le jardin de mon poème – ( RC )

Reconnaîtrais-tu ce jardin,
maintenant abandonné,
laissé à lui-même
alors que débordent les branches
du saule, que tu as connu
jeune encore, devant la maison?
Les heures de l’hiver
viendront tuer les fleurs,
arracher les feuilles
du chêne encore debout,
mais tu reconnaîtras le jardin de mon poème,
auquel subsistent quelques vers…
Miquel Marti I Pol – je me déclare vaincu

Je me déclare vaincu. Les années qu’il me reste
Je les vivrai dans un sourd malaise. Chaque matin
J’effeuillerai une rose – la même –
Et avec une encre évanescente, j’écrirai un vers
Décadent et nostalgique à chaque pétale.
Je vous lègue mon ombre pour testament :
C’est ce que j’ai de plus durable et solide,
Et les quatre bouts de monde sans angoisse
Que j’invente chaque jour avec le regard.
Quand je mourrai, creusez un trou profond
Et enterrez-moi debout, face au midi,
Que le soleil, en sortant, allume le fond de mes yeux.
Ainsi les gens en me voyant exclameront:
– Regardez, un mort au regard vivant.
Traduit par Ricard Ripoll
Fadwa Souleimane – la rive du fleuve
grenouille qui mange une libellule
la rive du fleuve
cigogne qui mange la grenouille
qui a mangé une libellule
dans l’eau du fleuve
poisson qui mange un poisson
la rive du fleuve
homme qui pêche le poisson
qui a mangé un poisson
la rive du fleuve
l’homme mange le poisson
qui a mangé un poisson
et en donne à ses petits
près du fleuve
les petits enterrent leur père
qui a pêché le poisson
qui a mangé un poisson
mort étranglé par une arrête
dans la tombe près du fleuve
les vers mangent le corps de l’homme
qui a mangé le poisson
sur la terre près du fleuve
les oiseaux mangent les vers
qui ont mangé le corps de l’homme
et se mettent à chanter
la rive du fleuve
un homme chasse les oiseaux
qui ont mangé les vers
et se met à contempler
la beauté de la rive du fleuve
rive qui reste silencieuse
Paris, 12 septembre 2012.
Comme dans tes vers – ( RC )
Comme une grande forêt,
les arbres se cachent les uns les autres.
Je n’en vois que quelques uns,
d’autres se développent
et ont des formes étranges,
des couleurs insolites, ,
et je me perds
dans ses obscurs sentiers.
Comme dans tes vers,
une forêt de mots
où je me fraie
dans les petits espaces
que tu laisses découverts,
et je savoure un univers
en m’y glissant doucement,
et peut-être en m’y perdant.
–
RC- avr 2019
Foroukh Farrokhzâd – il n’y a que la voix qui reste
peinture: Arpad Szenes
Pourquoi m’arrêterais-je, pourquoi?
Les oiseaux sont partis en quête d’une direction bleue
L’horizon est vertical
L’horizon est vertical, le mouvement une fontaine
Et dans les limites de la vision
Les planètes tournoient lumineuses
Dans les hauteurs la terre accède à la répétition
Et des puits d’air
Se transforment en tunnels de liaison.
Le jour est une étendue,
Qui ne peut être contenue
Dans l’imagination du vers qui ronge un journal
Pourquoi m’arrêterais-je?
Le mystère traverse les vaisseaux de la vie
L’atmosphère matricielle de la lune,
Sa qualité, tuera les cellules pourries
Et dans l’espace alchimique après le lever du soleil
Seule la voix
Sera absorbée par les particules du temps
Pourquoi m’arrêterais-je?
Que peut être le marécage, sinon le lieu de pondaison des insectes de pourriture
Les pensées de la morgue sont écrites par les cadavres gonflés
L’homme faux dans la noirceur
A dissimulé sa virilité défaillante
Et les cafards…ah Quand les cafards parlent!
Pourquoi m’arrêterais-je?
Tout le labeur des lettres de plomb est inutile,
Tout le labeur des lettres de plomb,
Ne sauvera pas une pensée mesquine
Je suis de la lignée des arbres
Respirer l’air stagnant m’ennuie
Un oiseau mort m’a conseillé de garder en mémoire le vol
La finalité de toutes les forces est de s’unir, de s’unir,
À l’origine du soleil
Et de se déverser dans l’esprit de la lumière
Il est naturel que les moulins à vent pourrissent
Pourquoi m’arrêterais-je?
Je tiens l’épi vert du blé sous mon sein
La voix, la voix, seulement la voix
La voix du désir de l’eau de couler
La voix de l’écoulement de la lumière sur la féminité de la terre
La voix de la formation d’un embryon de sens
Et l’expression de la mémoire commune de l’amour
La voix, la voix, la voix, il n’y a que la voix qui reste
Au pays des lilliputiens,
Les repères de la mesure d’un voyage ne quittent pas l’orbite du zéro
Pourquoi m’arrêterais-je?
J’obéis aux quatre éléments
Rédiger les lois de mon cœur,
N’est pas l’affaire du gouvernement des aveugles local
Qu’ai-je à faire avec le long hurlement de sauvagerie?
De l’organe sexuel animal
Qu’ai-je à faire avec le frémissement des vers dans le vide de la viande?
C’est la lignée du sang des fleurs qui m’a engagée à vivre
La race du sang des fleurs savez-vous?
Traduction de Mohammad Torabi & Yves Ros.
Miquel Marti I Pol – Absence
( interprété librement à partir d’une traduction bancale du texte original en catalan ).
peinture: Dillon Samuelson
Il y a toujours quelque chose,
un souffle, une parole, un mot
qui remplit le manque de toi ;
c’est cette armure qui me protège
du cauchemar de la colère et de la tristesse.
Après, tu deviens présente
dans chaque vers écrit,
et quand je les redis , solitaire,
il n’y a pas de distance entre ton corps et le mien,
unis toujours davantage dans le poème .
Des fleurs volées , et des heures envolées – ( RC )
image » collage perso »
—
Des fleurs volées,
Et des heures envolées,
Au parcours des chemins,
Tiennent au creux de la main,
Comme ces mots notés,
Sur un coin de papier,
Car nullement ils n’encombrent
Dans la poche … restés à l’ombre.
Ils sont soudain sortis
Du creux de l’oubli,
Pour re-surgir ainsi,
Au soleil de midi.
Ce sont des fleurs séchées,
Une esquisse à peine ébauchée,
Des mots malhabiles,
Et des vers fragiles,
Tout ce qu’il faut pour cadencer,
La lumière de la pensée
Pour autant qu’ils essaiment …
… Je vais les assembler en poème .
–
RC- mars 2014
–
–
écrit inspiré d’une création d’Ulysse » Le fond de ma poche »
Lucien Suel – Sombre Ducasse 7 ( suivi de ma « réponse » ) – ( RC )
Sombre Ducasse (version justifiée) 7
si le point de départ vient à changer
aura-t-on le même point au final ceux
qui utilisent des bandes coulissantes
sur trois magnétophones n’anéantiront
plus le complexe comateux bande bande
bande blue stardust jack off moi j’ai
tout fait j’étouffais alors quel sera
le numéro silence silence silence ces
dispositions hétéroclites ces séances
particulières datent sans doute de 23
ans avant la dernière guerre nous les
détruirons les erreurs surtout celles
qui consistent à croire que les moins
grands sont les plus jeunes ou que le
plus grand est le plus vieux détruire
toute la hiérarchie serait saugrenu à
moins de placer les petits les moyens
les grands contre un mur de manière à
déclencher le feu des fusils à canons
sciés le sens de l’écriture a orienté
tout pour tous de manière ignoble les
maladresses ont été nombreuses il y a
eu trop de ça tout au long des années
des siècles à venir ceci n’allait pas
tout seul il faudra placer des garde-
fous plus rigides sur les limites des
manières de vivre aujourd’hui séparer
mettre à l’écart les cas gênants nous
avons trop peu de renseignements tous
nos souvenirs brillants de la seconde
guerre mondiale s’estompent déjà dans
les vents froids et foireux les vieux
partis au diable vos vers sont séchés
soumis à la question trop souvent ils
ne sont plus que d’anciens modèles de
voitures reproduits sur carte postale
—-
Le texte de Lucien Suel, extrait de « silos », est visible directement sur cette page…, l’auteur, en m’autorisant à republier son texte, me renvoit aussi à sa version 2, ici
Je ne suis pas là, je ne pourrai pas t’accompagner
dans la course, et découper le temps avec des
ciseaux,ainsi la musique se déroule, et les chevilles se coulent,
sans hiérarchie, sur la piste, il y a le parquet qui brille, les passages le frottement de la lumière,
et la musique de Coltrane, my favourite things, qui me rappelle, mais j’ai vérifié, c’était autre chose,
le film de Pierre Etaix,Yoyo… j’ai encore dans les yeux la fumée des usines qui rentre dans les cheminées, plutôt que d’en sortir, tu vois, j’ai sans doute égaré bien des souvenirs, en route, en semant trop de cailloux blancs – pour écouter le silence
je me suis un peu perdu, sur des chemins qui s’égarent.
Oui, j’aurais eu besoin de garde-fous, enfin, si on veut, si on parle de fous,
car justement, ce sont des voix d’hiver ( diverses), qui permettent de trouver la sienne,
les chemins de traverse, comment se repérer faire que sa voie soit la sienne et sa voix personnelle…
J’ai traversé des tableaux sépia , croisé Francis Bacon à Paris,
pianoté un peu, et caressé la lumière qui se posait sur mes toiles.
Les vers séchés ( comme les lombrics égarés après une forte pluie), composent mes poèmes,
que je triture volontiers, en sautillant à cloche pied, varier les appuis, les cases de la marelle
pour aboutir à la case « ciel », j’écoute les voix diverses, je m’enrichis de ta voix…
et finalement j’ai laissé tourner les bandes magnétiques, laissé les ciseaux à d’autres,
mon univers est de la couleur et de l’argenté.
Passent d’anciens modèles de voiture reproduits sur les magazines….
RC 14 décembre 2012
–
Claudio Pozzani – Cherche en toi la voix que tu n’entends pas
Cherche en toi la voix que tu n’entends pas
(invocation pour voix, cage thoracique et solitude)
Cherche en toi la voix que tu n’entends pas mange l’univers si tu ne la comprends pas Maisons basses au toit en pente pleurant la pluie venant des sous-toits désormais pourris Parfum de terre, de feuilles, d’étangs et paysages sinistres de marbre candide Cherche en toi la voix que tu n’entends pas mange l’univers si tu ne la comprends pas Vers qui gisent sous le fond boueux rats qui nagent dans des ruisseaux d’acier Embruns de brouillard, voitures véloces qui broutent de rapides tagliatelle d’asphalte Cherche en toi la voix que tu n’entends pas mange l’univers si tu ne la comprends pas Des ombres de glaise se trainent les pieds en secouant leur tête conique basse D’obliques fantômes imprimés sur le mur rappellent fuites et chevaux de frise La noirceur commence à refléter ton esprit tandis que tout devient effervescent et vert…
Claudio Pozzani
Cerca in te la voce che non senti
(invocazione per voce, cassa toracica e solitudine)
Cerca in te la voce che non senti mangia l'universo se non la comprendi Basse case dai tetti spioventi lacrimanti pioggia da gronde ormai marce Profumo di terra, di foglie, di stagni e sinistri paesaggi di candido marmo Cerca in te la voce che non senti mangia l'universo se non la comprendi Vermi che giacciono sotto il fondo fangoso topi che nuotano in ruscelli d'acciaio Fumo di nebbia, auto veloci che brucano leste tagliatelle d'asfalto Cerca in te la voce che non senti mangia l'universo se non la comprendi Ombra di creta camminano stanche scuotendo bassa la conica testa Obliqui fantasmi stampati sul muro ricordano fughe e cavalli di frisia Il buio comincia a specchiarti la mente mentre tutto diventa effervescente e verde...
© Claudio Pozzani
Extrait de: Saudade e Spleen
Alchimies Poétiques, Éditions Lanore, Paris 2001
–
Rainer Maria-Rilke – Pour écrire un seul vers
Pour écrire un seul vers, il faut avoir vu beaucoup de villes, d’hommes, et de choses, il faut connaitre les animaux, il faut sentir comment volent les oiseaux, et savoir quels mouvements font les petites fleurs en s’ouvrant le matin.
Il faut pouvoir penser à des chemins dans des régions inconnues, à des rencontres inattendues, à des départs que l’on voyait longtemps approcher, à des jours d’enfance, dont le mystère ne s’est pas encore éclairci, à ses parents qu’il fallait qu’on froissât lorsqu’ils nous apportaient une joie , et qu’on ne la comprenait pas ,et c’était une joie faite pour un autre, à des maladies d’enfance qui commençaient si singulièrement par tant de profondes et graves transformations, à des jours passés dans les chambres calmes et contenues, à des matins au bord de la mer, à la mer elle-même, à des mers, à des nuits de voyages qui frémissaient très haut, et volaient avec toutes des étoiles.
Et il ne suffit même pas de savoir penser à tout cela.
Il faut avoir des souvenirs de beaucoup de nuits d’amour, dont aucune ne ressemblait à l’autre, de cris de femmes hurlant en mal d’enfant, et de légères, de blanches, de dormantes accouchées qui se refermaient.
Il faut encore avoir été auprès de mourants, être resté assis auprès de morts dans la chambre, avec la fenêtre ouverte, et des bruits qui venaient par à-coups.
Il ne suffit même pas d’avoir des souvenirs, il faut savoir les oublier quand ils sont nombreux. Il faut avoir la grande patience d’attendre qu’ils reviennent, car les souvenir eux-mêmes ne sont pas encore ceux-là.
Ce n’est que, lorsqu’ils deviennent en nous sang, regard, geste, lorsqu’ils n’ont plus de nom et ne se distinguent plus de nous, ce n’est qu’alors qu’il peut arriver, qu’en une heure très rare du milieu d’eux, se lève le premier mot d’un vers. »
extrait de « Cahiers de Malte Laurids Brigge « , de Rainer Maria Rilke,
Je viens de voir qu’un de mes « bloggers favoris », (Beauty will save the world), a choisi précisément le même extrait...
–
–
Yvon Le Men – haut placé
« Son fils habite rue Paul Eluard/ quelqu’un de haut placé/ comme elle dit.
Plus haut que le maire ?/ Oui/ beaucoup plus.
il n’est pas d’ici
D’ici/ où les noms de rue/ résonnent encore des cris des résistants
D’ici/ d’où chaque jour elle cherche/ quelqu’un de pas trop haut placé/ pour chaque jour
Partager sa journée/ en deux/ et une partie cartes/ à quatre.
Elle vit/ avec elle/ depuis si longtemps
Elle vécut avec son amour/ il y a si longtemps/ du temps du passé/ simple.
Elle se souvient d’elle/ petite fille/ ne se souvient pas/ du nom des joueurs de carte/ d’avant-hier.
Elle ne connaît pas Paul Eluard/ ne sait pas qu’il a écrit une phrase/ qu’elle connaît
La mort est rentrée en moi comme dans un moulin
Et qu’on appelle un vers. »