Un dimanche à la fête des morts – ( RC )

Les pierres sont immobiles.
laminées par le temps,
leur couleur est passée,
comme celles des photos
qui y sont accrochées,
ternies,
dans de petits médaillons.
On imagine un peu
ceux qui ont vécu,
le regard perdu
à travers le rideau des années
qui nous séparent d’eux
davantage que les chaînes argentées.
Les tombes voisines sont luisantes de pluie,
c’est toujours en novembre
que semble mourir l’automne,
et que s’échouent les fleurs,
qui perdront inéluctablement
leurs couleurs.
Tu te souviens de la Toussaint,
des demeures massives
en granite poli,
et du gravier blanc
que tu trouvais si joli.
Tu en prélevais un peu
pour dessiner un coeur,
pour répondre aux formules
écrites en noir
sur le fond émaillé.
« A ma soeur chérie » ,
« à mon oncle bien aimé.. ». etc
Puis il fallait s’en retourner,
laisser tranquilles ceux
qui ont le sommeil éternel,
auprès des cyprès centenaires.
La mort est un jour sans fin,
qui ne se contente pas
de fleurs sacrifiées…
la vie ne compte
que ceux qui meurent,
en effeuillant les pages du calendrier ;
le chagrin et l’absence demeurent
pour ceux qui se souviennent.
Je ne parlerai pas des chrysanthèmes
fanant dans leur vase,
des allées désertes,
et des croix qui penchent.
C’était un dimanche,
la fête des morts
( on imagine mal qu’ils dansent
quand tout le monde est parti ).
Le vent a arraché les dernières feuilles
des platanes de l’avenue.
Eux aussi sont en deuil.
Ils secouent leurs branches
comme des membres décharnés :
ils sont les gardiens des ténèbres,
mais attendent le retour du printemps
près de l’enclos funèbre.
Toussaint – Susanne Derève –

.
Ne parle pas de chrysanthèmes
c’est Toussaint
Ne me parle pas des pierres
c’est cimetière
La mort est un jour sans fin
et la faim me tenaille de vivre
encore
A Toussaint autrefois
c’était toujours Dimanche
parmi les fleurs
Maman se serrait contre moi
j’étais la chaleur des corps ensevelis
contre le sien un bouclier ardent
Je faisais face au poids charnel
du chagrin aux servitudes de l’oubli
Nos pas crissaient dans les allées
et les fleurs immobiles taisaient
lentement leurs couleurs
Moi, pendue à son bras
spectateur du tendre passé
je ne voulais pas que s’étiole l’amour
Je priais qu’il dure toujours
.
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Ceija Stojka – Chrysanthèmes –

.
.
Chrysanthème, quand je te vois,
mon cœur me fait aussi très mal.
Tu étais la fleur de mon père,
il te caressait et aimait ton parfum.
Il est une chose que je ne saurai pas :
est-ce qu’à Dachau aussi il a vu des chrysanthèmes ?
Qui sait, qui sait !
Mais il est une chose que fort bien je sais, que mon père
dans ses pensées chantait pour ma mère :
Je t’offre des chrysanthèmes blancs
pour notre anniversaire de mariage…
Belle fleur, tu resplendis en automne,
le temps de la Toussaint approche,
de la mort de la mort.
Tu resplendis, chrysanthème blanc,
je te vénère,
car tu me rappelles mon père
et ornes sa tombe.
Ainsi ne se sent-il pas seul,
et si tes feuilles tombent sur sa tombe,
ce sont des pensées qu’à moi aussi il adresse.
.
.
.
Chrysanthème wenn ich dich seh’
dann tut mein Herz mir auch sehr weh
Du warst die Blume meines Vaters
er streichelte dich und liebte deinen Duft.
Das was ich nicht erfahren werde ist
ob er auch in Dachau Chrysanthemen sah.
Wer weiβ, wer weiβ !
Doch eines weiβ ich ganz genau: Daβ mein Vater
in seinen Gedanken sang für meine Mama :
Weiβe Chrysanthemen
schenk ich Dir zum Hochzeitstag …
Du schöne Blume strahlst im Herbst
es naht die Zeit der Allerheiligen
des Todes Tod.
Du strahlst, weiβe Chrysanthème
ich habe Ehrfurcht vor dir
denn du erinnerst mich an meinen Vater
und schmückst sein Grab.
So fühlt er sich nicht allein
und fallen deine Blätter auf sein Grab
so sind es Grüβe auch an mich von ihm
.
.
.
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Auschwitz est mon manteau
et autres chants tsiganes
Editions Bruno Doucey
Immortelles – Rendez-vous de Novembre ( SD/RC)
- Chrysanthèmes – photo C. Coulais
Ce sont des fleurs glacées
qu’on offre par brassées
à des jardins de pierres
ces cimetières frileux
antichambres aux adieux
des drames ordinaires
ces fleurs que la Camarde
accueille goguenarde
au coin d’un marbre noir
qu’on abandonne au vent
au grésil aux tourments
d’un sombre purgatoire
ce sont les fleurs perdues
des amours éperdues
hommages dérisoires
tendus comme des mains
aux souvenirs défunts
aux ponts de la mémoire
corolles sans parfum
sans pétales et sans tain
que la lumière captive
d’un Novembre morose
habille d’ors et de roses
tel un baiser de givre
une douleur éclose
au parterre où reposent
dans l’étreinte du soir
ces blanches immortelles
des regrets éternels
comme des encensoirs SD 02 2017
C’est le rendez-vous de novembre,
celui des rendez-vous manqués.
On dépose sur le marbre,
des brassées de chrysanthèmes
et parfois des roses
devant les stèles grises :
peut-être que les morts
comprennent le langage des fleurs
ou voudraient prolonger leur vie,
d’où la couleur s’enfuit.
Une offrande ultime:
D’autres se décomposent en résine.
Le jardin de pierres,
se rappelle des vivants d’hier
Les tombes sont des demeures de silence,
elles se fichent des assauts du lierre,
des allées de gravillons blancs,
comme des saisons sur la terre .
Pour se rafraîchir la mémoire,
on a gravé les patronymes :
Il y a comme un arbre généalogique,
qui se penche sur la famille,
des ancêtres
jusqu’aux lointaines cousines…
Tout cela bien aligné
dans les allées numérotées.
En ce qui me concerne
je ne serai pas locataire
d’un caveau six pieds sous terre…
et si tu viens un jour de novembre
tu pourras t’en retourner,
il y a longtemps que je serai parti en fumée :
je ne participe pas au décor :
pas de crime, pas de corps :
même la police, en automne
ne trouvera pas d’indices de notre homme :
si tu en cherches la raison , la clef est dans ce poème (car j’ai toujours détesté les chrysanthèmes)…
RC 02 2018
Serge Mathurin Thebault – Toussaint

Choix de Chrysanthèmes…(aussi le symbole de l’Empereur du Japon.)
La mort des hommes me concerne
Depuis quelques temps
Je lis la page nécrologie
Pour prendre connaissance
Si un quidam de mon entourage
N’a pas pris la poudre d’escampette
Sans avoir eu la politesse de m’avertir
C’est une habitude qui va avec l’âge
Plus on vieillit plus jalonne la route
La disparition d’êtres humains
Qui à défaut d’avoir partagé le pain
Avons en toute insouciance
Becqueter l’oxygène
L’élément indispensable
De la respiration
Ce n’est pas que mourir
M’angoisse particulièrement
Le joueur d’échec sait toujours
Qu’il y a fin de partie
Soit dit quand même
Je ressens injustice
De voir homme ou femme
De ma génération
Et parfois plus jeunes
Fauchés blés
Au beau milieu
De leur déjeuner
Avec l’existence
La mort de l’autre
C’est toujours un peu la sienne
Quand je m’échinais dramaturge d’état
Dans le thème obsédant du mal être
Chaque suicidé était un peu de ma peau
Qui pourrissait sans avoir eu
Son comptant d’enchantements
La lumière cisèle un rai
Au milieu de mes rideaux
Cela éclaire mon carnet
De quelques visages radieux
Que ma mémoire soupçonneuse
Croyait avoir oublié
C’est sentiment prenant
Frisson dans la couenne du dos
Larmes que j’aurai mal à retenir
Si je savais pleurer
Mais voilà le sensible
Ne connaît pas les pleurs
C’est façon à survivre
Pour pépier en toute liberté
Les détails et les grandeurs
De cette pérégrination ordinaire
Qui ma foi
Pour n’être pas de première main
Autorise de griffonner ces mots
Qui font du bien à ceux
Qui les écrivent
Et j’espère aussi à ceux
Qui les lisent
Soleil de Toussaint
Sur le coin de la table
Pourtant quelque part dodeline
Dans la couette mélancolique
Des nuages
Un cerceau de lune
Où s’attarder entier
Dans la soie de l’enfance.
Voilà ce qui me fallait écrire
Aujourd’hui sur la mort des autres
Qui est toujours mienne.
Robert Piccamiglio – Epervier
Epervier
Je me jette depuis le sommet
d’une montagne
habillé d’un costard blanc
trop grand pour moi
je me transforme
en épervier.
Je me mets alors à voler
haut fier et libre
et je balance
quelques ‘ clins d’œil
aux avions supersoniques
qui traversent le ciel
sans jamais se retourner.
La nuit aussi je vole
je visite en coupant
par le milieu des nuages
lourds épais et gris
des horizons endormis
pendant que d’autres s’éveillent
je tourne tout autour
de la terre et du ciel
je fais comme si maintenant
j’étais devenu immortel
comme l’Ange silencieux
appuyé contre le mur.
Plus besoin de dormir
plus besoin de manger non plus
encore moins de rêver
juste regarder mes ailes
s’ouvrir se fermer
se déployer dans le sens
contraire du vent
de la pluie des saisons
et de la mort.
extrait du « baiser de la Toussaint » ed Jacques Bremond
JJ Audubon
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