Fin de partie – ( RC )

1944- front Max Ernst and Dorothea Tanning play with Max Ernst Chess Set; back Muriel Streeter and Julien Levy play with a Bauhaus Chess Set
Sur le trottoir de l’avenue
le vent fouettait les oriflammes.
Je suivais la diagonale,
et le cavalier m’indiquait la voie,
sans que le soleil ne se montre…
J’ai emprunté dans une vitrine
le reflet de la boulangère anachronique,
habillée à l’ancienne d’un hénné
et d’un vieux tablier.
Fixé sur place par une pesante cotte de mailles,
je n’ai pu empêcher la tour de s’avancer.
Elle m’a barré la route
pendant que, du beffroi
la cloche la plus grave
marquait la fin de la partie.
RC – août 2020
Philippe Delaveau – alouette
L’alouette au sommet de sa tour flambe seule, veillant l’air bleu, dictant
au ciel son allégresse. Et par ses yeux le poème connaît
le verbe, illuminé de verreries, puis le beau rythme
dont les arches assoient le pont sur le fleuve silence.
Et l’habitante au fond de moi, la secrète intangible admire
les mots soudain en ordre sans comprendre. Je ne suis rien
que l’instrument que l’on accorde à la lumière.
( Calendrier de la poésie francophone 2011)
Francis Combes – Le cerisier du Japon
Le cerisier du Japon
J’ai fait la connaissance d’un cerisier du Japon,
(un sakura autrement nommé prunus serrulata),
planté sur la terrasse
au sommet de la Tour Périscope
avenue d’Italie
dans le treizième arrondissement.
Assis dans la salle de réception du dernier étage
nous sommes entourés de baies vitrées qui dominent Paris,
Paris qui se cache tout en bas
dans un brouillard gris et doré
comme si le monde entier
souffrait de cataracte.
A côté de nous, une piscine
à l’œil bleu et clair, dort,
transparente et tranquille,
sans une vague.
Nous sommes loin du tsunami,
loin du tremblement de terre
et de l’accident nucléaire…
Pendant la lecture de poésie,
je regarde le prunus à travers la vitre épaisse.
Ses branches lourdes de fleurs roses en grappes serrées,
que bousculent les bourrasques et les giboulées…
Le prunus tient bon
au milieu des courants d’air contraires, dans le vent des hauteurs.
Ambassadeur, malgré lui, d’un pays qu’il ne connaît pas.
Et je me dis, même si certains le nient,
que nous sommes bien sur le même bateau,
chahuté par la tempête.
La planète comme la barque de bois clair
que nous porte le serveur du restaurant de sushis
et nous,
qui nous serrons à bord.
.
.
.
.
–
De l’ascension, à la mobilité des lunes – ( RC )
–
Les efforts d’une ascension,
Où notre propre poids, nous tire en arrière,
Enfin couronnés de succès,
Lorsque le sentier s’aplanit,
Hésite entre des rochers,
S’enfonce dans les bois,
Alors que le ciel se raye,
Au dessus de ma tête,
De la trace blanche d’un avion,
En pointillé entre les nuages,
Et tirant des géométries,
Ignorant obstacles et reliefs.
…. A encore haleter,
De l’air coupant de la montée,
S’il faut encore savoir,
Où poser les pieds,
Entre les pierres,
Et quelquefois les flaques,
Je peux guetter,
A quelque distance,
L’abrupt d’une crête,
Couronnée d’une tour.
C’est sans aucun doute
Un point de vue remarquable .
> Un promontoire ,
Qui est comme promesse,
Une balise , posée là,
Accrochée à mi-chemin du ciel,
Probablement avant la descente,
Et le retour vers des zones,
Plus hospitalières.
…… Un panorama, où le regard
Planerait lentement au-dessus des vallées.
Mais arrivé à cet endroit, – Juste des falaises,
dépassant d’une masse cotonneuse,
D’un paysage nappé d’épaisses brumes.
Le silence alors, s’étendant, nu,
Et sans l’aimable courbe des vallées,
attendue,
Renvoyant à la mobilité des lunes.
–
RC – février 2014
Thomas Duranteau – Ne pas savoir
Ne pas savoir
qui du puits
qui de la tour
est le reflet de l’autre.
Thomas Duranteau – oiseau traverseur
–
Ne pas savoir
qui du puits
qui de la tour
est le reflet de l’autre
Un oiseau en forme de bouche
traverse
la pesanteur de la pierre
Thomas Duranteau
—
et un autre poème sur le même thème de la tour:
extrait des « Ecrits du nord »
—
La tour prend parfois
son origine
dans une main
ouverte au ciel
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Robert Juarroz – Nous rêvons d’un lecteur parfait
Robert Juarroz – Nous rêvons d’un lecteur parfait (Soñamos con un lector perfecto, 1994)
Nous rêvons d’un lecteur parfait.
Supérieur à nous.
Meilleur aussi que la propre lecture faite par nous-même.
Nous écrivons pour lui même s’il n’existe pas.
Nous ne pouvons pas ne pas ressentir sa présence cachée derrière ce silence que les mots entraînent comme une tunique fendue.
Si nous persistons dans ce métier désolé d’ériger des tours sans échafaudage,
peut-être que le lecteur absent se réveillera un jour là où le lecteur n’est plus nécessaire, puisqu’à la fin toute lecture se lit seule.
***
Roberto Juarroz (1925-1995) – Quatorzième poésie verticale (Decimocuarta poesía vertical, 1994)
Stephan Zweig – le joueur d’échecs

photo: Marcel Duchamp, jeu d'échecs. NB: le célèbre artiste, a fait plusieurs peintures représentant le jeu, il existe aussi plusieurs photographies le montrant en "action"... en voici une
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Du matin au soir, je ne voyais que pions, tours, rois et fous et je n’avais en tête que a,b,et c, que mat et roque.
Tout mon être, toute ma sensibilité se concentraient sur les cases d’un échiquier imaginaire .
La joie que j’avais à jouer , était devenue un désir violent, le désir d’une contrainte, d’une manie, une fureur frénétique qui envahissait mes jours et mes nuits.
Je ne pensais plus qu’échecs, problèmes d’échecs, déplacement des pièces.
Souvent , m’éveillant le front en sueur, je m’apercevais que j’avais continué à jouer en dormant.
Si des figures humaines paraissaient dans mes rêves, elles se mouvaient uniquement à la manière de la tour, du cavalier , du fou .