Du lait sur la table – ( RC )

C’est un rectangle blanc,
qui demeure immobile,
répandu sur la table,
exactement comme neige ;
ainsi j’invente un paysage
où nulle trace ne s’imprime
à la surface du lait.
Le monde se console
de la laideur,
et mon dessin
restera inachevé.
Le ciel se ressoude, la mémoire s’en va … – ( RC )

Allons nous asseoir sur les dunes,
de là, nous verrons en rêve
se lever les rideaux de brume
déchirer des morceaux de ciel;
il y aura peut-être les colombes,
qui survoleront les palais,
pour se réfugier dans les tilleuls,
ou bien ce sera le soir,
à l’heure où le soleil tire sa révérence.
Rappelle-toi de ces oiseaux
courant, sautillant sur la plage,
ignorant les hommes
le vent, les herbes sauvages.
( Nous aurons contourné
ce bunker renversé,
qui lentement s’enfonce
dans le passé ),
comme ce château de sable…
Y aura-t-il des lendemains
à l’histoire enchantée
où tout passé s’efface ?
Le ciel se reforme,
se ressoude, la mémoire s’en va :
la ville ne laissera pas de trace.
Seuls, quelques gravats
seront poussés par le ressac
et la marée .
Erri de Luca – la brebis brune
photo denvedarvro ( écomusée du musée de Rennes )
La brebis brune
Est la première agressée par l’éclair et le loup,
le tour de mauvaise chance qui gâte la couleur uniforme
du blanc troupeau.
Le jour la chasse, la nuit l’accueille
dans le noir térébenthine qui dissout couleurs et contours
et fait qu’elle ressemble aux autres.
La nuit est plus juste que le jour.
Face au danger le cri le plus limpide est le sien,
sur la glace de l’aube c’est elle qui marque la trace.
Où passent les confins, elle seule longe la haie de mures
Qui fait frontière à la vie frénétique, féroce, qui ne donne répit.
—
La pecora bruna
È la prima aggredita dal lampo e dal lupo,
lo scherzo di mala fortuna che guasta il colore uniforme
del bianco di gregge.
Il giorno la scaccia, la notte l’accoglie
nel buio d’acqua ragia che scioglie colore e contorno
e fa che assomigli alle altre.
La notte è più giusta del giorno.
In faccia al pericolo il grido più limpido è il suo,
sul ghiaccio dell’ alba la traccia è battuta da lei.
Dove corre il confine, lei sola rasenta la siepe di more,
e chi si è smarrito si tiene al di qua della pecora bruna,
che fa da frontiera alla vita veloce, feroce, che tregua non dà.
———-
traduction par Antonio Silvestrone : voir son site
Josyane De Jesus-Bergey – les amulettes
deux petits extraits « image » d’un recueil paru aux éditions encre et lumière
Un éclair, buvant la lumière – ( RC )
Il y a eu un éclair,
un soleil rapide et pointu,
qui est passé à quelques centimètres .
On en voit encore sa trace
dans l’impact sur le pare-brise .
Si je m’étais trouvé
sur sa trajectoire,
au rendez-vous exact
de ma mort
je ne pourrai même pas raconter ici
la lumière de son rayon
métallique,
ou au contraire
si cet éclair, buvant la lumière
m’aurait illuminé de noir .
–
RC – mars 2018
Henry Bauchau – le voyage
Le voyage
Tu pars, tu vas quitter la durée de la neige
Pour un autre temps plus actif, on dit là-bas que l’Histoire s’accélère.
Pourra-t-elle produire une raison paisible, une femme née de la terre
Éclairée de pensée vivante par la voyance, la claire audience de son corps.
Tu es dans la saison de la simplicité, quand la vue baisse on ne voit que les plus simples lignes.
(…)
Tu pars, tu vas longer la pente des rivières, tu passes des villages grèges
Rien n’est beau que la vigne nue, sous le vert des phosphates,
rien n’est plus éclairé que le mur manuel.
Tu es dans le cimetière des vignerons, tu cherches entre les tombes une trace perdue
Le lac dans la brume, il est couleur de perle, au milieu du nuage on voit deux larmes, on voit
deux barques suspendues.
À l’ombre du muret, il reste un peu de neige et tu lis sur la pierre :
Ma grâce te suffit. C’est ce que j’avais oublié.
Un dessin qui n’a peut-être même pas existé – ( RC )
Stoppages avec mètres étalons ( Marcel Duchamp, page de magazine Life )
–
Mon dessin a suivi son chemin:
il n’avait pas le tracé sinueux
des racines, en travers du chemin,
pas l’épaisseur du trait repoussant
les obstacles, comme mes bottes
dans l’épaisse couche de neige.
Je me suis demandé comment il avait commencé.
Je l’ai senti avant de le voir,
avant qu’il apparaisse sous la mine.
C’était peut-être une opération mentale.
Elle aurait donné de résultats semblables,
si j’avais poursuivi la ligne,
les yeux clos.
On pouvait voir une ressemblance
avec quelque chose de connu, bien que
on n’en soit pas sûr.
Le chat a marché dessus, il n’y a vu aucun sens,
rien qui ne le trompe au point qu’il s’arrête.
C’est juste une interprétation du visible,
une musique en devenir, et l’esprit
en suit les indices,
comme si on cherchait la solution
à une énigme.
L’espace a continué de se feuilleter , en pages
glacées, un coup de vent a retourné la feuille.
On ne voit plus rien.
Peut-être même qu’il n’a jamais existé.
–
RC – oct 2016
Je marche dans l’inconnu – ( RC )
peinture: Ellsworth Kelly
–
Là où le monde secret des inanimés perd de son mystère ,
en léchant ses plaies de lumière ,
on se tire difficilement du sommeil ,
dans le parcours des heures qu’interromp le réveil .
On a encore dans la tête , mille rêves .
Ils éclatent, comme une bulle crève ,
quand le jour s’élance
l’aube effaçant le silence
du coeur même de la nuit .
On doit reconquérir son esprit ,
ranger l’armoire à nuages ,
se préparer au voyage ,
- Aujourd’hui nous attend ;
il faut plonger dedans ,
endosser son costume ,
poser ses pieds sur le bitume .
Il n’est pas certain qu’il s’ajuste exactement :
ce matin , je ressens un flottement
entre hier et aujourd’hui :
> pas sûr que ma vie
me suive à la trace :
à mesure, elle s’efface
sans plus me correspondre :
les minutes et les secondes ,
les années anciennes
ne sont plus les miennes :
le temps est discontinu :
> je marche dans l’inconnu.
–
RC – juill 2017
Parfois les choses durent – ( RC )
Parfois les choses durent
autant qu’elles le peuvent :
– C’est comme la preuve
de ce qu’elles endurent .
Il y avait quelques traits,
ceux de ton écriture,
posés dans le carnet,
avec désinvolture :
Comme ils m’étaient dédiés
ils sont restés,
au coeur même du papier :
on les dirait incrustés
unissant les paroles d’hier,
comme celles du temps qui passe
et se dépose sur la matière
avec une légère trace .
- C’était un échantillon
de la brillance de l’été :
– Souviens-toi du papillon
qui s’était frotté
sur la page :
avant qu’il ne s’en aille
pour un autre voyage :
– Il a laissé quelques écailles
qui brillent encore :
des pensées oubliées
– Comme un trésor
au fond de l’être aimé .
–
RC – avr 2017
( à partir des « cahiers du déluge » « constat #17 ) de Marlen Sauvage
Simone de Beauvoir – sur les pages imprimées
photo : Weegee- – Corner of Trafalgar Square and the Strand, Londres 1960
Sur les pages imprimées,
je ne retrouve pas la trace des jours
où je les écrivis :
ni la couleur des matins et des soirs
ni les frémissements de la peur,
de l’attente, rien.
Pourtant, tandis que je les arrachais laborieusement au néant,
le temps se brisa, le sol bougea et je changeai. »
- extrait de « La force de l’âge. »
Peindre l’intérieur de sa tête en blanc, ou noir ( selon ) – (RC )
–
Il y a des secrets enfouis sous la glace,
Elle conserve au frais les souvenirs des étés,
Au plus profond des crevasses .
Elles se sont refermées sur ce qui a été.
Un fleuve de blancheur à la coulée lente,
Qui dévale les années,
Accroché aux pentes,
Des plus hautes vallées .
–
Les secrets ont leur gardien,
Il en reste toujours une trace.
On a beau les taire, un jour, cela ne sert à rien…
Il y a toujours quelque chose qui dépasse .
C’est comme si tu repeignais de blanc,
L’intérieur de ta tête, pour effacer,
Toute trace du passé,
Gravé en lettres de sang .
–
Choisis plutôt le noir
Personne n’y verra goutte …
Une bonne solution , sans doute,
Pour perdre la mémoire ,
Te refaire une santé ,
> Effacer les preuves…
— Mais crois tu qu’avec une peau neuve,
Tu peux prétendre à la virginité ?
–
RC – déc 2014
Projections – ( RC )

dessin: Carl Mehrbach / drawing_No1-1977.jpg
On peut toujours faire appel aux interprètes,
Pour savourer la couleur des mots,
Rendre la douceur des peaux,
Et dire la pesanteur des jours,
En plaçant une feuille de papier,
Entre ce qu’on perçoit du monde,
Et son espace , rouillé des couleurs
Qui se mélangent hors de notre atteinte.
Mais se traduisent néanmoins,
Par ce que j’y projette …
Une empreinte dont l’obscurité,
Accompagne notre marche.
Des pas lourds, et ,à tout âge
On peut me suivre à la trace,
Les pistes s’emmêlent, se contredisent…
Je me perds souvent dans la forêt des songes.
C’est sans doute justement,
Parce qu’il y a cette feuille,
Sur laquelle la joie cotôie la tristesse,
Et les écritures s’y recouvrent.
–
RC- Janvier 2014
Claude Roy – Hommage à Jules Verne
Nos souvenirs ont parcouru
Vingt mille lieues sous les mers
Frôlant les vaisseaux disparus
Les noyés aux lèvres amères..
J’ai perdu la trace aujourd’hui
Des trois Anglais du Pôle Nord
Les jours s’en vont les ans ont fui
Les grands aventuriers sont morts
Les capitaines de quinze ans
En ont quatre-vingts bien sonnés
Les flots qui s’en vont moutonnant
Emportent épaves les années
Je cherche au centre de la terre
Les deux explorateurs errants
Comme eux je vais je viens et j’erre
Enfant du Capitaine Grant…
Les nuages glissent dans les nues
Le coeur attend le coeur espère
Nos souvenirs ont parcouru
Vingt mille lieues sous les mers.
–
Claude Roy « Clair comme le jour »
–
François Cheng – Suivre l’empreinte de l’oiseau
Mais l’oiseau point d’empreinte
Ne laisse. Son empreinte est
Son vol même. Nulle trace
Autre que l’instant-lieu,
Joie du pur avènement :
Lieu deux ailes qui s’ouvrent.
Instant un coeur qui bat.
Jean-Luc Lagarce – j-etais-dans-ma-maison-et-j-attendais-que-la-pluie-vienne-
Jean-Luc Lagarce, écrivain, auteur d’un journal conséquent, et auteur de nombreuses pièces de théâtre, dont celle-ci , entendue en lecture, récemment, en extrait.,par des comédiens de la compagnie « Nocturne » – troupe de Clermont l’Hérault (34).,et qui présentera bientôt à Mende ( le 7 février)– « Le pays Lointain »,– du même auteur.
voila le « scénario ».de « j’étais dans ma maison »
J’étais-dans-ma-maison-et-j-attendais-que-la-pluie-vienne-
Cinq femmes dans la maison, vers la fin de l’été, de la fin de l’après-midi au matin du lendemain, lorsque la fraîcheur sera revenue et que la nuit et ses démons se seront éloignés.
Cinq femmes et un jeune homme, revenu de tout, revenu de ses guerres et de ses batailles, enfin rentré à la maison, maintenant, épuisé par la route et la vie … revenu à son point de départ.
Elles tournent autour de ce jeune homme, elles le protègent et se rassurent aussi les unes et les autres.
Elles marchent à pas lents, elles chuchotent leur propre histoire, cette absence d’histoire qu’elles vivent depuis qu’il les quitta, et son histoire à lui, sa longue ballade à travers le monde, sa fuite sans but et sans raison.
C’est une lente pavane des femmes autour d’un jeune homme endormi. On lutte une fois encore, la dernière, à se partager les dépouilles de l’amour, on s’arrache la tendresse exclusive.
On voudrait bien savoir.
Les soeurs et les épouses et les mères encore, et les amantes qu’on oublia et celles qu’on ne voulait pas voir, dont on ne voulait pas comprendre le désir et qui attendent, qui promirent d’attendre et qui le firent, au-delà du raisonnable, qui détruisirent leurs vies, leurs pauvres vies inutiles, à ne rien faire d’autre qu’attendre, en vain, sans autre raison que surveiller la vallée, la route qui descend vers la vallée et dont on perd peu à peu la trace, …
Traces du futur en plans lointains (RC)
Si la forêt semble s’épaissir, le sentier s’étrécir
Au détour du trajet, les lieux semblent s’évanouir
La certitude tremble, et fait place aux suppositions
Les repères ,effacés par les ans, autant de questions
Qui émergent, et traquent, ce pas et le suivant
Au point de nous laisser , refrain obsédant
Une saveur trépassée, d’un mouvement sur place
Que des rubans de brume, enlacent
A la mesure du temps, aux promesses du futur
La suite des collines, semble nous offrir un mur
De perspectives basculées en escalades indécises
Qu’il faudrait qu’un grand-œuvre précise
Et nous guide, comme Ariane, sur l’étroit chemin
Ou le petit Poucet, des cailloux de sa main
Pour accomplir le destin, encore à concevoir
Qu’en partant, on n’a fait qu’entre-voir.
En parvenant malgré tout au premier sommet
Le paysage s’étale en tapis d’autres forêts
Espaces, lacs, dunes, et précipices
Se faisant suite, sans artifices
Le sommet, une colline bien basse
Au regard des horizons qu’on embrasse
Portant sur des distances insoupçonnées
Montagnes et plateaux moutonnés
Seront les futures étapes à franchir
Et peut-être laisser, pour l’avenir
Au delà d’autres monts, l’espace
Garder, provisoirement une légère trace.
RC 14- 01-2012
( variation sur « un homme sachant omettre » ) voir le blog de « les idées heureuses »
texte de R. L. Stevenson à Will H.Low…
R. L. Stevenson étant l’auteur, justement dans le contexte du voyage, de Voyage avec un âne dans les Cévennes
—–
A titre d’information » Ce pas et le suivant » est le titre d’un roman superbe, ne serait-ce que par sa science des mots et des phrases, de Pierre Bergounioux, cité deux fois dans mes publications précédentes. Livre au souffle fort, édité chez Gallimard.
—-
Souvenir voyageur ( RC )
En parcourant le blog d’Oceania,
j’ai fait comme souvent, un parcours dans les lointaines parutions dans le temps, pour les réactualiser…
je suis donc parti du poème de Louis Brauquier, pour varier sur sa page
et en voici le résultat…
—–
Lorsque mon souvenir ira voyager dans vos paroles
En possible accueil, c’est une trace ténue
Qu’en vous soigneusement, vous garderez émue
En une dernière escale, comme une aile frôle
Au plus sûr de votre cœur, ce sera une place.
Pour l’ ami aux paroles prodigues
Ayant peut-être égaré le nom, qui navigue
Au milieu de l’esprit que rien n’embarrasse
C’est un homme vivant qui part et s’élance
Comme un ciel d’orage sur les mâts
L’homme le plus tenté par l’amour s’ébat
Et pousse les navires avec élégance