Fin de partie – ( RC )

1944- front Max Ernst and Dorothea Tanning play with Max Ernst Chess Set; back Muriel Streeter and Julien Levy play with a Bauhaus Chess Set
Sur le trottoir de l’avenue
le vent fouettait les oriflammes.
Je suivais la diagonale,
et le cavalier m’indiquait la voie,
sans que le soleil ne se montre…
J’ai emprunté dans une vitrine
le reflet de la boulangère anachronique,
habillée à l’ancienne d’un hénné
et d’un vieux tablier.
Fixé sur place par une pesante cotte de mailles,
je n’ai pu empêcher la tour de s’avancer.
Elle m’a barré la route
pendant que, du beffroi
la cloche la plus grave
marquait la fin de la partie.
RC – août 2020
Julio Ramon Ribeyro – cendrier
L’habitude de jeter mes mégots par le balcon,
en pleine place Falguière, lorsque je m’appuie au rebord
et qu’il n’y a personne sur le trottoir.
C’est pourquoi cela m’irrite d’y voir quelqu’un lorsque je vais faire ce geste.
“Que diable fait ce type dans mon cendrier?” me dis-je.
Julio Ramon Ribeyro
Jacques Borel – la trace
LA TRACE
À qui veux-tu parler ?
Les trottoirs sont déserts,
Un petit soleil mort
Ou le crachat d’hier
Se sèche sur le mur.
O veine de mica,
Tesson, mucus, paupière,
Trace d’une lueur
Absorbée par la pierre,
Ne t’éteins pas encore,
Reste d’un geste humain
Ou souvenir du jour,
Illumine ce peu
D’espace consolable
Où ma vie comme un poing
Serre ses derniers rêves .
–
extrait de « sur les murs du temps »
Pierre Autin-Grenier – Toute une vie bien ratée ( extrait )
–
C’est bien parce que j’avais encore tout l’après-midi devant moi pour ne rien faire que je me suis laissé doucement glisser
dehors tel un oursin se détachant de son rocher pour s’en aller vagabonder au gré des flots.
Toujours il pleuvait à verse.
Mais je préférais me faire saucer jusqu’à la moelle plutôt que m’esquinter l’âme à trimballer un parapluie ; n’ayant nulle
part où aller, peu m’importait d’y arriver mouillé et je gardais ainsi entière ma liberté.
Des idées un tantinet loufoques, inscrites à la craie dans ma folle cervelle, commençaient à se diluer sous cette bouillabaisse tombée des nues et me ruisselaient maintenant le long du cou jusqu’à me faire frissonner l’échine d’insouciance et de volupté.
La pluie faisait flicflac au-dedans de mes souliers et ce curieux clapotis, aussi bizarre que cela puisse paraître, s’accordait bien aux petits morceaux de Bach qui parfois revenaient violoner dans ma tête.
D’un trottoir l’autre, plus j’avançais dans la journée, plus je
trouvais que mon système de me laisser flotter était parfaitement au point et l’ivresse du vide qui s’ensuivait vraiment me
comblait au-delà de toute espérance.
Quand j’ai regagné mes pénates et que j’étais à tordre pire qu’une serpillière, je me suis un bon moment senti un peu poète et cette étrange impression m’a rendu le coeur léger au point qu’il ne m’a pas paru utile d’user mes forces et mon temps à me sécher.
J’ai simplement ouvert large la fenêtre pour laisser pénétrer les senteurs du soir, si particulières quand la terre est trempée, et ça faisait comme un parfum de pétunias relevé d’une pointe de pivoines ; ce mélange m’a semblé tout à fait propice à encore naviguer à la godille et rêvasser en diable jusqu’à nuit tombée. Ce que j’ai fait, mon Dieu, sans trop de difficulté.
C’est quand le sloughi de la voisine s’est mis à hurler à la lune que la pluie soudain a cessé. Je me suis posé sur l’appui de la fenêtre, les guibolles ballant dans le vide, et dans le ciel des étoiles à tire-larigot me faisaient des clins d’oeil complices et les constellations, la Grande Ourse et le Dragon notamment, des petits signes amicaux.
J’ai trouvé ça plutôt encourageant.
Je venais d’échapper toute une journée à l’industrie, je m’étais soustrait des secondes, des siècles, aux soubresauts haineux du monde ; au mitan de ma vie j’avais en somme apprivoisé pour moi l’idée simple qu’il n’est pas plus mal d’avoir tout raté.
Ce n’était pas rien ! Je suis allé me coucher, flottant toujours et bien fatigué. Comme tout le monde.
Marcel Olscamp – Piazza Navona
photo : Emanuel Tanjala – fontaine des 4 rivières piazza Navona Rome
–
Les bruits des rues séchaient déjà
fragiles dans leur nuit de pluie
lorsque l’amant de ton roman
sortit transi de ta valise
en répandant sur le trottoir
la rumeur douce de ces heures
où tu lisais en m’attendant
Alors j’ai roulé les rues
comme une langue amère
et j’ai relu ma chambre
avec mes draps sans toi
presque sans moi
.
On n’invente plus la pluie (d) – ( RC)

photo – favelas au Brésil
Autour de la colline brune,
La rivière s’enlace …
De tôles et de planches,
S’agrippe le bidonville,
Emergeant sous la lune,
Autant qu’il s’entasse,
Oscille et se penche,
D’hésitations malhabiles…
Aux horizons noircis de fumées
Des usines assez proches
Ecrivent le labeur,
Et les cités dortoirs
La ville d’écailles ,de nuit allumée,
Vue d’en haut – assez moche –
Est pleine de dormeurs.
La pluie, ruisselle sur les trottoirs…
RC 21 août 2012
Jean-Claude Pirotte – la fille, le bossu
Extrait du « Promenoir magique »
à la fille qui lui dit viens
l’homme promet sa chemise
les néons luisent dans le noir
et le filet d’eau du trottoir,
le bossu qui passe en boitant
ne peut jamais se retourner
à cause de sa bosse
et puis aussi du fardeau des années
mais les bossus deviennent rares
les tout derniers sont clandestins
comme dans la chanson
si tu vois un bossu
pense à ton destin
Arthémisia: – Au Bord de l’explosion
Je me fais toujours un plaisir de parcourir corpsetame d’Arthemisia… ( et j’aime faire écho à ses écrits au style toujours particulier… qu’ils soient anciens ou présents
418 – Au Bord de l’explosion
