Jean-Pierre Schlunegger – Clairière des noces (extr)
photo Lydia Roberts
Je dis: lumière,
et je vois bouger de tremblantes verdures.
Je dis: lac,
et les vagues dansent à l’unisson.
Je dis: feuille,
et je sens tes lèvres sur ma bouche.
Je dis: flamme,
et tu viens, ardente comme un buisson.
Je dis: rose,
et je vois la nuit qui s’ouvre à l’aube.
Je dis: terre,
un sommeil aveugle, un chant profond.
Je dis: amour,
comme on dit tendre giroflée.
Je dis: femme,
et déjà c’est l’écho de ton nom.
Louky Bersianik – laisse moi t’approcher
photo Fashion is Dead Magazine
laisse-moi t’approcher
laisse-moi te toucher toute et te fragmenter par petites touches
laisse-moi ma plurielle de fond en comble te dévaster
trouver réunies au secret ma soif et mon ruisseau ma verdure
et ma faim lécher jusqu’au cœur notre vaste complot
laisse mon corps immobile entrer chez lui par les seuils incalculables
de ton corps inamovible laisse s’accomplir à l’infini vertigineux
du temps vertical cette opération-extase
Tomas Tranströmer – Novembre aux reflets de nobles fourrures
C’est parce que le ciel est gris
que la terre s’est mise à briller :
les prairies et leur verdure timide,
le sol labouré et noir comme du sang caillé.
Il y a là les murs rouges d’une grange.
Et des terres submergées
comme les rizières lustrées d’une certaine Asie —
où les mouettes s’arrêtent et se souviennent.
Des creux de brume au milieu de la forêt
qui doucement s’entrechoquent.
L’inspiration qui vit cachée
et s’enfuit dans les bois comme Nils Dacke.
Tomas Tranströmer, Baltiques. Œuvres complètes 1954-2004. Poésie/Gallimard
Images d’un paysage prolongé – ( RC )
Une maison apparaît comme un décor,
Une toile dressée sur un châssis .
Quelque chose d’inhabituel dans la nature,
Poursuivant la verdure, et les voix du vent,
Aussi loin que le décalage des ombres …
Les murs en changent leurs angles .
Il y a même celles des branches,
Posées sur la façade, qui ne semblent
Pas à leur place ici, comme celle des habitants,
Curieusement étrangers à l’existence, à l’inverse
Des mésanges qui se heurtent aux images
Des fenêtres d’un paysage prolongé .
–
RC – oct 2014
Tomas Tranströmer – Voyez cet arbre gris
–
Voyez cet arbre gris.
Le ciel a pénétré par ses fibres jusque dans le sol –
il ne reste qu’un nuage ridé quand la terre a fini de boire.
L’espace dérobé se tord dans les tresses des racines, s’entortille en verdure.
– De courts instants de liberté viennent éclore dans nos corps,
tourbillonnent dans le sang des Parques et plus loin encore.
——————————
Wyslava Szymborska – coup de foudre
–
Je n’en veux pas au printemps
d’être venu à nouveau.
Je ne lui tiens pas rigueur
de remplir comme chaque année
ses obligations.
Je comprends que mon chagrin
n’arrêtera pas la verdure.
Et le brin d’herbe s’il hésite un instant,
c’est sur le souffle du vent.
Je ne souffre pas trop de voir
que les aulnes au bord de l’eau
ont de quoi bruire à nouveau.
Je prends bonne note du fait
que- comme si tu étais toujours là –
le bord d’un certain étang
est resté aussi beau que naguère.
Je ne garde nulle rancune
a la vue, pour la vue de la baie
par le soleil éblouie.
Je parviens même à imaginer
Les deux, mais pas nous du tout,
assis en ce moment même
sur le tronc du bouleau abattu.
Je respecte leur droit absolu
au chuchotement et au rire
et au silence du bonheur.
J’irais même jusqu’à penser
que c’est l’amour qui les lie,
et qu’il la serre contre lui
de son bras tout à fait vivant.
Quelque chose de nouveau, très oiseau,
bourdonne dans les roseaux.
De tout mon coeur je souhaite
Qu’iils puissent tous deux l’entendre.
Je n’exige aucun amendement
des vagues qui s’abattent sur la rive,
ni aux vives, ni aux lascives
et qui n’obéissent pas à ma loi.
Je ne demande rien de rien
à l’étang près de la forêt,
qu’il soit émeraude
qu’il soit saphyr,
qu’il soit même charbon.
Une seule chose je refuse.
Revenir à tous ces endroits.
A ce privilège de présence-
Je renonce par la présente .
Je t’ai tellement vécu,
et peut être juste ce qu’il faut,
pour pouvoir y penser de loin.
Recueil « Je ne sais quelles gens » traduit du polonais par Piotr Kaminski.
–