Une expérience de physique – ( RC )
peinture: James Ensor: autoportrait aux masques
Si je me rappelle mes cours de physique,
ce seraient de ces forces opposées,
qui s’affrontent comme des pensées contraires.
L’expérience renouvelée du couple de torsion
engendre le mouvement inverse
dès lors que les contraintes se relâchent.
Si l’art est sujet à ces contraintes,
que deviendrait-il si celles-ci disparaissent ?
Les paysages tourmentés reviendraient-ils au calme,
Van Gogh ou Ensor, échangerait-ils leur style
pour des autoportraits
qui pactisent avec ceux de Rembrandt ?
Leur visage, dans la réalité qu’ils traversent
est-il parcouru par le temps
qui leur impose leur marque ,
comme la tension d’une corde
trop serrée laissant son empreinte
en creux, dans la peau ?
Relâchons la tension, annulons ces forces …
le visage représenté deviendrait-il aussi lisse qu’un masque neutre,
n’ayant rien à confier à notre propre regard ?
masque traditionnel mexicain: photo Bruno Grandjean
Un peu de soleil à l’intérieur – ( RC )

Le soleil a disparu
à force de tourner sur lui-même.
On ne le voit plus.
Le peintre s’est tu.
Juste une poudre de lumière
atteint encore la terre :
une brume de misère
qui la hante.
Beaucoup de plantes
ne savent plus ce qu’il faut faire.
Elles se crispent dans le sol
et se souviennent des jours
où la terre tournait encore autour.
Pourtant des tournesols ont fleuri,
comme des marguerites jaunes,
en tout petit,
qui, dans leur douleur
ne montreraient plus leur coeur.
Entre les doigts de la brise,
elles dialoguent
et refusent de flétrir :
la nouvelle s’est répandue
de la mort de Van Gogh
c’est qu’elles ont encore
assez de soleil et d’or ,
pour qu’à l’intérieur ,
son souvenir
soit leur propre lueur.
Jacques Prévert – le sang
peinture V V Gogh – les champs rouges
—
Complainte de Vincent ! A Paul Éluard
Arles où roule le Rhône
Dans l’atroce lumière de midi
Un homme de phosphore et de sang
Pousse une obsédante plainte
Comme une femme qui fait son enfant
Et le linge devient rouge
Et l’homme s’enfuit en hurlant
Pourchassé par le soleil
Un soleil d’un jaune strident
Au bordel tout près du Rhône
L’homme arrive comme un roi mage .
Avec son absurde présent
Il a le regard bleu et doux
Le vrai regard lucide et fou
De ceux qui donnent tout à la vie
De ceux qui ne sont pas jaloux
Et montre à la pauvre enfant
Son oreille couchée dans le linge
Et elle pleure sans rien comprendre
Songeant à de tristes présages
Et regarde sans oser le prendre
L’affreux et tendre coquillage
Où les plaintes de l’amour mort
Et les voix inhumaines de l’art
Se mêlent aux murmures de la mer
Et vont mourir sur le carrelage
Dans la chambre où l’édredon rouge
D’un rouge soudain éclatant
Mélange ce rouge si rouge
Au sang bien plus rouge encore
De Vincent à demi mort
Et sage comme l’image même
e la misère et de l’amour
L’enfant nue toute seule sans âge
Regarde le pauvre Vincent
Foudroyé par son propre orage
Qui s’écroule sur le carreau
Couché dans son plus beau tableau
Et l’orage s’en va calmé indifférent
En roulant devant lui ses grands tonneaux de sang
L’éblouissant orage du génie de Vincent
Et Vincent reste là dormant rêvant râlant
Et le soleil au-dessus du bordel
Comme une orange folle dans un désert sans nom
Le soleil sur Arles
En hurlant tourne en rond.
Jacques PRÉVERT « Paroles »
Les yeux des tournesols – ( RC )
montage perso à partir de mise en scène de théâtre ou d’opéra
—
Je ne sais plus ce qu’il faut penser des plantes .
Elles semblent être dans l’attente,
pourtant elles grandissent trop vite,
sans qu’on les y invite.
Vois-tu ce champ de céréales
sous le soleil vertical ?
Il semble secouer des têtes heureuses,
mais peut-être sont-elles vénéneuses…
C’est sans doute par leur couleur,
que se distille le malheur,
qui se glisse en traître,
à travers la palette.
Van Gogh ne nous en dira rien,
au partage des chemins ,
sous un ciel de tempête ,
qui résonna dans sa tête….
Quand je traverse un champ de tournesols,
d’autres oiseaux prennent leur envol :
on en voit plein à la ronde ,
et les fleurs m’observent de leur pupille ronde.
Toute une foule sur plus d’un hectare,
tourne vers moi son regard :
elle se concerte et m’espionne
chaque oeil dans sa corolle jaune .
Ils ont un langage que je ne peux comprendre :
j’imagine déjà leurs murmures se répandre
entre leurs têtes lourdes
comme une musique sourde :
Je vois bien qu’ils se sont détournés de l’horizon,
du soleil et des nuages de coton
pour se pencher de façon perfide
vers moi, ( me croyant stupide ) .
Ils ont dressé un mur végétal,
une sorte d’espace carcéral ,
leurs feuilles rugueuses, des volutes,
s’étalant de minute en minute
resserrant leur étreinte
en formant un labyrinthe
d’où il sera difficile de m’extraire
tant j’ai perdu mes repères…
Je ne vois plus que la poussière et le sol,
– j’aurais dû emporter une boussole,
puisqu’à l’aube d’un désastre
il ne faut plus compter sur les astres
et que l’horizon est bouché – .
Trop de plantes que je ne peux arracher,
trop de racines qui dépassent
et envahissent l’espace.
La foule de ces yeux qui rient
provient de la tapisserie :
et de ce cauchemar , en noir
se détache l’ombre du placard .
Mes rêves se sont enfuis
au plus profond de la nuit :
les tournesols devenus sages en dessins
( répétés à intervalles réguliers sur le papier peint ) .
–
RC – juin 2018
Recomposer avec les souvenirs – ( RC )
peinture: V Van Gogh: branches d’amandiers en fleurs à St Rémy
–
Sous le ciel épais et gris,
Il y a les images que l’on fabrique,
En jouant sur un fil
Qui vibre de façon à repeindre
dans sa tête,
Un bleu du midi,
Et les fleurs d’amandier,
Comme celles du tableau de Van Gogh.
Loin du ressac
et des rancoeurs,
J’ai composé avec les souvenirs,
ce qu’il reste de notre amour,
J’ai oublié les larmes distillées,
pour l’eau de fleur d’oranger,
le venin de la distance,
pour une pensée , que je te dédie…
–
RC – janv 2016
Camille Loty Malebranche – Van Gogh
V G : champ aux fleurs de maïs
Van Gogh,
Tel le champ de blé aux corbeaux,
Tu es une lande, une source dont je voudrais être l’oiseau ivre.
Et, comme le peintre excentrique, je t’offrirais volontiers mon esgourde
Pour savourer ta voix d’éther, rubis de sang,
Sève-brise de ma verdeur de Myrte multicolore,
Ta voix ! Refuge contre les loups anthropomorphes !
L’observateur du tournant – ( RC )

photo Annabelle Chabert
–
Il y a des lieux comme ça,
Qui nous sont familiers,
On les emprunte si souvent,
Qu’ils s’incrustent dans l’esprit :
Telle pente,
et la lumière qui la frôle,
Tel arbre, sentinelle,
s’étoffe de feuilles,
selon les saisons, – et le serpent grisé
de la route ici, dans cette épingle à cheveux,
- la première des trois avant d’arriver au plateau –
Où le virage prend les couleurs du destin,
Le passé, le futur…
C’est à droite ? : Il faudra descendre,
faire attention à ne pas freiner les jours d’hiver,
quand le verglas guette…
– Et puis se poster là,
selon les jours,
au même endroit.
Poser l’appareil sur son pied,
précisément à la même place,
marquée d’une croix rouge.
Enregistrer tout ce qui se passe,
Que cela soit au petit matin,
ou à l’heure verticale
quand le soleil ne fait presque pas d’ombre .
Attendre…
… attendre qu’il se passe quoi ?
Qu’une biche traverse la chaussée, juste dans le champ de l’appareil ?
Attendre que les motards se succèdent ( le week-end),
se penchent pour mieux aborder le virage,
et compenser la force centrifuge
> ( notions de physique me restant du lycée ).
Pouvoir comptabiliser le trafic :
combien de véhicules se sont succédé ce mardi,
combien montaient, et d’où venaient-ils ?
( leur immatriculation ), et s’il y avait des camions parmi eux.
Attendre que la pluie cesse,
attendre que les engins curent les fossés,
que les employés municipaux
consolident la murette ?
Qu’une pomme de pin se détache et roule sur la chaussée,
selon la pente …
—
Je ne sais pas si se poster là, équivaut à être un témoin,
si jamais il se passe quelque chose
à observer les passages, et les transformations, du temps…
Je ne sais pas….
Peut-être Van Gogh non plus ne savait pas pourquoi
le chemin se sépare en deux,
dans sa dernière peinture, devant son champ de blé.
> Il était là, et c’est tout.
–
RC – juin 2015
–
ceci est une réaction à l’article « photographique » de Jean-Marc Undriener http://www.fibrillations.net/GYAANDS-TOUYANANTS
L’église d’ Auvers – (RC )

L’église d’Auvers -Vincent Van Gogh
–
L’église d’Auvers, ondule,
Sous l’épaisseur d’un ciel,
Dont j’ai sondé la couleur.
L’outre-mer est aussi profond,
Que celui du dernier champ de blé,
Sous le coup de fouet de l’été.
Le peintre anticipe un futur
Aux chemins divergents,
Et la mer est debout, avec sa masse pesante.
Il n’y manque que les corbeaux,
Coassant sur la plaine…
Alors que chantent encore l’orangé des pentes,
Vers une danse de l’ombre,
Où s’éloigne une femme,
Bientôt disparue, de la peinture.
RC- Août 2014
–
en rapport, ce texte de Laurent Quintreau
Temps chaud et sec
Je fixe un arbre sans ciller
Des personnes passent comme en surimpression
Une jeune femme, une autre, un vieil homme et un enfant, deux autres femmes
Toujours l’arbre
Des voitures passent, fixer l’arbre
D’autres passants
Passe un bus
Yeux qui pleurent, tenir bon
Toujours l’arbre, bruits de klaxon
L’arbre
Arrêter, mal aux yeux
Maintenant l’église
Je fixe l’église sans ciller
Les voitures continuent de passer
Devant l’église, quelques clochards, ils se chamaillent
Je fixe l’église, mes yeux pleurent, je tiens bon comme j’ai tenu bon ces deux derniers jours pour le jeûne, je ne bats pas des paupières, toujours l’église
Ciel magnifique, lumière orangée
Des passants se découpent dans cette lumière sidérale
Toujours l’église, elle vibre au milieu de l’air
Elle se gondole comme sous l’effet d’un psychotrope puissant, et pourtant je n’ai rien pris, je n’ai même pas bu une goutte d’alcool
Où va la beauté du monde ?
Douleur, pleurs, je suis obligé de fermer les yeux
Les passants, je me décide à les fixer
Un, deux, trois, quatre, ils passent dans mon champ de vision et disparaissent
Vertige et tristesse du monde
Je fixe une grande blonde, quelle partie au juste ? Elle est déjà partie
Je fixe un couple de quinquagénaires, ils mangent une glace, déjà disparus
Je fixe un photographe qui s’est arrêté pour prendre un cliché de l’église
Je fixe son visage de dolichocéphale rasé
Je fixe
Tout à coup, son visage explose, comme s’il se confondait avec le monde extérieur
Phénomène visuel plus curieux encore, les personnes qui passent m’apparaissent comme des taches remuantes à la façon d’amibes qui se mélangent les unes aux autres
des larmes
trop de larmes
m’obligent à arrêter
…
(p. 308-310)
Laurent Quintreau, Mandalas (Denoël, 2009)
Czeslaw Milosz – Rien de plus

Jangarh Singh Shyam - Un paon
Rien de plus
…………
Si j’avais pu décrire comment les courtisanes vénitiennes
Avec un roseau taquinent un paon dans la cour
Et du brocart mordoré, des perles de leur ceinture,
Délivrent leurs seins lourds, si j’avais pu dépeindre
La trace rouge de la fermeture de la robe sur leur ventre
Tels que les voyait le timonier de la galère
Débarqué au matin avec son chargement d’or,
Et si, en même temps, j’avais pu trouver pour leurs os,
Au cimetière dont la mer huileuse lèche les portes,
Un mot les préservant mieux que l’unique peigne
Qui, dans la cendre sous une dalle, attend la lumière,
Alors je n’aurais jamais douté. De la matière friable
Que peut-on retenir ? Rien, si ce n’est la beauté.
Aussi doivent nous suffire les fleurs des cerisiers
Et les chrysanthèmes et la pleine lune.
Czeslaw Milosz
Voir aussi par rapport au texte de Milosz la belle création de Manouchka ( à la hauteur des mots)… voir ici
Quant à moi, sur la peinture de van Gogh j’ajoute ceci:
–
En chemin vers l’été
La voûte d’Azur de Vincent
Offre ses dons fleuris d’amandiers
RC 4- avril 2012

peinture: V Van Gogh, branches d'amandiers en fleurs
–
Lecture des Alpilles, en Crau ( RC)
–
Je lis les Alpilles assises sur la Crau
Un parcours ouvert, qui se fait sans pirogue
Au pays peint par Van Gogh
Marquant son passage, en solitaire héros
Et à revoir, encore, et encore ses peintures
Au mistral agitant les oliviers: il perdure
Et penche au bord des routes les verticales
des platanes – sans les faire pour autant bancales
Je revois la lumière qui s’étale dans la plaine
Et vibre, jusqu’aux salins, sans perdre haleine
Les tours de Tarascon et Beaucaire
Son choc ,sur les contreforts de calcaire
Par dessus l’enclos de Fos, les géants de fer
De Moralès,, gardent leurs grands airs
Attendant, d’un envol de leur cimetière
De rejoindre la mer à l’étang de Berre
Il faut aussi que je nomme
La sentinelle du grand Rhône
Arles ,ensoleillée, et magnifique
Des compétitions photographiques
Partageant solennelle et intime
Les sculptures de Ste Trophime
Aux Picasso de Réattu, lyriques
Les allées des Alyscamps, ces antiques
–
Ce poème ailé, est un paysage .
Il n’est pas que sur la page
Mais en conscience ,l’oeil , voyageur
Semblable, mon frère ma sœur, et quel qu’en soit le lecteur
———-
Variation à partir de « j »aperçois le semblable » de J Jacques Dorio
Jean-Jacques Dorio – IFS ET GENÊTS EN UN SEUL CRI
IFS ET GENÊTS EN UN SEUL CRI
(mai 2010)
à Michel Cosem
Il y a des poèmes de neige
et d’autres de soleil
les soirs de demi-brume
à Londres
très peu pour nous :
Occitans des Pyrénées
et du sang que François versèrent
au temps des Albigeois
Il y a des poèmes de coeur
et d’Ifs et cris en un seul mot*
Maintenant que j’habite Provence
ifs sont frères des genêts
sur les Alpilles
où crut renaître Vincent
Ifs et genêts
en un seul cri