Florence Noël – d’écorce

on avait dit au revoir aux arbres
à chaque feuille
et de tomber avec elles
nos mains s’enflammaient
puis murmuraient des choses lentes
apprises dans l’humus
le manteau de leur torse
était trop vaste
pour contenir le souffle des oiseaux
et tous ces souvenirs
délestés de bruissements
ces troncs buvaient nos bouches
adoubement de sèves
de part et d’autre
d’un baiser de tanin
on avait confié à leur chair
le soin de graver
l’étendue d’une vie
et dans l’ombre inconnue des cimes
nos dents entaillaient
le fragile désir de croître.
extrait de « Au hasard de la lumière »
Le temple du jardin des rois – ( RC )

Des torches de lumière
papillonnent , légères,
poussées par les tilleuls.
Les bancs nous attendent ,
dans un havre préservé du soleil,
à l’orée de la forêt de pierre.
Vois-tu ces colonnes ?
elles ne portent qu’elles-mêmes,
ou une part d’histoire qui ne reste jamais sur place.
Des roses vivaces
cachent leurs épines, derrière leurs feuillages,
et se tournent vers le bassin, immobiles.
Courent derrière les grilles
proches du jardin du palais Royal,
pleins d’insouciance, des enfants .
Ils franchissent d’un bond
les troncs morts des colonnes,
coupées à ras.
L’ombre grignote petit à petit
l’ordonnance des bâtiments sévères :
elle s’agrandit sur la place;
On imagine qu’un temple grec attendait
émergeant à peine du sol,
bientôt envahis de sable, ce sont ses vestiges
où planent les oiseaux de proie
au-dessus de ce que fut jadis
le jardin des rois.
une rivière qui palpite et respire – ( RC )
–
Il y a des creux dans l’eau.
Des collines s’y précipitent et tourbillonnent .
Avec des feuilles et des brindilles arrachées,
Un peu plus en amont.
Toujours au même endroit, bordés d’écume .
On suppose que leur contour, mal défini ,
Correspond, plus bas, à des rochers cachés,
Entre lesquels rôdent des truites .
Le chemin de l’eau se poursuit ainsi,
En plages profondes, où les saules se regardent,
Offertes à la caresse du vent,
Confondant les reflets et le frissonnement du jour .
–
C’est une chanson d’un jour de printemps,
Au murmure liquide, qui a oublié,
La furie des eaux boueuses,
Où des troncs furent emportés :
L’enchevêtrement inextricable de végétaux,
Parfois suspendus à grandes hauteurs,
Comme des vêtements de misère,
Habillant encore des branches.
La rivière palpite, s’enfle ou se dégonfle,
Au gré du menu des saisons,
Ainsi le corps vivant, qui respire
Pouvant rugir ou se taire.
–
L’été de sécheresse, la réduisant
A quelques bras maigres,
Serpentant entre les pierres,
Comme si on en voyait le squelette.
L’étendue du minéral , mis à nu
Et le volume des blocs empilés,
Laisse présager la puissance du courant,
Un instant suspendu, à titre provisoire .
Car au loin fleurissent des cumulus,
Qui pourraient bien, s’ils se déversent,
Donner au cours , un tout autre aspect,
Et marquer la fin du sursis.
–
RC – mai 2015
– photo : Stephen Penland
Chemin des pierres – ( RC )
–
Le chemin des pierres, se ponctue, à chacune,
de son ombre.
La colonne se dresse,
autant que la force humaine l’a permise, contredisant la nature,
plantée contre le ciel.
Et si c’est un défi,
Celui du poids, de l’inertie grise,
Le chemin de pierres garde le silence,
Sur son secret,
Au milieu des clairières,
Et parfois des troncs,
– Quand la forêt s’est rebellée.
Plusieurs se sont sans doute succédées,
Et plusieurs générations,
Les muscles douloureux,
A la sueur de l’effort,
Aux cordes tendues,
Comme celles d’une contrebasse,
Et qui quelquefois cassent.
Plusieurs générations d’hommes,
Des cohortes haletantes,
Poussant
Vers ce but réaffirmé,
Dont on ne sait plus rien,
Si ce n’est ce défi, justement,
Traversant de toute sa masse,
L’épaisseur du temps,
Son épaisseur presque palpable,
Au grain palpable,
Comme celui des pierres, justement.
Elles se font ligne,
Elles se font cercle,
Elles nous font face.
Elles chantent presque,
Tant elles sont familières.
Elles sont à l’image des hommes.
Rudes, bravant les saisons.
Inscrites dans le lieu. attachées au sol,
Dans des pas de géants.
A la ronde du soleil,
Le chant de la lumière ….
> Dressées.
Robert Piccamiglio – la petite forêt à crédit
peinture: Camille Pissarro ; la route de Louveciennes 1871
–
j’avais acheté
une forêt entière
à crédit
une petite forêt
avec seulement un seul chemin
pour la traverser
je croyais
que les arbres
ça parlait mieux
que les hommes
parce que moi
je n’avais personne
à qui parler
je me suis appuyé
contre eux
en posant ma tête
contre leurs troncs
rien
pas un seul de ces arbres
ne répondait
entre eux
ils devaient bien se parler
se dire des trucs
d’hommes ou d’arbres
avec moi
rien ne sortait
Alors j’ai acheté
une tronçonneuse
j’ai coupé tous les arbres
barré le chemin
regardé le ciel
une dernière fois
et j’ai posé la lame
contre ma gorge
—
extrait de « le jour, la nuit, ou le contraire »
ed Jacques Bremond
–