Valère Novarina – Si un jour je suis
image: montage perso avec au départ un tableau de V Velickovic
Si un jour je suis, vous offrirez ma viande de vie aux animaux.
Si un jour je suis, je vous offrirai ma vie pour la manger.
Rien correspond aux sons que j’entends.
J’ai peint mes deux oreilles qui sont en bleu :
j’avais déjà peint les deux pieds de ma chaise en vide.
Enfant, j’avais déjà peint de travers un chien tout noir
entier en blanc, avec un trou noir au milieu
pour voir dedans, percé lui-même d’un blanc
pour voir derrière.
Personnages – ( RC )
animation: Anna Malina
Ici, le récit prend une autre tournure:
il y a des êtres qui prennent consistance,
quand les pages se tournent .
L’auteur sait faire s’agiter
les lignes imprimées,
et, au fil des chapitres,
les personnages apparaissent.
Ils commencent à vivre, répondent aux situations.
Leur caractère se dessine,
se précise,
et on ne serait pas surpris de les reconnaître,
si un film s’emparait du scénario.
Ils seraient animés » pour de vrai »,
mais nous seraient déjà familiers .
Nous les avons déjà rencontrés.
Ils dessinent leur contour flou
à l’intérieur même du livre
et peut-être ne demandent-ils
qu’à en sortir.
Le font-ils ?
et à l’insu de l’auteur ?
Il est difficile de le savoir,
car, s’ils le font,
c’est quand nous dormons,
et ils s’emparent de nos rêves
pour les transformer à leur guise.
C’est pour cela qu’à notre réveil
l’oubli passant au-dessus, nous ne remarquons rien.
Je me rappelle toutefois,
qu’un jour des personnages
que l’on croyait fictifs,
soumis au rang modeste
de créatures de papier
ont réellement demandé à être reçus
par l’auteur les ayant négligés.
C’étaient des gens bien ordinaires,
certes au profil un peu plat
( pouvant rentrer sans dommage dans les livres),
mais qui étaient parvenus à grignoter ceux-ci
de l’intérieur…
survivant , en se nourrissant du récit même
qui n’avait pas trouvé de conclusion.
Bien entendu, c’est une affaire qui a fait grand bruit,
et un dramaturge assez connu
a exploité ce fait divers
pour prétendre leur trouver un autre auteur,
et, par là même les intégrer dans sa pièce
( une pièce qui était toujours en construction…
– ou plutôt qu’il n’arrivait pas à terminer )…
On peut imaginer le décor classique d’une pièce
de théâtre de boulevard: un buffet,
un canapé, une bibliothèque
une table où l’on a disposé des assiettes,
et surtout des portes
où les comédiens peuvent passer selon les scènes
de côté cour à jardin ( et inversement ).
Ce qu’on sait moins,
c’est qu’une fois nos personnages
« concrétisés » pour jouer leur propre rôle
dans la pièce – qui n’était pas encore faite –
n’ont pas tardé à se trouver
dans la même situation
que celle du livre dont ils étaient sortis.
A la première:
beaucoup de monde voulut assister ,
cette représentation des « six personnages en quête d’auteur »
( on allait enfin savoir le fin mot de l’histoire ! ).
Au lever de rideau on ne s’attendait tout de même pas
à ce que le décor soit entièrement grignoté
par les personnages.
Eux-même avaient disparu
dans un grand trou
qu’ils sont arrivés à creuser dans le plateau.
On ne les a jamais retrouvés.
Peut-être hantent-ils les rues,
les gares ou les ministères
ou sont-ils aller habiter jusque dans nos esprits ?
–
RC – nov 2019
François Piel – Tout hasard
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–
TOUT HASARD
Cela pouvait arriver.
Cela devait arriver.
C’est arrivé plus tôt
Plus tard
Plus près.
Plus loin.
C’est arrivé
Mais pas à toi.
Sauvé, car tu étais premier.
Sauvé,
car tu étais dernier.
Car seul
Car du monde.
Car à gauche.
Car à droite.
Car la pluie tombait
Ou l’ombre.
Car il faisait soleil
Par bonheur, il y avait là un bois.
Par bonheur, il n’y avait point d’arbre.
Par bonheur un rail, un crochet, une poutre, un frein,
une embrasure, un tournant, un millimètre, une seconde.
Par bonheur une paille flottait sur l’eau.
Parce que, par suite, et pourtant, malgré tout
Qu’eût-ce été, si la main, le pied, d’un pas,
d’un cheveu d’un concours de circonstances.
Donc tu es?
Droit de l’instant encore entrouvert?
Un seul trou au filet, et tu es passé par là?
Je ne puis assez m’étonner, me taire.
Ecoute comme ton coeur me bat.
–
François Piel (1972)
Nanni Balestrini – Arianne 1

peinture Wolf Vostell 1967
arrêter impossible
–
voir, toujours le beau site d’une autre poésie italienne…
–
Bassam Hajjar – tu me survivras – les creuseurs
LES CREUSEURS
Que faisaient les mains habiles
mains d’hommes et de femmes
qui étaient comme nous des creuseurs
lorsque l’esprit du trou apparaissait
sous les traits d’une taupe ?
Les creuseurs nos pairs ont trouvé une galerie
une salle éclairée dans une galerie,
un homme qui attend une femme
qui attend dans la salle éclairée,
une femme qui fabrique un homme
qui fabrique une femme dans la salle éclairée,
un homme et une femme
solitaires ensemble
multiples ensemble
dans la salle éclairée.
– extrait de « Tu me survivras » Actes/ Sud –
Raôul Duguay – La mer à boire
La mer à boire
J’étais l’enfant d’un siècle fou
J’avais la tête pleine d’oiseaux
Je construisais de beaux châteaux
Je vidais la mer dans un trou
La mer était belle à mourir
J’étais une fleur à cueillir
La vie était un jeu d’enfant
Je prenais vraiment tout mon temps
J’avais pour moi l’éternité
Pour vider la mer dans un trou
Je me soûlais de liberté
Et je réinventais la roue
J’étais l’enfant d’un siècle chaud
Dans ma petite tête il faisait beau
Mes châteaux se tenaient debout
Et mon royaume était partout
Et je suis devenu un homme
Les mots sont mes plus beaux châteaux
Mais comme une image vaut mille mots
Mes beaux châteaux vont prendre l’eau
Les mots deviennent des numéros
Un plus un égale zéro
Plus on a de zéros plus on vaut
Quand on signe son nom à l’endos
Je suis l’enfant d’un siècle de fous
Les riches creusent aux pauvres un trou noir
Donnez-moi donc un peu à boire
Et tant qu’à y être : versez-moi la mer
Et je rêve encore de boire l’eau de la rivière
Quand j’étais petit je m’y baignais dans la lumière
Ah mais aujourd’hui les rivières prennent l’eau
Et je rêve encore au jour où dans les dictionnaires
On ne trouvera plus le mot guerre qui crée la misère
Et qu’enfin les mots ne prendront plus l’eau
Il reste encore quelques oiseaux
Qui ne chantent pas encore faux
Je vide la mer dans mon verre
–
extrait d’une chanson de l’auteur
Paroles et musique : Raôul Duguay
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