Alexandre Vialatte – Lapin
extrait de son recueil » bestiaire »

Il est en pain d’épices.
Sur une affiche voyante. Il chante la gloire du pain d’épices.
Jamais on n’a vu tel lapin ; plus entraînant, plus décidé, plus franchement parti pour la gloire.
Il passe en trombe, il défile en fanfare, il vous gifle du vent de sa marche exaltée.
On quitte son chemin, on le suit, il électrise, les promeneurs lui emboîtent le pas.
On ne sait où il va, le sait-il ?
En tout cas il y va si vite que ça doit être extrêmement pressé.
Sous le bras gauche, il porte un pain d’épice, et de l’autre il joue de la trompette.
Le nez au vent, « la tête aux deux dressée » comme Josué autour de Jéricho.
Jamais personne n’a cru au pain d’épices avec une conviction si purement exclusive de tout ce qui n’est pas pain d’épices, avec une hâte si fébrile, avec une foi si claironnante, avec une fierté si hardie.
Ne nous trouvons pas sur son chemin, nous tomberions dans le vent de sa trompette.
Dépêchons-nous, quelqu’un a dû lui dire où se cachait le vrai secret du pain d’épices. Il court, il vole, c’est un chasseur à pied, c’est un zouave de Déroulède.

Ismaël Kadare – la locomotive
La locomotive (extrait)
Dans le calme de la mer, près des vagues
Ta jeunesse au milieu des flammes te revient en mémoire.
D’un bout de l’Europe à l’autre.
D’un front à un autre front,
En fonçant au travers des sifflets, des sirènes et des larmes
D’un sombre horizon à un sombre horizon,
Tu allais toujours plus loin au-devant des jours et des nuits,
En jetant des cris perçants d’oiseau de proie,
En sonnant de la trompette guerrière,
Dans des paysages, des ruines, des reflets de feu.
Dans les villes, dont tu prenais les fils,
A travers des milliers de mains et de pleurs,
Tu te propulsais vers l’avant,
Tu ululais
Dans le désert des séparations.
Derrière toi
Tu laissais en écho à l’espace,
La tristesse des rails.
Sous les nuages, la pluie, les alertes, sous les avions
Tu traînais, terrible,
Des divisions, encore des divisions,
Des divisions d’hommes,
Des corps d’armée de rêves,
A grand-peine, en jetant des étincelles, en haletant,
Car ils étaient lourds.
Trop lourds,
Les corps d’armée des rêves.
Quelquefois,
Sous la pluie monotone,
Au milieu des décombres
Tu rentrais à vide du front
Avec seulement les âmes des soldats
Plus lourdes
Que les canons, les chars, que les soldats eux-mêmes,
Plus encore que les rêves.
Tu rentrais tristement
Et ton hurlement était plus déchirant,
Et tu ressemblais tout à fait à un noir mouvement,
Portefaix terrible de la guerre,
Locomotive de la mort.
Ismaîl KADARE in « La nouvelle poésie albanaise »
–
voir aussi sur le thème de la déportation « trains sans retour »
Au silence des vases ( RC )
aquarelle : Giorgio Morandi
Silence des vases :
une suite de silhouettes
Se découpent sur les strates
Des ombres enlacées.
Tiendrait encore dans la main,
La matité d’une terre-cuite
Portant encore la trace du doigt
Modelant la glaise des anses.
Accord de trompette avec un basson,
Rayon de soleil sur le manteau hivernal
Se pose le reflet du verre
Sur l’assemblée des pots
Alignés sur la table
Silhouettes confondues
Bravant le fond étalé de beige
Un éclat bleu de Morandi.
RC – mars 2013

Nature morte (Giorgio Morandi 1962)
et un petit hommage à Arthemisia…., – ainsi que – ainsi que ( encore )
–
Robert Marteau – La Sagrada Familia

photo Céline & Jeremy, de leur blog Paris-Bali: intérieur de la Sagrada Familia – Barcelone — A GAudi
C’est défaite d’abîme, étrange astrologie!
Les vagues prennent corps,coiffent, chaussent l’azur
Du feu le plus léger. Tout s’élève en un mur
Organique de plis, d’entrailles; vers la vie
Tout monte; d’elle tout s’éloigne; la mesure,
Que brise le ressac, que la flamme dévie
En solaire oriflamme, à la pointe surgit
Du métal affiné par la foudre, très pur,
Très saint,unique cri que la pierre répète;
(Sanctus! ) seul cygne ou prend sa forme la trompette,
Dans ce réseau de nerfs clamant son agonie,
Proclamant son triomphe;et sa note s’appuie
Sur la nervure et l’os, le moignon que l’esprit
Reconnaît pour sa voix, son trèfle en broderie
–
ROBERT MARTEAU : extrait de « terres et Teintures »
–
Colère et éclaircie ( RC)
Il y a dans mon ciel, quelques nuages
Portés par le vent d’Ouest, ils envahissent
Les dessus d’horizons, comme pâte dentifrice
Et se tordent , à mon humeur, – comme c’est dommage ! –
de laisser ,à la colère, toute la place
Et ainsi cacher le dessein solaire
Des contrastes, – le monde à l’envers
Des ombres farouches, qui agacent…
Suspendus au dessus du sol, quelques mégatonnes
S’échafaudent, se bousculent , des projets d’orage
Tardant , maintenant dans le grand balayage
Alors que la trompette d’Eole s’époumonne
Ayant convoqué la grêle et autres intempéries
Tornades et giboulées, d’avant l’été
Est-ce donc d’avoir tempêté
Que le ciel s’est fendu, et qu’on en rit ?
En fronçant les sourcils, un peu par ici
Les cumulus sont allés voir ailleurs
Un paysage plus serein et rieur,
Ce qui nous laisse, au sourire, une éclaircie.
–
RC -26 mai 2012
-sur le même thème, Rainer Maria Rilke s’exprimait ainsi:
Après une journée de vent,
dans une paix infinie,
le soir se réconcilie
comme un docile amant.
Tout devient calme, clarté…
Mais à l’horizon s’étage,
éclairé et doré,
un beau bas-relief de nuages.
Rainer Maria Rilke – quatrains valaisans