C’est la nuit que je cherche – (Susanne Derève)

Un train traverse la nuit
C’est la nuit que je cherche
dans son manteau de neige
ses éclisses de gel ses quartiers d’ombre
et de lumière
à la lueur des réverbères tremblant
sous les assauts du vent
et toi bonhomme de neige
qui fanfaronne dans les jardins
blanchis de givre
bénis ma bonne fortune :
demain flottera ton chapeau
avec ton frac entre deux eaux
Je n’aurais plus qu’à les pêcher
dans une flaque
Coiffé de mon chapeau claque
j’attraperai le dernier train
pour rejoindre la nuit en habit de satin
et l’épouser sous la lune
Wladyslaw Slzengel – loin ( conversation avec un enfant )

Conversation avec un enfant
Mille neuf cent quarante deux.
La mère et l’enfant.
Un atelier, un bloc…
L’enfant au visage de lys
La mère aux cheveux de lait
Dis moi mère, demande le petit,
que signifie : loin…
Loin, c’est au-delà des montagnes,
des forêts et des rivières…
Loin c’est les rails…
Loin, c’est un voyage en mer,
des bateaux et de grands espaces livides,
et des montagnes au soleil pourpre…
Loin, c’est des îles dorées
et le souffle des brises parfumées,
une verdure éclatante
et le sable doux et sec.
Mais comment expliquer à l’enfant
le sens du mot : loin…
quand il ignore ce qu’est une montagne,
ou à quoi ressemble une rivière…
et n’a pas comme sa mère… et n’a pas comme moi
ces images plein les yeux,
alors comment expliquer à l’enfant
le sens du mot : loin …
Loin, mon enfant chéri
(une larme frémit sur les cils)
loin, c’est comme de notre bloc
jusqu’au bloc Toebbens…
Et dis-moi maman chérie
que signifie : autrefois…
Autrefois, c’est une soirée en ville,
des lampes qui brillent, des néons…
C’est le calme d’un appartement tranquille et un poêle bien chaud
Autrefois, c’est des gâteaux de Ziemianska
autrefois, c’est un déjeuner avec la radio autrefois,
c’est chaque matin Notre Revue »’
et le soir le cinéma Palladium.
Autrefois, c’est un mois à la mer, autrefois,
c’est…des photos d’une excursion
et une photo d’un mariage sous le voile
et du pain blanc sans paille…
Mais comment expliquer à l’enfant
ce passé clair et glorieux
quand il n’en sait rien… absolument rien…
comment expliquer : autrefois …
Tu vois, mon enfant chéri, déjà triste et vieux,
autrefois, ça signifie quand autrefois…
ils ne nous rationnaient pas le miel
et dis-moi, maman, dis-moi
C’est quoi, ce que j’entends la nuit…
ces longs sifflements… au loin…
qu’est-ce qui siffle, et pour quoi faire….
Comment expliquer à l’enfant,
quel exemple quel motif prendre,
pour expliquer le sifflement nocturne
et lointain des locomotives…
comment expliquer les rails
et la longue route vers l’infini
la joie de filer en sleeping
dans des express fous.
Gares, signaux, aiguillages,
nouvelles villes, rues,
billets, correspondances, bagages,
journal, buffet et porteur.
Le miroitement de petites lumières la nuit
les trainées lilas des fumées.
Comment expliquer… et pour quoi faire,
qu’il y a encore un monde quelque part au loin ça,
veut dire, mon petit garçon,
toi qui tords tes doigts de chagrin,
que ça peut s’étendre plus loin que Toebbens…
et encore plus loin que le miel…
–
notice biographique sur l’auteur ( poète du ghetto de Varsovie )
Jean-Pierre Rosnay – À Tsou l’Egyptienne

Par-dessus le toi des guitares
Ses yeux et son sourire bleu
La nuit mêlée à ses cheveux
Chaque train oubliait sa gare
Le flux et le reflux de la mer intérieure
Qui animait mon coeur à la cause du sien
Me faisait ressemblant à ces ombres de chien
Qu’on voit laper la nuit des restes de lueurs
Mon égyptienne ma mythique
Quand nous baignerons-nous à nouveau
Au port d’Alexandrie entre ces vieux rafiots
Dont la voile crevée donnait de la musique
Du haut de la plus haute pyramide
Léchée par des millions de regards touristiques
Entre Son Lumière légendes et cantiques
Je t’apporte ces mots de sang encore humides
Ces inhumains versets d’amours supra-humaines
Quand le poète écrit d’amour à son aimée
Il charge son stylo d’encre à éternité
Puis lui dit simplement Madame je vous aime
Et je vous saurais gré de l’avoir remarqué
Pierre McOrlan – Escales des matins argentines et fraîches
Des raisons que la mer n’ignore pas…*
Si l’on débarque un matin, au petit jour,
dans la gare de Brest, on constate que c’est bien
une gare de fin de terre européenne, une gare d’extrémité un peu mortifiée,
une gare qui donne accès à toutes les choses
qui n’ont plus rien à voir avec la terre, ses routes conquises
par les automobiles et ses voies ferrées
qui laissent des traces brillantes dans la nuit.
L’Europe de l’Est à l’Ouest aboutit à cette gare discrète, calme,
créée pour un seul train, un convoi peu peuplé, mais toujours habité
par des figures attachantes. On ne vient pas à Brest pour jouir de la vie,
montrer l’élégance d’une robe ou refaire du sang, au soleil.
Des raisons, que la mer n’ignore pas, conduisent hommes et femmes
vers cette ville sans paquebots, sans départs.
C’est ici que l’aventure se mêle au vent de la mer.
Pierre MAC ORLAN « Brest »
Raymond Queneau – Quand les poètes s’ennuient

Alberto Giacometti
Quand les poètes s’ennuient
Quand les poètes s’ennuient alors il leur ar-
Rive de prendre une plume et d’écrire un po-
Ème on comprend dans ces conditions que ça bar-
Be un peu quelque fois la poésie la po-
Ésie
Ousqu’est mon registre à poèmes
Ousqu’est mon registre à poèmes
moi qui voulais…
pas de papier pas de plume
plus de poème
me voici en face de rien
de rien du tout
du néant
ah que je me sens métaphysique
sans feu ni chandelle
pour la poétique
Un train qui siffle dans la nuit

Georgia O’Keeffe. Train at Night in the Desert. (1916)
Un train qui siffle dans la nuit
C’est un sujet de poésie
Un train qui siffle en Bohême
C’est là le sujet d’un poème
Un train qui siffle mélod’
Ieusement c’est pour une ode
Un train qui siffle conme un sansonnet
C’est bien un sujet de sonnet
Et un train qui siffle comme un hérisson
Ça fait tout un poème épique
Seul un train sifflant dans la nuit
Fait un sujet de poésie
Basculés derrière l’horizon- ( RC )
photo Phil F-
Sous nos yeux étonnés,
se déroule un grand film .
Panoramique,
il occupe tout l’espace ,
mais change à vive allure,
comme si les champs
poussaient les montagnes,
les montagnes, le lac,
le lac, la ville,
la ville, les forêts…
basculés derrière l’horizon .
Tout s’en va,
tout s’efface ,
derrière l’écran de la fenêtre .
> Sans certitude
sur le bon endroit,
celui où les choses s’attachent ,
où l’arbre demeure,
des siècles durant.
Le mouvement du train
zappe l’éternité
pour un temps éphémère,
un temps compressé ,
qui demeure curieusement
étranger
à la lente caresse du vent
dans l’ondulation des blés .
–
RC – juill 2017
Cribas – Fils de l’homme OU L’enfant humain
Fils de l’homme OU L’enfant humain
Par Cribas
Vois, mon frère bien aimé, vois ce que je deviens. Ce que nous avons rêvé autrefois, près du lac, dans la vallée où mille ricochets ont répété nos pactes et nos mots les plus idiots à l’époque. Toi, mon frère à jamais, comme nous le gravions sur les écorces d’arbre à sang chaud, ou sur les pierres de craie tendre, avec nos canifs aujourd’hui perdus.
Que de nostalgie, mon ami, mon frère, que de temps inutile depuis, a traversé nos vies.
Nous nous jurions de nous partager le monde, de nous en obtenir les plus gras morceaux, et cela sans jamais le moindre regret.
Il ne me reste que la mélancolie de ces années insouciantes, et tout ce que j’ai pu tenir, c’est de ne me laisser ternir par aucun regret.
Depuis longtemps pourtant, j’ai perdu ta trace, ton sourire efficace qui menait à bien nos projets, nos quatre cent mille coups tantôt en méchants, tantôt en indiens, et qui finissaient toujours avec des accrocs à nos pantalons, des taches de mûres et de sureau sur nos joues qui laissaient apparaître des fossettes, sous nos yeux brillants bénis des dieux. Je crois bien qu’il y eut aussi des centaines de fous rires contenus, lorsqu’il nous fallait rendre les clés de nos cabanes imaginaires, la nuit venue, à des adultes et des parents habitant un autre monde que le nôtre, venus d’une autre terre.
Vois mon frère bien aimé, ce que le temps fait disparaître. Sans crier gare, un jour on pose une valise au pied de sa vie, sur un quai de grisaille, et les grandes destinations de l’existence séparent, scindent en dizaines de méga-octets l’imagerie de notre vie.
On se retrouvera peut-être un jour, mon être sans la fierté d’avoir su monter un pur-sang pour revenir à la source, avec des chevaux moteurs rutilant de réussite sociale.
Je ne suis jamais revenu près de ce lac. Je n’ai jamais osé me représenter là-bas pour vous montrer à tous l’album de ma vie resté vierge à vos yeux. Je sais, mon frère bien aimé, que la famille a grandi au rythme de ta réussite. Qu’on ne mange plus aujourd’hui que sous l’immense verrière dont les fondations ont été creusées sous les souches à sang froid, arrachées comme s’il s’agissait de simples nuages et que l’on avait attendu la fin de la tempête.
Si tu voyais, mon frère, si tu pouvais comprendre ce que ma différence autrefois imperceptible avait voulu pour ma vie.
Je n’ai pris qu’un seul train, et lorsque l’arrivée a sifflé, je suis descendu.
Ici ou ailleurs, ma destination n’avait que peu d’importance. Je n’ai pas d’amours inscrites, sur des registres ou des certificats de baptêmes.
Les femmes que j’ai rencontrées, je ne leur ai offert que le meilleur de moi même, elles ne m’ont appris que ce qu’il me manquait, et à chaque fois qu’elles avaient compris que le partage n’était pas une affaire de signature, mais seulement d’écriture du destin, je me suis éloigné sans trop de pleurs, sans crier gare non plus. Je suis toujours resté dans le coin dans le cas d’un appel un mauvais jour, souvent un mauvais soir, je suis l’inaccessible joignable sur simple appel d’un numéro de téléphone ad vitam aeternam.
Ma destination finale a toujours été ma première idée. Aimer, aimer comme un aide, aider comme on sème, aider chacun, chacune, à s’aider sans peine, à s’aimer autant que j’ai compris mes peines.
Vois mon frère, ma plus belle réussite. On m’aime !
Jamais l’on ne regrette, de m’avoir aimé. Je suis celui qui tait celui que tu es. J’accomplis mon devoir comme les ricochets de l’écho ; je répète juste assez lorsqu’un amour a besoin de plonger pile poil à l’endroit de la rescousse où son autre se noie.
Je n’ai voyagé que pour prendre le recul nécessaire à mon égo de naissance. Je n’ai rien fui d’autre que mes racines malades. En route, j’ai pris quelques rails de trop, mais étant sur la bonne ligne, j’ai rapidement récupéré mes facultés de conduite.
Non, mon frère, je n’ai pas non plus vendu mon âme à Rome ou à La Mecque. Mes frères sont du genre humain. Tous mes frères, du premier au dernier, même si parfois avec le temps, leurs canifs se sont transformés en guillotines ou en lames de boucher à décapiter.
Regarde mon frère, ce que ma différence qui était aussi la tienne peut faire de nous. Ni des moines, ni des archevêques, ni des frères musulmans au gosier plein de haine, mais sans aller trop loin, simplement des hommes appliquant enfin un garrot à la folie sanglante, simplement des femmes libérées de leurs sangles, et rappliquant afin d’appliquer un baume sur les peines de sang, vides de sens.
Vois, mon frère bien aimé. Bois, ma sœur bien lésée, ceci est le godet que tout homme véritable n’a jamais laissé de côté.
Vois ce que je deviens, ce que nous avons rêvé autrefois, frère enfant, frères et sœurs. Il ne doit nous rester qu’une rivière pleine de lacs, qu’un lasso unisexe pour sauver l’Homme des cascades.
Les trains éloignent des hommes. Les traînes embaument les femmes.
Quelle mélancolie mon amour ?
Voyager pour ses peines, avoir peur de se noyer parce que l’âge ?
Reviens me voir un beau jour
Un de ces jours où tes peurs au lavoir ne trahiront plus ton linge en nage
Mon frère, ma sœur
Tu trembles encore au bout de tes phalanges et c’est ton cœur
Ma sœur c’est ton droit
Mon frère tes regrets sont déjà froids
Revenons par dizaines
Ou par milliards marchons dans nos pas
Mes sœurs, mes frères, mon amour
Il ne me reste que la mélancolie pour me battre
Et je le fais depuis toujours
Mes frères, mes sœurs, ne nous laissons pas abattre
Brassons à côté de nos amours
Aimez-les comme on se noie chaque jour
Au dernier instant de l’apnée
Un dernier coup de canif dans les filets autour
Un reste d’oxygène, une dernière bouffée
Un sacrifice humain pour l’humanité…
Cribas 07.03.2013
Bassam Hajjar – S’il faut parler de lui ( le conteur )
S’il faut parler de lui
Evidemment,
je ne suis pas le conteur
je ne suis pas le loup
ni la porte du jardin,
je ne sais pas avant la fin
comment vous mourez
avec la déception de celui qui manque le train
et attend le train d’une heure et demie.
Evidemment,
ce n’est pas moi qui attends
car je n’ai pas même écrit une lettre
pour qu’elle m’arrive dans un an
et que je m’en réjouisse
car j’aurai attendu
que cette fois je ne serai pas déçu,
que je m’en réjouisse car le temps passe,
et que ce n’est pas moi qui fabrique les aiguilles
ni qui frappe l’émail de la montre
pour savoir combien le temps passe.
Tout comme je n’ai pas de temps
pour jeter ce qui reste par la fenêtre ou sous la table
sans que les chiens n’y fassent attention, ni les marchands,
les écoliers.
Evidemment,
ce n’est pas moi le conteur
ce n’est pas moi qui tisse dans l’ombre
la toile d’araignée de mon âme
pour raconter comme qui a peur de voir,
pour voir comme qui a peur de raconter,
pour savoir comment réveiller vos esprits silencieux
et faire de vos rires un musée
pour les échos lointains,
ce vase !
Quand vous déterrez ma main
et que vous dites : que c’est beau
ce chandelier !
Quand vous déterrez mon cadavre
et que vous dites : voilà le conteur.
Mais ce n’est pas moi le conteur,
et je ne vois pas,
à présent,
l’utilité de ces paroles.
(Février 1983)
extrait de « Tu me survivras » ( actes/Sud )
–
Prisonnier de la petite condition ( RC )
Prisonnier de la petite condition,
De ma fatigue, l’essence de la vie
Je rayonne moins qu’un cheval au galop,
Et moins encore qu’un train,
Un assemblage de mécaniques,
qui ne pose aucune question,
Ainsi se délimite
Le contour des choses,
Le rayon d’action,
Ce qui est à portée de mains,
Ou de geste.
Je me rappelle, comment la base des arbustes
Est taillée régulièrement
Dès lors que les chèvres s’en chargent
Pas plus loin que ce que permet
L’extension maximale de leur corps,
Et de même
Ayant rassemblé mes esprits
Mes idées éparpillées,
Utilisant le jour,
Comme le permettent mes forces,
Je délimite un espace
En empiétant sur la nuit,
Qui fuit de temps à autres,
Mais si peu,
La cellule mobile
Que je tapisse
De couleurs
Et de songes
Matériellement , peu définie,
Mais qui reste
Comme un costume
A ma mesure.
–
RC- 23 mars 2013
–
Plutôt prendre le train ( RC )
De légères gouttelettes, prises en tempête,
Se précipitent en gros flocons d’avalanche
Habillent une montagne blanche
S’accrochent aux reliefs, et font paillettes
Qu’aussi des voiles de brume drapent,
Avec les caprices du temps, survenus,
de mystère les endroits connus…
Les contours familiers s’échappent.
Les horizons nappés voilés de la pente
Un mur d’incertitudes imagées,
Où rien n’est dégagé
Et la route qui serpente.
Dans l’univers ouaté, les voitures qui glissent…
Engagées sur la descente
Pourtant en allure lente
Soudaine nostalgie , des pneus qui crissent..
Si rien n’est stable
Et que tout à coup, rien n’adhère
Le conducteur le plus téméraire
Penserait plutôt : siège éjectable
Surtout quand au prochain virage
– on dit d’une route qu’elle n’est plus carrossable –
Obstacle inattendu , et collision inévitable
Précédé d’un lent dérapage,
Un bruit mat, et tout bascule
En doux regret , vers le ravin
…. J’aurais dû prendre le train
Et laisser au repos, mon véhicule…
A la chute lourde, aux bruits discordants,
Les roues tournent encore dans le vide, succède le silence
Ensuite, …. c’est l’affaire des assurances…
– Statistiques, et accidents…
…. On se raconte toujours des histoires
Quand on côtoie l’enfer
Tant pis, je n’serai pas centenaire
L’avenir ne se marie pas avec « trop tard » .
–
RC – 25 janvier 2013
–
Future friche industrielle – ( RC )
Avançons, avançons jusqu’au bord
Au delà commencent les rêves
Trève de la nature
Gros plan, et fondu au noir,
Il n’y a plus de repères,
La perspective est en fuite
Les mots sont partout, en suspension
Il suffit de les rendre…
Tranchons, découpons
Les maux se fondent lentement
Dans la confiture des jours…
Il n’y a plus de certain;
Que la nuit,
Poussée par le train
Que regardent passer
Les ouvriers les mains vides.
Avançons, avançons jusqu’au bord
C’est alors que bascule l’avenir,
Où tout se fond en brouillard
Rien à donner, si ce n’est le passé.
Le présent est parti, vers d’autres contrées;
Le ciel n’a plus de fumées,
Que des cheminées vides,
Retournées à la friche.
–
Rc – 1er octobre 2012
–
Patrick Laupin – Voies de triage
J’aurais aimé pourtant encore
la rue Paul-Sysley et la gare de l’Est
les voies de triage désaffectées
l’entrepôt à ciel ouvert sous les garages d’arbres
le lierre sous la varangue, désastre musical
l’odeur de mazout et le cri rauque de la micheline
à midi dans le tremblé très seul du lilas
mais il est tard
tout est détruit
les trains ne partent plus
le mal d’un siècle divague
comme une éternité jetée à quai
dans le soir inépuisable
qui ne sait plus où poser ses pas
In “Le Sentiment d’être seul” © Paroles d’Aube, 1997
–
Edith de Cornulier – Atone
Almasoror ( l’âme soeur) si j’ai bien lu... est un site que je qualifierai de « multi-disciplinaire », … il y a une foule de liens, et d’articles , et en patience il va me falloir, du temps pour en avoir une petite idée…
mais je me suis dirigé de suite vers la section « poésie », où des photographies sont « accompagnées », ici de textes de Edith de Cornulier-Lucinère, – voir son blog perso –
qu’elle abrège sous E CL…
j’ai navigué sur quelques uns et tout ce que j’ai lu a capté mon attention, voici d’un d’entre eux:
ATONE
–
Ma voix coule dans le soir
Mais mon cœur demeure aphone
Je respire dans ce bar
Des vapeurs d’alcool atone
Nous traversons les saisons
Main dans la main bien trop sages
Je n’observe à l’horizon
Aucun feu, aucun mirage
La vie et ses expériences,
Je les traverse en apnée
Puisque aucune délivrance
Ne nous est jamais donnée
Mais ce soir, dans la lumière
Du bar où flotte un suspense,
Ce soir je veux le salaire
Des années d’obéissance.
Que les lois et la morale
S’effacent de mon karma ;
De se courber sous leur pâle
Mensonge, mon crâne est las.
Dans ce corps où tout s’éteint
Pour jamais n’être fécond,
Que la passion prenne enfin,
S’il reste des braises au fond.
Que le désir se rallume,
Qu’il fasse briller mes yeux,
Pour qu’ils se désaccoutument
De leur rideau vertueux.
J’en appelle aux dieux païens
Ceux qui boivent et ceux qui chantent,
Qu’ils déchargent mon destin
De la ration, de l’attente.
J’en appelle même au stupre,
Si lui seul peut délivrer
Du convenable sans sucre
Un cadavre articulé.
Et toi, frère et faux-amour,
Co-victime et co-coupable,
Vas-tu taire pour toujours
L’hypocrisie impalpable ?
Nous traversons les saisons
Main dans la main bien trop sages
Et rien dans notre prison
Ne présage un grand orage.
Mais ma voix coule ce soir,
Et mon cœur te téléphone,
Je respire dans le bar
Des instances qui frissonnent.
Et si tu ne réponds pas,
Si rien en toi ne s’éveille,
Parce que mon cœur est las
Des jours aux autres pareils,
Tu prendras tout seul le train,
Et dans la nuit qui appelle,
Coupable de ton chagrin,
Je chercherai l’étincelle.
–
Wislawa Szymborska – Encore
Un récit-poème, marqué de tragédie, un des sept disponibles sur ce site
ENCORE
Dans les wagons plombés
Des prénoms traversent la contrée,
Mais jusqu’où ils voyageront,
Si un jour ils en descendront,
Je n’en sais, je ne vous dirai rien.
Prénom Nathan cogne contre la cloison,
prénom Isaac hurle et chante sa folie,
prénom Sarah pour deux gouttes d’eau supplie,
puisque se meurt de soif le prénom Aaron.
Ne saute pas dans le vide, prénom David.
Ce prénom te flétrit pour la vie,
Ce prénom on ne le donne à personne,
C’est trop lourd à porter par ici.
Que ton fils porte un nom slave et blond,
Car ici, chaque cheveu on recense
Car ici on sépare le bon grain de l’ivraie
D’après tes paupières et d’après ton prénom.
Ne saute pas. Que ton fils s’appelle Lech.
Ne saute pas, Ce n’est pas encore l’heure.
Ne saute pas. La nuit rit aux éclats,
Et ricanent les wagons sur la voie.
Un nuage humain passe sur le pays,
Grand nuage, et une larme pour toute pluie,
Petite pluie, rien qu’une larme, quelle sécheresse.
Et les rails dans le noir disparaissent.
C’est comme ça – fait la roue. Pas de clairière.
C’est comme ça – train de cris à travers bois.
C’est comme ça – dans la nuit, je l’entends.
C’est comme ça – le silence cogne le silence.
(1957) Fleuve d’Héraclite, traducteur Christophe Jezewski et Isabelle Macor-Filarska.
—
— une autre parution d’un poème de l’auteure est visible sur Art et tique et pique…
–
Wislawa Szymborska – La gare

Gare Hamburger de Berlin: installation lumineuse de Dan Flavin
La gare
Ma non-arrivée dans la ville N
s’est passée à l’heure ponctuelle
Je te l’avais annoncé
par une lettre non envoyée.
Tu as eu tout le temps
de ne pas arriver à l’heure
Le train est arrivé quai trois
un flot de gens est descendu.
La foule en sortant emporta
l’absence de ma personne
Quelques femmes s’empressèrent
de prendre ma place dans la foule
Quelqu’un que je ne connaissais pas
courut vers une d’entre elles
qui la reconnut immédiatement.
Ils échangèrent un baiser
qui n’était pas pour nos lèvres.
Entre temps une valise disparut
qui n’était pas la mienne
La gare de la ville N a passé
son examen d’existence objective
Tout était parfaitement en place
et chaque détail avançait
sur des rails infiniment bien tracés.
Même le rendez-vous a eu lieu.
Mais sans notre présence.
Au paradis perdu
de la probabilité
Ailleurs
ailleurs.
Combien résonnent ces mots.
—–Pour découvrir cette poétesse, vous pouvez aller sur cette page, qui en publie de nombreux:voir aussi ce recueil
![]() recueil |
Claude Chambard – le chemin vers la cabane-
Claude Chambard est un écrivain, que j’ai découvert grâce à Anne-Françoise Kavauvea, ( voir son site « de seuil en seuil »…), et particulièrement son article sur Claude Chambard
C’est avec « le chemin vers la cabane », un recueil de textes courts, poétiques ou récit, dont voici une « parcelle »,que j’en donne une petite idée… il est édité au » bleu du ciel »
un jour j’ai marché
le long d’une voie ferrée
aucun train n’est passé
rien ne voulait de mes guenilles
(ritournelle)
Claude Chambard
(un nécessaire malentendu III ) ed le bleu du ciel Juin 2008
Marina Tsvétaieva– Si vous saviez (1913)
Si vous saviez, passants attirés
Par d’autres regards charmants
Que le mien, que de feu j’ai brûlé,
Que de vie j’ai vécu pour rien.
Que d’ardeur, que de fougue donnée
Pour une ombre soudaine ou un bruit…
Et mon coeur, vainement enflammé,
Dépeuplé, retombant en cendres.
Ô, les trains s’envolant dans la nuit
Qui emportent nos rêves de gare…
Sauriez-vous tout cela, même alors,
Je le sais, vous ne pourriez tout savoir.
Pourquoi ma parole est si brusque
Dans l’éternelle fumée de cigarette
Et combien de tristesse noire
Gronde sous mes cheveux clairs.
voir aussi chez esprit nomades, beaucoup de choses qui lui sont consacrées…