Venise en hiver – ( RC )

As-tu encore des souvenirs
du film de Visconti ,
de Venise en hiver,
de la neige sur les gondoles
alignées sur les pontons de bois ?
Plutôt que des photographies,
tu en fis un carnet de voyage,
avec des traits subtils
les traces versatiles
de lavis poursuivant les nuages.
La ville est silencieuse
dans ses habits d’ocre rouge,
et des palais aux colonnes de marbre
penchés sur la lagune
comme à regret.
La Salute est en équilibre,
un peu effacée par la brume.
Elle a abandonné ses reflets
à la matité d’un hiver
couronnant les rives de gel.
Tout est immobile,
le silence est dans le cœur
de la terre et du ciel,
les pieds dans la vase et les flots
sans qu’on en voie les limites.
C’est un instant prélevé sur l’éternel,
où tout ce qui scintille
s’évanouit dès qu’on approche la main.
Tu nous décriras San Michele,
le cimetière en dehors de la ville
où les poètes
dans leur profond sommeil
ne sont pas dérangés par les touristes
venus pour le Carnaval ,
les vaporetti du Grand Canal.
Les peintres n’ont pas de mots
pour dire la beauté des lieux
traversés par les siècles
et la ville qui doucement sombre
dans le miroir les eaux.
RC
( texte en rapport avec l’ouvrage de dessins de Jean-Gilles Badaire » Venise » )
Amarres – (Susanne Derève)-

Elles n’auront guère changé à l’échelle d’une vie :
rives de vase, mêlées de sable ou de boues grises,
de coquillages ,
polies par le lent va et vient des marées.
Sur l’estran, c’est le même bois flotté
qu’on ramasse, année après année,
les mêmes algues sèches en haillons de dentelles
aux bras des églantiers,
le squelette rose des étrilles qu’émiette
patiemment le vent.
Simplement, la main au fil du temps hésite
à les cueillir et l’œil se fait caresse,
sondant les eaux-mortes des grèves
pour y surprendre l’aigrette blanche à l’heure
où les ombres s’allongent ,
le vent tombe,
on ne distingue plus le fil du rivage
mais seulement la silhouette gracile de l’oiseau,
et l’on devient soi-même oiseau
fragile et solitaire
à regarder sombrer le ciel :
oiseau , amarre, attrape-rêves.
Une vénus derrière le balcon – ( RC )
Madame, vous restez entière,
je n’ai rien volé dans votre appartement
et vôtre âme vous appartient..
Vous étiez ce long corps nu de faux gisant,
et votre lingerie était en tas sur la table.
Vérifiez… je n’ai rien pris:
pas une main, pas un sein ( je n’en aurais pas l’usage).
Pourtant vous m’épiiez depuis longtemps
derrière votre balcon,
et vous savez que mon regard vous peint.
Au contraire, j’ai rajouté sur la toile
une tenture, un voilage.
Puis ce vase avec ces fleurs mauves
qui semblent un rien vénéneuses
mais ne faneront pas.
La nuit aura beau vous caresser,
vous resterez pour l’éternité
telle que vous étiez
parcourue d’un rayon de lune
se lovant sur vos hanches.
RC
Pierres de basalte, comme un mensonge – ( RC )
photo perso :cascade de Déroc – Aubrac
C’est un peu une frontière incertaine,
où se dispute un sable noir,
proche de la vase ;
des plantes spongieuses,
et l’illusion de solide,
que des pierres symbolisent.
Aussi, si je risque quelques pas,
sur les pierres découvertes,
ce serait comme un gué,
permettant de passer
de l’autre côté.
Mais ce sont des rêves mouillés,
qui peuvent à chaque instant glisser,
sous la plante des pieds .
On imagine ces roches comme un mensonge,
venu se plaindre aux eaux .
Peut-être n’ont-elles aucune consistance,
et elles peuvent disparaître,
comme elles sont venues,
trichant , en quelque sorte,
prêtes à se dissoudre,
si besoin est .
Le petit ruisseau qui sourd,
ne les écoute pas,
juste le cri des grenouilles,
qui ne croient pas en leurs histoires.
Car des pierres, il y en a plus bas.
Elles ont chuté,
basculé du plateau,
hexagones de basalte
à la géométrie trompeuse,
entraînant une partie du ciel,
chute vertigineuse .
Là s’interrompt l’horizontale :,
tout est en suspens,
quelques instants,
avant que l’eau ne chute à son tour,
et s’évade en cascade blanche .
RC- oct 2017
Murièle Modely – le bouquet
j’ai mis le bouquet dans le vase
le vase sur la table, j’ai ouvert la fenêtre
j’ai regardé dehors, le jardin en désordre
notre fouillis d’herbes et d’orties
j’ai coupé les tiges des roses
j’ai mis une cuillère à café
de bicarbonate de soude
pour que les fleurs tiennent
puis j’ai posé le vase
sur la table, bien au milieu
face à la fenêtre, je me suis assise
je t’ai regardé
j’ai posé le vase il y a des années
devant la fenêtre, notre nature folle
tes yeux fatigués, ma bouche fripée
l’odeur de charogne du bouquet fané
T.S. Eliot – Les mots bougent
Les mots bougent, la musique se déplace
Seulement dans le temps; Mais seulement ce qui est vivant
Peut seulement mourir. Les mots, après le discours,se fondent
Dans le silence. Ce n’est que par la forme, le motif,
Que les mots ou la musique peuvent atteindre
Le silence, comme un vase chinois immobile
Remue perpétuellement dans son immobilité.
T.S. Eliot, Quatre Quatuors (V)
( tentative de traduction RC )
Words move, music moves
Only in time; but that which is only living
Can only die. Words, after speech, reach
Into silence. Only by the form, the pattern,
Can words or music reach
The stillness, as a Chinese jar still
Moves perpetually in its stillness.
T.S. Eliot, Four Quartets (V)
L’eau est morte, ce soir – ( RC )
L’eau est morte, ce soir,
Au bord de ses lèvres sales,
Le saule s’y abandonne,
Et égare son reflet,
Au milieu de remous jaunes,
Et d’un ciel
Qui semble ne jamais
S’extirper des marais.
Le profond n’est plus visible .
… Il pâtit d’incertain.
Quelques poissons,
Au ventre blanc, dérivent .
Une barque a coulé, d’immobile,
Comme sont désertés les souvenirs,
Envahis par la vase,
Et la moisissure.
Le voyage tant espéré,
N’aura jamais lieu.
–
RC -mars 2014
Les mots s’en vont, comme bulles de savon. ( RC )
–
Les mots s’en vont
Comme bulles de savon,
Vois comme elles s’enfuient,
Et les mots aussi.
Tu étais là,…. tu étais elle,
Dans ma vision, bien réelle,
Les bras ouverts, la peau de pêche,
Ma plume hésitante, et l’encre qui sèche…
Les glaïeuls disposés dans le vase,
Je n’arrive pas à finir mes phrases,
Oui, – j’étais sans doute ébloui,
Après cette journée de pluie….
Hanté par ton souvenir..
– Comment pourrais-je l’écrire ?
Réfugié dans ces fleurs écarlates,
A la cambrure délicate.
Leur couleur en est saveur,
Et précipite les heures…
Les mots , toujours, s’en vont
Comme bulles de savon,
Ils forment des phrases plates,
Qui se heurtent entre elles et éclatent,
Et disparaissent sans bruit,
Quand ta vision me poursuit.
> Je ne pourrai jamais décrire,
La courbe de ton sourire…
–
RC – 18 octobre 2013
–
Venise déserte en sa nuit tiède ( RC )
–
D’anciennes façades décrépies, sont comme tachées,
Une végétation touffue croise ses bras verts pour cacher
Une grille que nul , depuis longtemps, n’a fréquentée,
Scellée par la rouille, – et dont personne n’a la clef
La fontaine est muette, l’eau ne chante plus sous le tilleul,
La vasque est presque remplie de feuilles en deuil,
Et de papiers, qui se soulèvent avec le vent
La place, désertée par l’été et les gens
On ne comprend pas où mènent ces escaliers
Qui s’élancent, puis, s’arrêtent par paliers
Vers une tour en partie détruite
Et que plus personne n’habite
La nuit est tombée, accompagnée par la lune
L’humidité s’étale, de la proche lagune
Le satellite, se double d’un halo
Qui se mire dans les flots
Du canal, aux reflets de vagues molles
Venant lécher de noires gondoles
Echouées, là, de biais, elles ont perdu leur emphase
Embarcations envahies par la vase…
De pâles lueurs tremblotent derrière les vitraux de l’église
Dans ce quartier un peu à l’écart, de Venise,
De briques et de marbres, les palais ont les pieds fourbus
Les murs qui s’écaillent, disent un prestige déchu.
La madone sculptée, au nez rongé, est toujours dans sa niche
Une fenêtre bouchée effeuille d’anciennes affiches
Indiquant des saisons passées les fêtes du Grand canal
Paillettes, danses et masques du carnaval…
Tout est silence à part une gerbe d’étincelles….
> D’une radio lointaine, parvient une tarentelle,
Et la brise déplace doucement ses voiles,
Dans un ciel de velours piqueté d’étoiles.
Où se traînent paresseusement quelques nuages
Dont le zodiaque ne prend pas ombrage
Même pas le verseau et Ganymède
– Toujours brillants dans la nuit tiède.
–
RC – 7 juillet 2012

photo Olimpo
–
Paul Celan – Marée basse

symbole du zodiaque Ste Austremoine, Issoire, Art roman
marée basse. Nous avons vu
les balanes, vu
les bernicles, vu
les ongles sur nos mains.
Personne n’a découpé le mot dans la paroi de notre cœur.
(Traces du crabe des plages, le lendemain,
sillons de rampants, galeries d’habitation, dessin
du vent dans la vase
grise. Sable fin,
sable gros,
détaché des parois, auprès
d’autres parties dures, dans les
débris.)
Un œil, aujourd’hui,
l’a donné à son frère, tous deux,
fermés, ont suivi le courant jusqu’à
leur ombre, déchargé
la cargaison (personne
n’a découpé le mot dans — —), fait ressortir
le harpon — une langue de terre, devant
un silence
minuscule et non navigable.
Paul Celan, Grille de parole
–
Lionel Bourg – Hautes fougères

gouttes de pluie sur la vitre brouillée avec l’arbre
–
Ce sont de hautes fougères, encore.
Un peu de vase. La lie blanchâtre d’une illusion peut-être. Ou des apparitions. Ce qui demeure d’un rêve quand l’aube se livre à l’équarrissage des ultimes chimères.
Il faut écrire alors.
Tracer des lignes. Peindre, marbrer, scarifier le sol jusqu’à l’instant promis où, sans doute est-ce façon d’espérance, on poussera la porte, s’offrant à la caresse lente du temps.
Il faut aimer.
Crier. Accepter, refuser l’échéance.
Oublier. Partir. S’inscrire, ainsi qu’Aymerick Ramilison ne cesse de le faire, au sein de l’infini naufrage, l’infinie naissance du monde.
N’être que cet arbre, là-bas.
Le bruit obsédant de l’averse. Quelques copeaux d’azur. La lumière sur les feuilles des saules, des bouleaux.
Le charnier radieux du silence.
–
Potier de vie – (RC)
Demain je regarde ce tas de terre, je me dis, si j’étais potier, j’en ferais un petit vase.
Je le fais en pensée je reconstitue tes propos.
Je les vois dans un autre ordre, sous une autre lumière. Et ce vase a une autre forme que la motte de départ, mais le même volume, la même masse.
Il fait corps avec le vide, le creux qui rend le vase, vase.
Ta parole est comme çà.
Ce ne sont pas que des mots placés dans un ordre donné.
Ils font corps avec ton esprit, avec ce creux qui justifie ta forme.
J’ai peut-être compris aussi que cette forme existera encore, qu’elle n’est pas donnée, que toi-même tu changeras de forme, et d’esprit.
Et te soumettras ,
à la lumière, celle qui révèle les volumes.
Mais garderas ton âme.
Article en relation avec le texte de François Cheng, publié précédemment…