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Blancs muets – (Susanne Derève)


Rodin - -

      Le Secret – Auguste Rodin  (1910)

 

 

Blancs muets
L’espace de silence du ciel
du lever du jour jusqu’à sa longue descente
vers la nuit
le langage retenu
les non-dits
l’e dérobé de l’indicible
(la page blanche du souvenir)

****

Blanc virginal
Petites mains pressées
l’aiguille s’affaire sur les voiles gansés
tulles crêpes aubes
ourle faufile
ardente
sous la lampe

****

Blanc repentir
Cette autre main tachée de plâtre
épurant patiemment la matière
y traçant les lignes de vie
gommant le trait
pour en tirer obstinément
une poussière aveugle inanimée

****

Et d’elle au souvenir bien moins
qu’un voile de mariée,
l’épaisseur d’une plume au vent,
la transparence végétale
d’une fleur de printemps
l’aile ténue d’un soupir


Ludovic Degroote – la digue


 

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peinture : La chapelle  sur la  digue à Collioure  –   Henri Jean Guillaume Martin

 
Pas de bout,        pas aux choses,      pas à soi,
peut-être pour ça qu’on va sur la digue,
on regarde la mer, les falaises, les villas,
à la fin on revient, on attend de recommencer,
au milieu de la vie qui passe.
La digue ça ne mène nulle part,       ça n’engage à rien,
on regarde la mer,               et puis on s’en va ;
les yeux naturellement sont portés là plus qu’aux villas ;
où il n’y a rien l’œil ne tombe pas, ça nous laisse d’abord à nous-même.
Les choses souvent on croit qu’elles sont là pour nous,
qu’on a d’elles une mémoire, un regard
– on est séparé de tout, les choses tiennent sans nous,
c’est pour ça qu’elles n’ont pas de bout.


On passe, on marche, on avance,
moments posés les uns près des autres,
on ne s’en rend pas forcément compte,
les pensées naissent et meurent,
elles glissent sans qu’on soit toujours là,
ou bien c’est nous qui glissons, à côté,
ou bien non, ça se fait comme ça, en dérive.


Sous le ciel, neutre, froid, calme,
durant dans le silence,
comme s’il ne restait plus qu’une enveloppe.

On sait que c’est là, évoluant entre la gorge et l’estomac,
ça bouche ce qui à l’intérieur demande à respirer.

Ça n’empêche pas de vivre, ça donne juste un goût aux choses,
on finit même par croire qu’on s’y fait.

Pas de sens pour faire la digue,
on commence n’importe où, pas de fin,
on en fait des bouts, des pans,
tout y paraît sans histoire, sans mémoire,
disloqué comme les choses sont en nous,
avec de grands pans de vide séparés comme des digues.
Les paysages sont intérieurs.
On ne connaît pas la souffrance des autres,
on se contente de soi.

Ce qui rend lourdes les choses s’est perdu au fond
et ne pèse plus.
Demeure le poids de notre présence face au monde,
ce qu’on pèse soi-même sur ses propres épaules.

Peu d’étale des choses, de transparence entre elles,
rien qui tienne hors de notre regard,
la digue on la fait hors de tout, ça n’est qu’au-dedans
que les choses apparaissent, par pans, par bouts,
et c’est de là qu’on les croit isolées,
alors que les espaces ne sont disloqués qu’en nous.


C’est la mer à gauche quand on va à la Pointe aux oies,
à droite ce sont les cabines, les villas, les immeubles récents,
et puis aussi le Grand Hôtel,
les choses, ça arrive, on ne les voit plus,
on croit les savoir par cœur,
on n’écoute plus rien.


[La Digue, Draguignan, éd. Unes, 1995, p. 7-10]


Tristan Tzara – Le temps laisse choir de petits poucets


 

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    Alexandre Calder – composition au papillon

 

 

 

le temps laisse choir de petits  poucets derrière lui

il fauche les fines molécules sur les prairies  d’eau

il dompte les poches d’air  traverse leur jungle

il coupe le ver de  la vague et de chaque moitié

s’illumine un papillon

dans le volcan il se faufile le long  d’une note de

violon

il boucle le cours filant du verre  dans les fines heures

de transparence

là où nos sommeils bousculent la chantante nourriture

de lumière

 

 

L’Homme approximatif

Poésie/ Gallimard

 


Annie Salager – Encore les grands transparents


 

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Jean Messagier ( des fleurs pour l’Asie)

 

 

 

Invisibles par fonds clairs

réfractés seulement dans les plis d’eau

au hasard des courants

 

Ohé du bateau ! Envoyez le passeur !

Quand tout le monde fut à bord

l’un colla un coquillage à son oreille

pour écouter. Qu’ils sont beaux ! dit un autre

Je les vois ! cria-t-on Je les veux ! dit quelqu’un

 

Que cherchaient-ils

Ils ne  savaient pas très bien eux-mêmes

à quel point l’extrême transparence les troublait

sur ce bateau encalminé

 

 

 

HENRY-DE-MONFREID-(1879-1974)(NOS-29-A-89)-VOILE-BLANCHE-A-L-ILE-MOUCHA-1936-AQUARELLE-&HELLIP-

Henri de Monfreid – Voile blanche à l’île Moucha


Jacques Ancet – dire la beauté


*

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sculpture  H Matisse

 

Mais dire la beauté ,c’est dire un mot
qu’on écoute pour voir ce qui brûle
les yeux ou simplement les caresse
entre la transparence du ciel
et le regard s’étend le mystère
de l’apparence on cherche à franchir
cet infranchissable en remuant
les doigts et les lèvres il en résulte
ni chant ni mot un petit bruit.


Des temps et des vents – ( RC )


  •          photo: le vase de Sèvres –  gorges de la Jonte, Lozère

Il faut écouter la poussée du vent,
Bien sûr,      parcourir sa transparence,
Les secousses,   qui bousculent,
Les sommets des arbres,
Et parfois les couchent.

Comme la voile qui se tend,
Offerte     en sa béance,
Ce cap,      cette péninsule,
Sous les rafales, se cabre ,
Tendue à l’extrême , farouche.

Puis, soudain,           se déchire,
Sur toute la longueur,
Désormais livrée à elle-même,
Lambeaux agités
dans la tourmente.

Sans s’infléchir ,
>    Si c’est un vent libérateur,
Les graines se sèment,
Dispersées en quantité,
Comme une pluie bienfaisante.

Elle transmettent leurs gênes,
Aux mains ouvertes de la terre,
Toujours prêtes à les accueillir,
Alors que les pierres chantent,
De leur corps minéral.

Une réponse au chant des sirènes,
Gardiennes de la mer,
De la brise aimable et ses soupirs ,
Ainsi les rochers sur les pentes,
Leur présence immémoriale …

Mais il arrive que par l’usure des temps,
Ce qu’on croyait éternel,
Selon notre mémoire,
Même la plus ancienne,
Un pan de montagne bascule…

Et si c’est        la puissance du vent,
Celle de l’eau     et du sel,
A conjuguer leurs pouvoirs,
>      L’histoire devient incertaine
Equilibre précaire du funambule…


RC – mai 2015


A tous ces mots, leur peine, leur joie … ( RC )


Typographie #4 : compositions et graphisme ! | Blog du Webdesign:

image: provenance                le blog du web design

 

 

A tous ces mots leur peine,
leur joie, leur vie propre,
et leur coeur battant, même
s’ils sont issus de catalogues d’objets rutilants,
d’anciens grimoires,
souvent cachés derrière des double-sens,
comme protégés par une carapace.

On peut en dénicher en haut des armoires,
dans de lourdes encyclopédies,
… parfois ils s’usent, en désuétude,
si on les prononce plus,
inarticulés.

On peut aller en chercher sous des pierres,
coincés dans des pages jaunies,
ou bien          après une ascension lente,
après l’obstacle d’une pente raide,
portant leur vérité, opaques ou ayant la transparence
d’un cristal de roche ,
gagnés après de lents et patients efforts.

Ils migrent doucement    selon les siècles,
les usages et les modes,
méritent une interprétation,
une traduction,
 — ainsi le bétail suivant les drailles
de transhumance.

S’ils sont à priori      inertes      par nature,
c’est leur association,
comme l’addition de produits chimiques,
qui les rend actifs, porteurs d’émotions,
voire virulents .

Corrosifs, avec la couleur qu’on leur donne,
gonflés d’ intentions allusives ou tendres,
parfois sordides et boueux,
déclamatoires               en longues suites,
officiels               dans de rigides discours,
 démonstrations scientifiques irréfutables.

Si les murs ont des oreilles,
dès qu’ils sont lâchés, ils peuvent,
comme le dit Hugo,       semer la discorde et la haine,
comme de mauvaises graines,
trouvant toujours          à s’accrocher quelque part,
crevant même          le goudron épais des trottoirs.

Comme ils sont prononcés,
ajoute une saveur,
douce ou courroucée  ,
sucrée ou épicée  ,
empruntant la voix parlée,
l’envol         de celle de l’acteur,
jusqu’au réceptacle de l’oreille,
généralement       prête à les accueillir.

Plus aériens               dans ce qu’on nomme poétique ,
ils se chargent d’images,      et permettent à l’esprit
d’envisager           des raccourcis vers l’improbable,
dansant en quelque sorte                        tous seuls…
libérés des contraintes d’ organisation rationnelle,

celui qui les emploie,                  n’en fait qu’à leur fête,
les dissout,                             les recompose à sa guise,
jusqu’à en multiplier les sens
dessine leur aube,                        leur solstice,
et les pare d’ombres,
parfois fantômatiques.

Tout le monde les utilise,
certains              portent un cosmos,
une signification inconnue,
qui a été pensée par d’autres,
sans qu’on puisse  en connaître    l’origine exacte,
même avec le scalpel étymologique ;
>           peu se révoltent .

Je les laisse courir
          au gré de ma plume,
et tout le temps avec bienveillance….
on dirait même        qu’ils choisissent
de s’ordonner
tous seuls,          en ébullition,
association spontanée.

Peut-être            qu’ils me traversent
à la façon de cellules sanguines,
alimentant les pensées,
et sachant s’en détacher,
le moment venu,
–       pour fomenter un texte      -,
( dont je ne suis pas sûr d’en être le seul auteur….)


RC – janv 2016


Dis-moi, de l’existence … ( RC )


photo perso:  coq "de garde", chez un guérisseur .  Burkina Faso dec 2011

photo perso: coq « de garde », chez un guérisseur .    Burkina Faso          dec 2011

Dis moi, de l’existence, la réalité.
Hors de nous , pays habités,
L’écharpe de l’horizon, ceinte de brume
Continue, mer , océan, écumes

La poignée de mondes,  qui restreint
Que tire d’ailes, les atteint
Et que les vies  pressent
Sous le soleil ardent, paressent..

Si la sphère habitée est transparence
Où faut-il que mon regard  s’élance ?
Vois -tu de l’autre côté de la terre
Les chemins et routes de poussière ?

Les grandes étendues et la course
des étoiles… disparue la Grande Ourse
L’au delà d’une vision, sans pourtant qu’elle ne se voile
Un quart de cercle, porté vers l’australe.

Vois, la planète , d’un autre costume
Autres peuples, autres  coutumes
Les nôtres, en pays lointain n’ont plus cours
Aujourd’hui est un autre jour

Qu’une aube nouvelle  fusionne
les espaces  d’une  vie, et résonne
en nous, autant les vaisseaux  s’enchevêtrent
Et bat, au coeur, le sang de notre être

Il se voit circuler d’autre façon, étourdi
Sans forcer l’envers, sans  interdit…
Le continent des ailleurs, ailleurs improbables,
Modèle le visage des hommes — en  terre  arable.

RC  – 8 janvier 2013

 


Extérieur vertical (RC)


image: montage perso


En chaleur  d’été, le vent soulevant les bâches
des marchands  de la plage,
… – claquements sporadiques,
Petits tourbillons de sable

Son cri est celui de l’enfant résonnant
depuis l’autre monde
et ses  lèvres sont froides
portant  l’alliance.     du manque

Le manque est d’une étreinte étouffante, et elle ,
une magicienne d’un autre temps.
Quand  tout est vivant alentours,

Mais toujours seule, les bras vides dans le désordre.
Les racines – transparence de la folie –
se sont ancrées  dans un corps
qui n’est plus  sien…

Les nuits féroces, ne sont pas siennes,
Mais un trésor  d’ombres, d’un vertige
Que ne retient  aucun filet
Illuminées  d’un soleil sans écho

Noir de bras  sans appuis, d’un monde,
où ce que disent  ses lèvres, ne se retient pas.
Dans la couleur d’un extérieur vertical

RC          8 mai 2012,    et janvier 2013

que  je complète  avec  un poème  de Jacques  Reda, qui va  « dans le même sens »
L’HABITANTE ET LE LIEU

L’âme semble un couloir où des pas hésitants résonnent,
Mais personne jamais ne vient. Dehors, l’ombre qui tremble
Dans les encoignures de porte et sous les escaliers,
C’est l’âme encore, quand la nuit fige le long des murs
Les flots d’eau pâle et froide où l’on est heureux de descendre.
Et qui donc parlait de salut ou de perte pour l’âme,
Alors qu’elle est blottie en son frisson et cependant
Toujours plus dénudée au vent qui souffle en ce couloir ?
Qu’elle se cache ou rôde, écoute : elle s’égare, étant
L’habitante et le lieu d’une solitude sans nom.

Jacques Réda, Amen, Gallimard, 1968


Jacques Ancet de « chronique d’un égarement »


Je voudrais continuer, mais tout vacille. L’heure, le jour, la rue, le verre sur la table, le visage dans la glace… Les certitudes, il y a longtemps qu’elles se sont écroulées. Je suis soudain au cœur d’un présent brutal, grelottant, comme si j’ouvrais les yeux pour la première fois.

 

peinture: William Turner distant

 

 

 

 

 

 

Alors je déterre la lumière. Je lui rends sa splendeur. Je retrouve soudain le chien fidèle de mon ombre couché à mes pieds. Je reprends mon souffle. J’ouvre les bras et tout s’y loge : l’espace, la violence et la douceur, le ciel blanc, la stupeur de la montagne, un bougé de feuilles, le cri passant d’invisibles oiseaux, la douleur et le chant, l’amour et ce qui nous déchire. Je ris. L’air me traverse. Je traverse l’air. Nous sommes le même éclat, la même transparence.

 

Extrait de Chronique d’un égarement, inédit.

 

 

peinture: William Turner aquarelle S. Giorgio Maggiore