent de volupté parfaite
Et qui preniez de lui le meilleur, le plus cher,
Toujours rassasiée et jamais satisfaite…
Je suis le temple vide où tout culte a cessé
Sur l’inutile autel déserté par l’idole ;
Je suis le feu qui danse à l’âtre délaissé,
Le brasier qui n’échauffe rien, la torche folle…
Marie Nizet. « Pour Axel de Missie ».

peinture: miniature indienne « Chamba »