variations en bleu et vert ( chez Whistler ) – ( RC )

W A Whistler – variations en bleu et de vert 1868
C’est peut-être une fin d’été. devant la mer
Quatre femmes sont les actrices
d’une peinture de Whistler: presque une esquisse
peinte à grands traits rapides.
Sous un ciel paisible et lisse,
une brise s’élève à peine :
c’est une symphonie de bleus et de verts
devant une eau claire et limpide,
où rien ne bouge…
Le personnage de gauche marche lentement.
On le dirait sorti d’une fresque romaine
ses voiles jouent avec le vent.
A côté de cette femme
se tiennent deux dames
habillées de bleu et vert, également
avec quelques notes de rouge.
L’une d’elles tient un éventail.
Le peintre n’a précisé aucun détail…
Elles entourent le personnage principal
à la position centrale,
le regard perdu dans le lointain
assise, avec un geste de la main.
On ignore ce qui les réunit ici,
s’il y a une maîtresse et des servantes ;
elles se fondent dans le calme et l’harmonie.
On s’attendrait à une fête galante,
sans fioriture inutile
au retour d’Ulysse dans sa patrie,
un vaisseau que l’on devinerait entre deux îles:
—- on ne saura rien de la suite
du tableau, le regard se perd au-delà de ses limites…
Benjamin Fondane – Ulysse, une déesse à tes côtés

Tu avais une déesse à tes côtés, Ulysse!
- À quoi sert-il de voyager?
Une jarre de lait calme, les cuisses de l’épouse,
les jours comme des pommes tombées dans le verger,
une belle lumière lisse,
la paix de l’œuvre faite et la nuit à l’auberge,
vieillir tout doucement près d’un pichet de vin
quand la lune blanchit le large,
tout en trinquant avec des marins revenus infirmes,
d’on ne sait quelles batailles louches
qu’on a du mal à épeler… - À quoi sert-il de s’en aller
déjà vaincu, avant d’avoir ouvert la bouche,
dans des pays d’où l’on ne reviendra
que vieux plein de sirènes
que l’on n’a pas écoutées de victoires manquées
« le cœur lourd d’avoir résisté à sa soif? »
Pénélope – (Susanne Derève)

Hélène Schjerfbeck – Portrait de femme
Le temps avale la pelote
et patiemment je détricote
le fil ainsi fit Pénélope
dévidant la nuit son ouvrage
(le temps abolit son veuvage
avait-elle entendu le vent
qui poussait Ulysse au rivage)
Araignée qui tisse sa toile
si je démêle l’écheveau
parfois la lueur d’un falot
suffit à déchirer le voile
Si la coque devient radeau
qu’il vienne à rompre les amarres
qu’importe où l’entraine le flot
(Mars 2018)
Gisela Hemau – préparatifs
estampe: Raoul Ubac
–
Nous prendrons soin de tout ce qui nous manque, l’ébrieté de l’eau,
l’ensevelissement des ombres sous nos corps,
les actes de naissance et de mort piles en fond de coquillage.
Puis nous repartirons ensemble,
Ulysse en houle de premier sillage, haletant
pour que la gorge, trop longtemps coincée, redevienne sauvage.
James Joyce – Les jours ( Ulysse )
« Toute vie est composée de beaucoup de jours, jour après jour. Nous marchons à travers nous, rencontrons des voleurs, des fantômes, des géants, des vieillards, des jeunes hommes, des épouses, des veuves, des beaux-frères. Mais toujours nous nous rencontrons nous-mêmes . »
–
“Every life is many days, day after day. We walk through ourselves, meeting robbers, ghosts, giants, old men, young men, wives, widows, brothers-in-love. But always meeting ourselves.”
— James Joyce, Ulysses (1922)
Préférer les sandales aux bottes de cahoutchouc ( RC )
-fresque de la Villa Farnèse – Raphaël
Au confort exotique,
le corps s’étale
dans la vie locale
aux aléas climatiques…
Convoquée , manucure
Ne craint pas scandale
Et dessine , démarche bancale
Les pieds, ailés de Mercure
Trouver meilleure chausse
A son pied servile ….
Il est toujours plus facile
De célébrer des noces
En sortant de son chapeau
Un soulier de cristal
Plutôt que sandale
Aux temps hivernaux.
Au sortir de l’aéroport
Si tu as le pied fin,
C’est soulier de satin,
Garanti grand confort
Aux pays du soleil
Sans être momie, aux bandelettes
Es tu bien dans tes baskets
Les ampoules vissées aux orteils ?
Trouver chaussure à son pied,
Le grand amour rêvé…
Cueilli au pied levé,
Des temps expatriés.
Des bottes de sept lieues
Permettent, avec quelque chance
De franchir grandes distances
Pour agiter, mouchoirs des adieux.
La soif d’idéaux
Fait de toi la reine
– Un jour couverte d’étrennes
Portée au plus haut…
C’est oublier, que la terre est dure,
Même de l’autre côté – obtuse
Et que les semelles s’usent
Avec la distance, et le pas sûr…
Il n’y a pour rêver, pas d’age…
Aux vols d’altitude
La chute peut être rude
En quittant les nuages.
Laissant de l’amour, le mystère
J’en connais, qui préfèrent des souliers
– De milieux hospitaliers
Accrochés à la terre.
Se bouchant les oreilles, Ulysse
Pour éviter , des sirènes, les voix
Fit ainsi son choix
– Et sur lui, elles glissent.
Quittant le paradisiaque,
Le voila, laissant le boubou
Pour des bottes de cahoutchouc
Bientôt en vue d’ Ithaque …
Pénélope,…. pour l’accueillir, est venue,
Portant ses escarpins
Au creux de ses mains,
Et elle, elle est pieds nus…
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RC – 14 janvier 2013
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Ulysse est de retour ( RC )
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Ulysse est de retour – c’est ce qu’il paraîtrait
Mais se souvient-on, encore de ses traits ?
Ou le reconnaître à quelque chose, peut-être sa bague ?
si son corps émerge un jour d’entre toutes ces vagues…
Or comme la chance tourne, aussi, les vents contraires
Permettent avec Neptune, un retour vers la terre
Contre les sorcières — des efforts insensés
Pour retrouver l’épouse, le pays ( au diable la Circé !)
Non loin d’une petite île, la mer Egée, porte son épave
La côte dentelée, chuchote un murmure, d’entre les agaves,
Les pins , les figuiers , jardin méditerranéen, de Picasso
Les fenêtres ouvertes, la terrasse blanche, et les plantes en pots.
Le voila debout, couvert d’algues marines,
Et sa cuirasse, au cuir d’auréoles salines
Entreprend, blessure oblige, une ascension lente
Glissant des cailloux, que fatigue sa pente…
En route pour sa demeure, il tient à la main
Une lance brisée, un filet d’oursins..
Le retour fera la une, il va falloir que l’on danse
————-Après de longues années d’absence.
Les animaux le reconnaissent d’abord, – têtes curieuses
Des récits du guerrier, pêche miraculeuse
Les centaures,, les nymphes et les chèvres
Chouettes et hiboux, taureaux – et même les lièvres
Ne se souviennent ni d’Hélène, ni de Troie
Mais du héros au regard lointain ( ou bien à l’étroit )
Car, bien au-delà de l’horizon des mers
Selon l’odyssée rapportée par Homère,
Il faut oublier le sang versé, et les larmes
Enterrer les compagnons perdus, et les armes.
Le repos du guerrier évoque les femmes-fleur
La paix retrouvée diffuse du bonheur, l’odeur,
Pour célébrer » la joie de vivre «
Avec Bacchus à s’en faire ivre…
Notre héros est de retour ! La célébrité !
Devant quand même décliner, son identité…
Pénélope, ses prétendants à l’amour
Ne comptaient plus ( après un tel détour)
Qu’ils puissent perdre leur pari
Et la dame, sa patience » en tapisserie »…
Qu’elle défaisait , après le jour , la nuit,
N’a pas dormi, pour mieux tricoter son ennui
L’araignée nocturne, amante pieuse, re-défait sa toile
Comme faisant des voeux, ou porter le voile,
Fait de ses semaines,une longue chaîne de patience
A refaire les gestes, les mêmes, en permanence
Mais guettant l’horizon, et sa moindre barque,
Attendant Ulysse – lui seul sait bander son arc…
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RC 16 juin 2012
–
– ( et liens sur six oeuvres de P Picasso)
Ulysse – Ode à ma plume
Ulysse nous fait partager sa « plume », c’est le cas de le dire, avec le titre choisi…
il participe au forum « En Attendant la fin du monde », c’est là que je l’ai « repêché »
–
Ode à ma plume
–
Je confierai ma plume à la foudre et aux vents,
Aux furieuses tempêtes, aux fauves tremblements.
Je la veux souveraine, insolente et fantasque,
Insensible à la haine, sans faiblesse, sans masque.
Je la veux intrépide, courageuse et libre
Ecrivant sans ambages mon ivresse de vivre.
Quand les vents des passions se seront apaisés
Ma plume cheminera aux sentiers irisés
Des tendresses du soir entre des bras fragiles
Quand la force est vaincue par un battement de cils.
Elle se fera pinceau aux encres de couleurs
Traçant sur le papier les signes du bonheur.
Elle glissera ses mots au milieu de silences
Quand il faudra se taire devant une souffrance.
Je la veux enjouée, folle, primesautière
Sautant dans les ruisseaux, remontant les rivières
Tirant du fond de l’ombre, des perles, des diamants
Accrochant à ses lignes de jolis cerfs volants.
Je dirai à ma plume d’écrire des poèmes
Sur tous les vagabonds et leur vie de bohème
Sur les cris des enfants à la récréation
Sur les mots des amants au feu de la passion.
Et lorsque fumera mon dernier feu de bois
Elle inscrira encore aux branches d’une croix
« Pardonnez lui, Seigneur, d’avoir pris du plaisir »
« Aux rimes polissonnes.., il aimait trop écrire !»
Ulysse 2 février 2012
—
Jorge Luis Borges -Voir.
Voir que la veille est un autre sommeil
Qui se croit veille, et savoir que la mort
Que notre chair redoute est cette mort
De chaque nuit, que nous nommons sommeil.
Voir dans le jour, dans l’année, un symbole
De l’homme, avec ses jours et ses années ;
Et convertir l’outrage des années
En harmonie, en rumeur, en symbole.
Faire de la mort sommeil, du crépuscule
Un or plaintif, voilà la poésie
Pauvre et sans fin. Tu reviens, poésie,
Comme chaque aube et chaque crépuscule.
La nuit, parfois, j’aperçois un visage
Qui me regarde au fond de son miroir ;
L’art a pour but d’imiter ce miroir
Qui nous apprend notre propre visage.
On dit qu’Ulysse, assouvi de prodiges,
Pleura d’amour en voyant son Ithaque
Verte et modeste ; et l’art est cette Ithaque
De verte éternité, non de prodiges.
Il est aussi le fleuve interminable
Qui passe et reste, et reflète le même
Contradictoire Héraclite, le même
Mais autre, tel le fleuve interminable.
…
L’autre, le même.
Hubert Haddad – une rumeur d’immortalité 01
I
vie lointaine, jour d’avant Ulysse agonise au bord du murmure
je me souviens d’une lutte légendaire et du long sacrilège des statues
mainte source rêve le grand large seule odyssée dans la cécité pure du diamant
âme errante à peine émue d’un mouvement d’algues au fond des mers
nuque rase et poignets tendus j’attends l’heure perdue d’aimer
mais nul n’approche la solitude je suis l’absence et le tombeau
rien ne s’élève à moi que les mouches d’un cadavre
l’oubli mélodieux berce l’antique mémoire corps que la mort baigne aux îles infortunées
je meurs je meurs, ami du temps paroles d’élytres entre les dents
que m’efface la musique la neige m’enseignera doucement le sommeil
—
texte paru dans « propos de campagne », revue poétique