Guillevic – Carnac ( 2nd extrait )
Sois ici remerciée
De n’être pas pareille à nous
Dont le rêve est toujours
D’être réconciliés
Quand pourtant
Ce n’est pas possible.
J’écris de toi dans un pays
Où le végétal
Ne cesse d’attaquer
Comme si c’était toi
Qui grondais jusqu’ici.
Les menhirs sont en rang
Vers quelque chose
Qui doit avoir eu lieu.
Le temple qui fut – ( RC )

peinture Yan Wang–
Ruin of England |
–
Du temple qui fut
Il y a l’ombre des colonnes
( ce qu’il en reste )
qui s’étend sur le sol
et se déplace petit à petit
avec la trajectoire du soleil;
Un astre qui revient avec obstination
caresser chaque jour la planète.
Bien entendu, il y a
tout ce qui se dresse:
des montagnes sévères
au plus petit végétal
qui profite de la chaleur
et se révèle à sa lumière.
Les grands immeubles des villes
en semblent saturés,
au point qu’ils renvoient,
étincelants de leurs glaces
les rayons, et l’image déformée
de ce qui les entoure.
Leur présence hautaine se rapproche
pourtant du temple qui fut.
Avec de futures civilisations,
on peut imaginer ce qu’il en restera .
Les ombres sur le sol à leur tour
s’étendront sous l’orbite
de l’étoile la plus proche;
Le futur gardant,
en une sorte de persistance rétinienne,
Le support des ruines des jours , qui ont précédé.
–
RC – fev 2015
L’assaut du lierre ( RC )
la légende de Nabuchodonosor
– Le corps construit,
Sous le noeud des racines,
Abandonné sur pied, scrute les yeux vides,
L’horizon gelé, Les bras de long du corps,
Une épée à la main.
Aux rosées des matins,
De petites flaques s’endorment dans les creux,
Et peu à peu les mousses s’enhardissent,
Les lichens dessinent leur géographie orange,
Sur une bonne portion du buste et du visage,
Tentaculaires.
L’attente se prolonge, aux rires des oiseaux,
Si le nez se fendille,
Et que les racines se glissent
Sous les membres de pierre,
Etendant leur emprise,
….Profitant du dégel,
Dans les fissures,
Au point qu’un jour,
Une main se détache,
Et avec elle, suit,
L’épée qui se brise.
Les morceaux parsèment le sol,
Ou roulent dans le lierre,
Reparti à l’assaut,
De la statue guerrière…
Relatant des combats
Dont on ne se souvient pas.
La sculpture du parc parlait de victoire,
Et au sang qui fut versé,
Celui du corps de pierre,
L’a depuis longtemps, déserté.
Triomphe du végétal,
Sur l’immobilité.
A l’assaut du lierre,… forteresse de pierre,
Même la légende du socle s’est effacée.
– RC – 9 octobre 2013 – ——
–
j’ai trouvé en rapport ce poème de J M de Heredia:
La mousse fut pieuse en fermant ses yeux mornes ; car, dans ce bois inculte,…… –
photo sculpture parc de Bomarzo, Italie
Les plantes trichent, pendant mon absence ( RC )

photo terre d’aventure
–
Si c’est le retour,
Qui ramène au seuil du familier
En oubliant les distances, pliées,
Et tous les carrefours
de la chance
Je ramène du fond de mes poches
Des souvenirs qui ricochent
La lumière de mon jardin d’enfance
–
Mais que s’est-il passé ?
Est-ce mon passé qui me hante,
La poussée des plantes
Et les troncs enlacés ?
Tout est devenu gris,
Et je ne vois plus ici,
Qu’un domaine rétréci,
Hostile et rabougri…
–
J’ai dû sûrement m’endormir
Quelques instants
Et quitter mon regard d’enfant,
Parti pour ne plus revenir.
Il s’est formé un toit végétal,
Qui , toujours , prolifère,
Et dont la crinière,
Sûrement, s’étale .
–
Les plantes trichent,
Pendant mon absence,
Et confisquent sans décence,
Une lumière, déjà chiche.
Des pousses qu’elles croisent,
Inquisitrices.
Elles envahissent tout, et tissent
Et s’ étendent, sournoises,
Une rangée d’acacias agressifs
Se sont étalés,
Et barre l’accès de l’allée,
Alignement combattif –
Les amas de feuilles,
Cachant les épines
Intentions assassines,
Devant la pergola, au seuil.
Devant tous ces branchages,
Où se multiplient leurs élans,
Il me faut élaborer un plan,
Passant par l’arrachage,
Déclarer la guerre ouverte
Affûter les couteaux,
Enfin, tout ce qu’il faut,
Contre la marée verte,
–
Tirant le moindre parti
De l’humidité,
Nocturnes festivités,
Pour le bénéfice des orties.
Ainsi se resserre,
La chaîne ombreuse
Aux menées doucereuses,
Qui s’accélèrent.
–
Tels du python les anneaux
Etouffant la victime
D’une étreinte intime
Menant au tombeau ;
Lente agonie
De l’espace,
N’ayant plus de place,
Et plus d’harmonie.
–
S’envahissant elle-même, la nature
Se rit du malheur des autres
Lorsqu’elle se vautre
Dans la luxure :
L’arbre se développe plus,
Lorsqu’on sacrifie celui
Duquel il est voisin, et lui nuit.
Si ses racines le sucent.
–
Il a fallu couper et trancher,
Et qu’ainsi l’on amasse
Des bosquets les plus coriaces
Pour constituer le bûcher,
Eliminer les plantes vivaces,
De celles qui poussent
Comme brousse
Pour qu’enfin l’on passe…
–
Si je ratisse les clairières,
En créant de grands tas,
De feuilles, les amas,
Traces de bataille après la guerre,
… Joue de l’allumette,
Après les lames
Et donne de la flamme
Avant la retraite…
–
> Plus tard, étant revenu
Et me suis fait surprendre
Par des pousses tendres
Paraissant saugrenues ,
Encore toutes timides
Au milieu des cendres
Et semblant m’attendre :
> La nature a horreur du vide…
–
Avoir joué au pyromane,
Livré combat à la nature,
Permis les échancrures
Arraché les lianes
Le parfum vénéneux des heures,
Et la sève répandue,
A été rendue,
Remontant sans heurts
–
Il n’y a pas de victoire
Que celle éphémère,
Et, le goût amer,
La potion du ciboire,
Victorieuses de certitudes,
Les tiges m’auront dépassé,
Tout sera à recommencer,
Foisonnement et plénitude…
–
Si je me détourne du jardin d’enfance,
– Et que ma mémoire affaiblie,
La porte en oubli,
> J’aurai cette béance,
Unie à ces années,
Des décennies bercées
Que l’on a traversées
…… Et qui se sont fanées.
–
RC – 21 août 2013
–
Lucien Laborde – Mal végétal

fauteuil végétal de Marie-Claire idées
Mal végétal
Que ceux qui n’ont jamais souffert
d’un mal végétal de chou tranché
d’une angoisse cristallisée
de sucre ou de sel
d’une cassure de silex en pleine rotule
que ceux qui n’ont jamais été fusillés
avec les murs à l’aube
qui n’ont jamais levé leurs cris leurs mains
comme un épi debout sur les épis fauchés
que ceux qui n’ont jamais senti
le poids impossible à mouvoir
du corps dans les prisons de lune
que ceux qui n’ont goûté l’horreur
de sombrer sous les vagues
dorment
roses replets stupides
la vanité chatoyante dans l’oeil
sur le rivage du grand lac
frémissant à plein ciel !
Que ceux-là restent à la porte
absents de la haute espérance !
Sans eux nous porterons la Terre
aux lèvres du soleil
à la santé des vendangeurs !
Lucien Laborde. (peintre-poète)
–
Walter Benjamin – Klee, Kandinsky

peinture oeuvre de W Kandinsky
Klee, et surtout Kandinsky, sont depuis longtemps occupés à nous acclimater aux royaumes où le microscope nous entraîne avec une brusque violence, ces plantes agrandies
nous découvrent plutôt des « formes stylistiques » végétales. Dans la forme de crosse d’évêque de la fougère en aile d’autruche, dans la dauphinelle et la fleur de
la saxifrage, qui fait une deuxième fois honneur à son nom en rappelant les rosaces des cathédrales, on devine un parti pris * gothique.

peinture Kandinsky
Les prêles voisines montrent de très antiques formes de colonnes, les pousses dix fois
agrandies des châtaigniers et des érables des formes de totems et celle de l’aconit se déploie comme le corps
d’une danseuse touchée par la grâce. De ces calices et de ces feuilles, la nécessité intérieure de ces images jaillit vers nous et garde le dernier mot dans toutes les phases
et tous les stades — les métamorphoses — de la croissance.
Nous touchons là à l’une des formes les plus profondes et insondables de la création, la variante, qui a toujours été, avant toute autre, la forme du génie, des créations collectives et des créations de la nature.
Elle est la contradiction fertile, dialectique de l’invention : le « natura non facit saltus »
.< La nature ne fait pas de saut ». La formule est, entre autres, reprise par
Leibniz, Nouveaux Essais sur l’entendement humain, dans Die
Philosophischen Schriften von G.W. Leibniz,
—
Une série de photographes se sont intéressés au développement végétal entre autres Karl Blossfeld, qui est très connu, mais j’ai choisi de vous en présenter un qui l’est moins.