Pierre Seghers – entre les mailles des buissons

photographe non identifié
Entre les mailles des buissons
Pris à la nasse d’eau des sources
Il vécut dans la fosse aux ours.
O le temps des maisons du vent
Il a campé sur l’océan
Il a mangé le pain des vagues,
Il but l’hiver avec l’été
Le chien de peur à son côté
Le ciel a rongé son visage.
Tous les paluds ont la vérole
Il eût fallu tant de parole
Pour proclamer ce qu’il savait
Que dans le vent, la boue, la colle
Il traînait des semelles folles
De silence et de vérité.
Quand les marais perdaient sa trace
Il était l’hôte de l’espace
Il mâchait l’herbe et le roseau.
Et sur les routes de Décembre
Il brûlait de gel et d’attendre
Le dernier des quatre chevaux
Nous n’avons pas affaire à une statue, dont la bouche reste muette – ( RC )

Quel fruit se sépare,
d’un trait
où la largeur de l’infini
a peu de chance
de rentrer ?
La bouche est entr’ouverte,
sur les falaises brillantes
de l’émail des dents.
La soif des mots
se repose un instant,
de la parole…
Il se peut qu’on s’égare
dans les phrases,
quand aucun voile
ne dissimule le visage.
Nous avons dépassé
les vertiges de la censure…
Est-ce l’ombre de la vérité
qui s’exprime
dans la colère ou le sourire ?
Nous n’avons pas affaire
à une statue
dont la bouche reste muette…
Pentti Holappa – parfum de fumée

montage perso –
Parole de ruine
Je veux venir près de toi.
Je ne trouve vrais ni la pierre, ni le monde ni les distances.
Le coup d’aile d’un oiseau dans le ciel de grand gel dure
aussi longtemps que la ville aux murs coulés de béton
Il m’a fallu me briser avant de perdre mes illusions.
Aujourd’hui,
je suis certain que tes cellules m’entendent
quand je parle la langue aux mille sens des ruines
en moi-même,
mais rien que pour toi en vérité.
–
Parfum de fumée (1987)
Nelly Sachs – Tant de graines aux racines de lumière

Ascension enflammée d’Élie avec une vie (XVIIe siècle) (collection privée)
Tant de graines aux racines de lumière
qui arrachent aux tombes leur secret
et le confient au vent
pour parsemer d’énigmes en langues de feu les chevelures
des prophètes,
et apparaissent dans le bûcher blanc du mourir
avec tous les aveuglements de la vérité
quand le corps près de là repose
avec l’ultime souffle dans les airs
et ce bruit de chaînes dans le retour
et l’enfermement de fer dans la solitude
et tous ces yeux perdus dans le noir —
-extrait de Enigmes ardentes ( recueil re-publié chez Verdier sous le titre « Partage-toi, nuit )
Jean-Claude di Ruocco – l’homme seul ( extraits )

J’entends encore à la radio,
dans les flashes sponsorisés,
des envoyés plus ou moins spéciaux qui clament leur vérité.
« Ils ont enterré leurs fils
après les avoir décorés,
payant ainsi le sacrifice
qu’exigeait d’eux la société. «
On me fait signer une pétition
pour sauver la France de je ne sais quoi.
J’y inscris un faux nom,
pour un peu je ferais une croix.
Moi je m’en fous, je bosse huit heures
dans des cuves mal éclairées
où je respire de toxiques vapeurs
aux taux que les lois ont autorisés.
Clarice Lispector – Et alors ? J’adore voler !
Peinture: Leopold Survage
Il m’est arrivé de cacher un amour par peur de le perdre,
Il m’est arrivé de perdre un amour pour l’avoir caché.
Il m’est arrivé de serrer les mains de quelqu’un par peur
Il m’est arrivé d’avoir peur au point de ne plus sentir mes mains
Il m’est arrivé de faire sortir de ma vie des personnes que j’aimais
Il m’est arrivé de le regretter
Il m’est arrivé de pleurer des nuits durant, jusqu’à trouver le sommeil
Il m’est arrivé d’être heureuse au point de pas parvenir à fermer les yeux.
Il m’est arrivé de croire en des amours parfaites.
Puis de découvrir qu’elles n’existent pas.
Il m’est arrivé d’aimer des personnes qui m’ont déçue.
Il m’est arrivé de décevoir des personnes qui m’ont aimée
Il m’est arrivé de passer des heures devant le miroir pour tenter de découvrir qui je suis et d’être sure de moi au point de vouloir disparaître
Il m’est arrivé de mentir et de m’en vouloir ensuite, de dire la vérité et de m’en vouloir aussi.
Il m’est arrivé de faire semblant de me moquer de personnes que j’aimais avant de pleurer plus tard, en silence dans mon coin.
Il m’est arrivé de sourire en pleurant des larmes de tristesses et de pleurer tant j’avais ri.
Il m’est arrivé de croire en des personnes qui n’en valaient pas la peine, et de cesser de croire en ceux qui pourtant le méritaient.
Il m’est arrivé d’avoir des crises de rire quand il ne fallait pas.
Il m’est arrivé de casser des assiettes, des verres et des vases, de rage.
Il m’est arrivé de ressentir le manque de quelqu’un sans jamais le lui dire.
Il m’est arrivé de crier quand j’aurais dû me taire, de me taire quand j’aurais dû crier.
De nombreuses fois, je n’ai pas dit ce que je pensais pour plaire à certains, d’autres fois, j’ai dit ce que je ne pensais pas pour en blesser d’autres.
Il m’est arrivé de prétendre être ce que je ne suis pas pour plaire à certains,et de prétendre être ce que je ne suis pas pour déplaire à d’autres.
Il m’est arrivé de raconter des blagues un peu bêtes encore et encore, juste pour voir un ami heureux.
Il m’est arrivé d’inventer une fin heureuse à des histoires pour donner de l’espoir à celui qui n’en avait plus.
Il m’est arrivé de trop rêver, au point de confondre le rêve et la réalité…
Il m’est arrivé d’avoir peur de l’obscurité, aujourd’hui dans l’obscurité
“je me trouve, je m’abaisse, je reste là »
Je suis déjà tombée un nombre innombrable de fois en pensant que je ne me relèverais pas.
Je me suis relevé un nombre innombrable de fois en pensant que
je ne tomberais plus.
Il m’est arrivé d’appeler quelqu’un pour ne pas appeler celui que
je voulais appeler.
Il m’est arrivé de courir après une voiture parce qu’elle emmenait
celui que j’aimais.
Il m’est arrivé d’appeler maman au milieu de la nuit en m’échappant d’un cauchemar.
Mais elle n’est pas apparu et le cauchemar fut pire encore.
Il m’est arrivé de donner à des proches le nom d’ami et de découvrir qu’ils ne l’étaient pas.
D’autres en revanche, que je n’ai jamais eu besoin de nommer m’ont toujours été et me seront toujours chers.
Ne me donnez pas de vérités, parce que je ne souhaite pas avoir
toujours raison.
Ne me montrez pas ce que vous attendez de moi parce que je vais suivre mon cœur !
Ne me demandez pas d’être ce que je ne suis pas, ne m’invitez pas à être conforme, parce que sincèrement je suis différente ! Je ne sais pas aimer à moitié, je ne sais pas vivre de mensonges, je ne sais pas voler les pieds sur terre. Je suis toujours moi-même mais je ne serais pas toujours la même !
J’aime les poisons les plus lents, les boissons les plus amères, les
drogues les plus puissantes, les idées les plus folles, les pensées les plus complexes, les sentiments les plus forts.
Mon appétit est vorace et mes délires sont les plus fous.
Vous pouvez même me pousser du haut d’un rocher, je dirai : – et alors
J’adore voler !
Salah Garmadi – Conseils aux miens pour après ma mort
photographe non identifié
Si parmi vous un jour je mourais
mais mourrai-je jamais
ne récitez pas sur mon cadavre
des versets coraniques
mais laissez-les à ceux qui en font commerce
ne me promettez pas deux arpents de terre
ne consommez pas le troisième jour après ma mort le couscous traditionnel
ce fut là en effet mon plat préféré
ne saupoudrez pas ma tombe de graines de figue
pour que les picorent les petits oiseaux du ciel
les êtres humains en ont plus besoin
n’empêchez pas les chats d’uriner sur ma tombe
ils avaient coutume de pisser sur le pas de ma porte tous les jeudis
et jamais la terre n’en trembla
ne venez pas me visiter deux fois par an au cimetière
je n’ai absolument rien pour vous recevoir
ne jurez pas sur la paix de mon âme en disant la vérité
ni même en mentant
votre vérité et vos mensonges me sont chose égale
quant à la paix de mon âme ce n’est point votre affaire
ne prononcez pas le jour de mes obsèques la formule rituelle :
« il nous a devancés dans la mort mais un jour nous l’y rejoindrons »
ce genre de course n’est pas mon sport favori
si parmi vous un jour je mourais
mais mourrai-je jamais
placez-moi au plus haut point de votre terre
et enviez-moi pour ma sécurité
Emily Dickinson – Nous avons tout appris de l’Amour
Nous avons Tout appris de l’Amour
L’Alphabet – les Mots –
Un Chapitre – tout le Livre grandiose –
Puis – la Révélation s’est refermée –
Mais dans les yeux de l’Autre
Chacun contemplait une Ignorance –
Plus Divine que celle de l’Enfance
Et chacun redevenu Enfant, pour l’autre –
A tenté d’exposer ce que
Ni l’un ni l’autre – ne comprenait –
Quel dommage, que la Sagesse soit si vaste –
Et la Vérité – si variée !
-(poème 531)
extrait du site de ladySil: « passionément , Emilie D. » où ceux qui cherchent de la « matière », pour lire cette poétesse, n’auront que l’embarras du choix…
-En voici le texte original
We learned the Whole of Love —
The Alphabet — the Words —
A Chapter — then the mighty Book —
Then — Revelation closed —But in Each Other’s eyes
An Ignorance beheld —
Diviner than the Childhood’s —
And each to each, a Child —Attempted to expound
What neither — understood —
Alas, that Wisdom is so large —
And Truth — so manifold!
Pentti Holappa – Parole de ruine
–
Parole de ruine
–
Je veux venir près de toi.
Je ne trouve vrais
ni la pierre, ni le monde ni les distances.
Le coup d’aile d’un oiseau dans le ciel de grand gel dure
aussi longtemps que la ville aux murs coulés de béton
Il m’a fallu me briser avant de perdre mes illusions
Aujourd’hui,
je suis certain que tes cellules m’entendent quand je parle
la langue aux mille sens des ruines
en moi-même, mais rien que pour toi en vérité.
–
Pentti Holappa
Gao Xingjian – la montagne de l’âme ( extr 01 )
*
La vérité n’existe que dans l’expérience de chacun,
et même dans ce cas, dés qu’elle est rapportée, elle devient histoire.
Il est impossible de démontrer la vérité des faits et il ne faut pas le faire.
Laissons les habiles dialecticiens débattre sur la vérité de la vie.
Ce qui est important, c’est la vie elle-même.
Ce qui est réel, c’est que je suis assis à côté de ce feu dans cette pièce noircie
par la fumée de l’huile, que je vois ces flammes dansant dans ses yeux,
ce qui est vrai, c’est moi-même,
c’est la sensation fugitive que je viens d’éprouver,
impossible à transmettre à autrui.
Dehors, le brouillard est tombé,
les montagnes sombres se sont estompées,
le son de la rivière rapide résonne en toi et cela suffit.
–
Philippe Delaveau – feuille rouge restée

photographe non identifié
Les oreilles du lièvre aussi sont fragiles
que dire du rouge-gorge qui s’est aventuré dans la pièce où j’écris
viens lui dis-je d’une voix adoucie en le prenant
entre mes mains qui tremblent de ce qu’il tremble
que je te rende l’absolu de ton ciel où tes semblables règnent
parce que vous êtes purs comme la neige et les prophètes
Et cette feuille qui a navigué si longtemps
en demeurant toujours à la magistrature de sa branche
d’où elle assiste au lent procès du jour
sèche noyée de pluie parcheminée comme une main
L’hiver ne l’a pas rendue à la terre
elle est rouge du feu qu’elle ignore
plissée d’une lointaine rêverie
la branche autour est nue comme la vérité
quelle est la vérité ? quelle est son heure ?
–
Le Livre – …des langages ( RC )

bible éthiopienne:
Ligne de conduite zigzag hésitant,
Voyante convoquée, l’aire des paroles dites.
Des paroles définitives, écrites, comme gravées dans le marbre.
Ce sont comme les tablettes de la loi.
Une épée suspendue au-dessus de ma tête.
Ce qui est écrit, s’y lit comme vérité première.
Chacun apprend à lire,
Apprend le conforme. Apprend à se conformer.
Il est dit que le Livre, les tablettes de la loi,
Qu’on dit d’inspiration divine, sont là.
Elles sont là… point à la ligne …
Personne ne discute !
Mais encore il faut s’entendre,
Et sur la terre, bien d’autres langues cohabitent,
Et la traduction hésite. les caractères diffèrent…
Chaque langue existe, mais ne se sont point concertées.
Et les livres ne disent pas tous la même chose,
Et s’ils parlent, des milliers de bouches parlent.
Mais pas le même langage… avec , chacun sa vérité,
Et sa lecture inversée…
RC – 19 juin 2013
–
Lory Bedikian – Par delà la bouche
Lory Bedikian: Beyond the mouth
Click here for the audio clip Beyond the mouth read by the author Lory Bedikian.
On the back of every tongue in my family
there is a dove that lives and dies.
At night when my aunts and uncles sleep
the birds comb their feathers, sharpen beaks.
They are carriers, not only of the olive
branch, but the rest of our histories too.
As from the ark, we came in twos
with tired eyes from Lebanon, Syria,
the outskirts of Armenia and anywhere
where safety said its final prayers and died.
Like every simile ever written, the doves
or our tongues are tired and misread.
Dinners begin with mounds of bread, piled
dialogues between the older men.
Near our dark throats, the quiet
birds lurk to watch meals descend,
take phrases that didn’t reach
the truth and spin them into nests.
Now and then, we spit them out in shapes
of seeds, olive pits, or spines of fish.
The men never watch what enters past
the teeth, what leaves their moving lips,
and the doves know this. The women shut
their mouths when they don’t approve
of the squawking laughs. There is a saying
(or at least there should be) that if one doesn’t
believe what is said or true, they can ask
the dove on the back of the tongue
and it will chirp the ugliness or the pitted
truth, of how we choke on what we hide.
“Beyond the mouth” was first published in Timberline.
—————-
Par delà la bouche
Derrière chaque langue dans ma famille
Il y a une colombe qui vit et meurt.
La nuit, lorsque dorment mes oncles et tantes
Les oiseaux lissent leurs pennes, aiguisent leurs becs.
Les messagers, non seulement du rameau
D’olivier, mais aussi de ce qui reste de nos histoires.
Telle cette arche, où à deux nous sommes venus
Les yeux las, du Liban, de Syrie,
Des lointaines contrées d’Arménie et partout
Où la sécurité a dit ses dernières prières et a disparu.
Comme toute comparaison déjà écrite, les colombes
ou nos langues sont lasses et faussées.
Les dîners commencent par des monceaux de pain, des piles
De dialogues qu’échangent les anciens.
Près de nos gorges sombres, en silence
Les oiseaux sont tapis pour voir tomber la nourriture,
S’emparer des expressions hors d’atteinte de
La vérité, les tissant pour en faire des nids.
De temps à autre, nous les crachons en forme
De graines, de noyaux d’olives ou d’arêtes de poisson.
Les hommes ne voient jamais ce qui passe au-delà
Des dents, ce qui s’éloigne de leurs lèvres mouvantes,
Et les colombes savent cela. Les femmes ferment
La bouche lorsqu’elles désapprouvent
Les rires braillards. Un dicton
(du moins, il devrait exister) dit que si l’on ne
croit pas ce qui est dit ou vrai, ils peuvent demander
à la colombe derrière la langue
alors elle gazouillera la laideur ou la vérité
trouée, comment nous étouffons ce que nous cachons.
–

Nwesla Biyong – Fils de la lumière
Irions-nous jusqu’à crever pour notre cause
Cette quête aphone des jours de l’innocence
Course proprette des astres avant que ne fourche
La langue de la providence
Aussi vrai que le verbe origine la vie
Patients dans les trompes divines avons-nous été tous
Ovulés par le rayonnement de novae sexuées
Pour que lumière dissipe les ténèbres terrestres
Oui nous sommes ce front altier de la vérité
Qui freine le règne de l’incompétence !
–
NWESLA BIYONG
Niels Franck – Une seule voie
–
– une seule voie – extrait du blog de J M Maulpoix
–
J’oublie Gaza
la Tchétchénie
Guantanamo.
J’oublie les écoles incendiées et les enfants brûlés vifs
les parents aux yeux éteints
– d’où toute lumière a soudain disparu.
J’oublie les enfants bourrés de résidus chimiques
ceux qui à chaque instant frappent à la frontière
d’une vie inconnue. Mais personne ne leur ouvre.
J’oublie le fanatisme des matches de football
l’éternelle bousculade les braillements des spectateurs qui veulent leur mamelle.
J’oublie ceux qui luttent pour davantage de vacances
davantage de temps sans les autres.
J’oublie qu’une cuite est déjà un petit séjour
à la clinique de désintoxication (aussi nommée la Cale sèche).
J’oublie les milliers d’antennes de télé plantées partout
espèce d’extincteurs qui crachent des images de rêve
jusqu’à ce que les rêves explosent dans toutes les têtes.
J’ai déjà mentionné les politiciens
mais j’oubliais de dire qu’ils font partie de la bêtise
du cynisme
de l’étroitesse d’esprit
de l’hypocrisie
du calcul glacé
de ce qui mène directement au pouvoir.
Les terroristes aussi je les ai mentionnés
mais j’oubliais de dire qu’ils font partie de la bêtise
du cynisme
de l’étroitesse d’esprit
de l’hypocrisie
du calcul glacé
de ce qui mène directement au martyre.
–
La langue aussi je l’ai oubliée au milieu de tout ça
et la jouissance retorse que l’on éprouve à retourner ses mots et ses idées. Retourner. Retourner
si bien que pour finir rien n’est ce qu’il paraît être.
Rien : toujours déguisé autrement.
J’oublie que la langue n’est plus fiable
cette langue retouchée et archi-pelotée
une langue pleine de coupures, d’ajouts et de recollages.
Une langue qui ne sait plus que citer le mensonge.
J’oublie que la guerre des religions ne finit jamais
parce qu’on n’en finit pas de se battre pour la vérité.
J’oublie que tous ceux qui croient ont vu la lumière
trouvé la vérité.
J’oublie qu’ils sont toujours sur la bonne voie.
Tous les autres ont trouvé le mensonge
et doivent avancer à tâtons dans une obscurité éternelle
prendre la route qui mène directement au vide
à l’inanité
à l’insanité.
Comme si la seule manière d’éviter le vide
était de s’enrôler dans la guerre.
J’oublie les services secrets et leurs officiers
attachés au secret.
J’oublie les centrales nucléaires
photographiées par un lointain satellite.
J’oublie que le premier secret
dévoile en secret le deuxième.
J’oublie les nationalistes furieux
pour lesquels la nation n’est qu’une famille contrefaite
malheur à qui n’en est pas membre :
il faudra le chasser avant potron-minet
à l’aide du balai, de la poële et de torchons mouillés s’il le faut.
J’oublie tout ce qu’une haine peut renfermer de détresse
même si la détresse ne renferme aucune haine.
La détresse est toujours toute seule : privée de compassion
privée d’avenir aimé
privée de sens aimé.
J’oublie les femmes obligées de vivre toute une vie voilées
parce que les hommes tremblent de peur devant leur propre lubricité.
Pas de corps aimé. Pas de caresses.
J’oublie le suicide par internet
les fonds de spéculation
les empires médiatiques.
J’oublie les procès intentés aux dictateurs affaiblis
pour qui l’enfance de l’art est de simuler la folie.
J’oublie les images glacées des réclames montrant le chemin qui mène tout droit au bonheur
– Oh, le bonheur !
J’oublie combien le monde est merveilleux.
Pardon si j’ai dit
autre chose.
–
Niels Franck
–
Philippe Soupault – Années lumière
Année-lumière.
Une étoile dans mes mains grandes ouvertes
Un regard une étincelle une joie
Des millions d’années-lumière et une seconde
Comme si le temps était aboli
et que le monde entier se gonflait de silence
L’inconnu s’illuminait d’un seul coup
et cette lueur annonçait l’aurore
Tout était promis et clair et vrai
Un autre jour une autre nuit et l’aube
et que le monde était à portée de mes mains
Ne pas oublier ces angoisses ces vertiges
en écoutant ce qu’annonçait l’étoile
et en retrouvant ce chemin de feu
qui conduisait vers l’avenir et l’espoir
et vers ce que nul ni moi n’attendait plus
Que les nuages lourds comme le destin
s’étalent et menacent comme des monstres
et que l’horizon noir soit noir comme l’enfer
L’étoile brille pour moi seul
et tout devient lumière et clarté
Étoile qui me guide vers cet univers
où règnent la vérité et l’absolu.
–
Philippe Soupault « Crépuscules ».
–