Tu n’entends pas la rosée du matin ni le souffle du vent dans les bois ni le rire moqueur de la mouette Tu ne vois pas le vif des cerises pulpeuses Tu ne connais pas le mal de la torture Tu ne sens pas sous tes doigts la chair frissonnante de la nubile
Tu ne te bats pas
En vérité tu es déjà mort ou presque
Le métier d’exil Ici on ne meurt pas on rampe
La visière de l’exil projette de l’ombre sur nous et ennuage nos rêves
Ô camarades ! Si mon absence se prolonge l’écharpe risque de ternir et je n’hériterai d’aucun baiser que j’aurais donné
extrait de l’anthologie « points » de la poésie algérienne
poèmes et autres tracts, Éd. Rebelles, Belgique, 2004.
Le regard intérieur se déploie, un monde de vertige et de flamme naît sous le front qui rêve :
soleils bleus, tourbillons verts, pics de lumière qui ouvrent des astres comme des grenades,
solitaire tournesol, œil d’or tournoyant au centre d’une esplanade calcinée,
forêts de cristal et de son, forêts d’échos et de réponses et d’ondes, dialogues de transparences,
vent, galop d’eau entre les murs interminables d’une gorge de jais,
cheval, comète, fusée pointée sur le cœur de la nuit, plumes, jets d’eau,
plumes, soudaine éclosion de torches, voiles, ailes, invasion de blancheur,
oiseaux des îles chantant sous le front qui songe !
J’ai ouvert les yeux, je les ai levés au ciel et j’ai vu comment la nuit se couvrait d’étoiles.
Iles vives, bracelets d’îles flamboyantes, pierres ardentes respirantes, grappes de pierres vives, combien de fontaines, combien de clartés, de chevelures sur une épaule obscure,
combien de fleuves là-haut, et ce lointain crépitement de l’eau sur le feu de la lumière sur l’ombre. Harpes, jardins de harpes.
Mais à mon côté, personne. La plaine, seule : cactus, avocatiers, pierres énormes éclatant au soleil.
Le grillon ne chantait pas,
il régnait une vague odeur de chaux et de semences brûlées, les rues des villages étaient ruisseaux à sec,
L’ air se serait pulvérisé si quelqu’un avait crié : « Qui vive ! ».
Coteaux pelés, volcan froid, pierre et halètement sous tant de splendeur, sécheresse, saveur de poussière,
rumeur de pieds nus dans la poussière, et au milieu de la plaine, comme un jet d’eau pétrifié, l’arbre piru.
seulement du sang, seulement de la poussière, seulement des foulées de pieds nus sur les épines
seulement des guenilles, un repas d’insectes et la torpeur à midi sous le soleil impie d’un cacique d’or ?
Pas de hennissements de chevaux sur les rives du fleuve, entre les grandes pierres rondes et luisantes,
dans l’eau dormante, sous la verte lumière des feuilles et les cris des hommes et des femmes qui se baignent à l’aube ?
Le dieu-maïs, le dieu-fleur, le dieu-eau, le dieu-sang, la Vierge, ont-ils fui, sont-ils morts, amphores brisées au bord de la source tarie ?
Voici la rage verte et froide et sa queue de lames et de verre taillé, voici le chien et son hurlement de galeux, l’agave taciturne,
le nopal et le candélabre dressés, voici la fleur qui saigne et fait saigner, la fleur, inexorable et tranchante géométrie, délicat instrument de torture,
voici la nuit aux dents longues, au regard effilé, l’invisible silex de la nuit écorchante,
écoute s’entre-choquer les dents, écoute s’entre-broyer les os,
le fémur frapper le tambour de peau humaine, le talon rageur frapper le tambour du cœur, le soleil délirant frapper le tam-tam des tympans,
voici la poussière qui se lève comme un roi fauve et tout se disloque et tangue dans la solitude et s’écroule comme un arbre déraciné, comme une tour qui s’éboule,
voici l’homme qui tombe et se relève et mange de la poussière et se traîne, l’insecte humain qui perfore la pierre et perfore les siècles et ronge la lumière voici la pierre brisée, l’homme brisé, la lumière brisée.
Ouvrir ou fermer les yeux, peu importe ? Châteaux intérieurs qu’incendie la pensée pour qu’un autre plus pur se dresse, flamme fulgurante,
semence de l’image qui croît telle un arbre et fait éclater le crâne, parole en quête de lèvres,
sur l’antique source humaine tombèrent de grandes pierres, des siècles de pierres, des années de dalles, des minutes d’épaisseurs sur la source humaine.
Dis-moi, sécheresse, pierre polie par le temps sans dents, par la faim sans dents, poussière moulue par les dents des siècles, par des siècles de faims,
dis-moi, amphore brisée dans la poussière, dis-moi, la lumière surgit-elle en frottant un os contre un os, un homme contre un homme, une faim contre une faim,
jusqu’à ce que jaillisse l’étincelle, le cri, la parole, jusqu’à ce que sourde l’eau et croisse l’arbre aux larges feuilles turquoise ?
Il faut dormir les yeux ouverts, il faut rêver avec les mains, nous rêvons de vivants rêves de fleuve cherchant sa voie, des rêves de soleil rêvant ses mondes,
il faut rêver à haute voix, chanter jusqu’à ce que le chant prenne racine, tronc, feuillage, oiseaux, astres,
chanter jusqu’à ce que le songe engendre et fasse jaillir de notre flanc l’épine rouge de la résurrection,
Veau de la femme, la source où boire, se regarder, se reconnaître et se reconquérir, la source qui nous parle seule à seule dans la nuit, nous appelle par notre nom, nous donne conscience d’homme,
la source des paroles pour dire moi, toi, lui, nous, sous le grand arbre, vivante statue de la pluie,
pour dire les beaux pronoms et nous reconnaître et être fidèles à nos noms, il faut rêver au-delà, vers la source, il faut ramer des siècles en arrière,
au-delà de l’enfance, au-delà du commencement, au-delà du baptême, abattre les parois entre l’homme et l’homme, rassembler ce qui fut séparé,
la vie et la mort ne sont pas deux mondes, nous sommes une seule tige à deux fleurs jumelles, il faut déterrer la parole perdue, rêver vers l’intérieur et vers l’extérieur,
déchiffrer le tatouage de la nuit, regarder midi face à face et lui arracher son masque,
se baigner dans la lumière solaire, manger des fruits nocturnes, déchiffrer l’écriture de l’astre et celle du fleuve,
se souvenir de ce que disent le sang et la mer, la terre et le corps, revenir au point de départ,
ni dedans, ni dehors, ni en dessus ni en dessous, à la croisée des chemins, où commencent les chemins,
parce que la lumière chante avec une rumeur d’eau, et l’eau avec une rumeur de feuillage,
parce que l’aube est chargée de fruits, le jour et la nuit réconciliés coulent avec la douceur d’un fleuve,
le jour et la nuit se caressent longuement comme un homme et une femme,
comme un seul fleuve immense sous l’arche des siècles coulent les saisons et les hommes,
là-bas, vers le centre vivant de l’origine, au delà de la fin et du commencement.
Nous vivons ici-bas une main serrée sur la gorge. Que rien ne soit possible était chose connue de ceux qui inventaient des pluies et tissaient des mots avec la torture de l’absence.
C’est pourquoi il y avait dans leurs prières un son de mains éprises du brouillard.
Au survol du printemps
Finalement, l’aile ouverte,
S’appuyant sur l’atmosphère,
Endolorie,
Ira se fondre
Et saigner dans d’été,
Une halte et un autre virage
peut être conduit au repos
Une ville abandonnée
Aux insignes blanchis ,
Le bois torturé
Au soleil ardent,
Les voitures,aux modèles lourds,
Fantômes rouillés,
immobilisés,
Dans les herbes hautes,
Elles vont à la reconquête
des prairies vides.
Peut-être pour l’oiseau migrateur,
L’occasion de se poser,
Quand le vent agite
Et secoue de vieilles tôles,
De vieilles enseignes,
– grincements –
Et ce qu’il reste de rues,
Poussiéreuses,
Menant plus loin à l’Ouest.
Suivre ainsi ,très loin,
Les routes rectilignes,
sous la course des nuages.
L’or du Far-West,
A filé entre les doigts,
De migrants de tout ordre,
Repartis d’ici, comme ils sont venus,
Incongrus
Poursuivant une richesse improbable,
Toujours ailleurs.
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Flyover spring
Finally, the wing open
Relying on the atmosphere,
sore,
Will go blend
And bleed into summer
A stop and another turn
may be conducted for a relaxing break
An abandoned city
To the bleached insignias
The tortured wood
Under burning sun,
Cars, heavy models
Rusty ghosts
immobilized
In the tall grasses,
They go to the reconquest
Of empty grasslands.
Perhaps for migratory birds,
The opportunity to arise,
When the wind moves
And shakes oldmetal sheets ,
Old signs,
– Grinding –
And what remains of streets,
Dusty,
Leading further to the west.
Follow thus them far,
The straight roads
Under the course of the clouds.
The gold of the Far West
Passing between the fingers,
Of all kinds of migrants,
Left from here, as they came,
Incongruous
Continuing with an unlikely wealth
j’ai trouvé un nouveau texte du poète cubain Armando Valladares, qui va dans ce sens, et qu’on peut lire ici…
– j’ai fait une légère modification ( à la fin) sur la traduction proposée.. voir
Armando Valladares.Poeta cubano. « Cavernas del silencio »1983
Tu dis être libre
-je ne sais pas si tu y crois
mais au moins le dis-tu.-
La liberté n’est pas espace
où l’on peut marcher
pas même un lit
où coucher à deux.
Tu dis être libre
et tu n’as pas de mots
car tu ne fais que répéter
-bouche fermée-
ceux qui te sont donnés.
La liberté n’est pas un pain
-parfois sur la table-
ni un peu de bière
ou de quoi fumer un peu.
La liberté c’est faire ceci :
écrire ce que tu penses
hurler ce que tu détestes
même si tu dois le payer
par des années de torture
même si tu meurs de l’enfermement
dans cette solitude.