Ossip Mandelstam – La quatrième prose : nuit glaciale en Crimée
peinture: Raoul Ubac
On sortait par une de ces nuits glaciales de Crimée,
on prêtait l’oreille au bruit des pas sur la terre argileuse, sans neige,
gelée comme le sont dans le nord nos ornières en octobre ;
palpant du regard ces sépulcres dans l’obscurité, les coteaux
de la ville populeux mais aux foyers éteints, avalant à pleine gorgée
ce brouet d’une vie assourdie, interrompue par l’aboiement des chiens
et salée par les étoiles, on ressentait physiquement, avec acuité,
la peste descendue sur le monde :
une guerre de trente ans, avec ulcères et bubons, avec ses feux étouffés,
ses chiens aboyant et ce terrible silence dans les maisons des petites gens.