Jorge Carrera Andrade – poussière , cadavre du temps
(Polvo, cadàver del tiempo)

Tu es esprit de la terre : poussière impalpable.
Omniprésente, impondérable, tu chevauches le vent,
tu franchis des milles marins, de terrestres distances
avec ta charge de visages effacés et de larves.
Oh des appartements visiteuse subtile !
Les armoires closes te connaissent.
Dépouille innombrable ou cadavre du temps
ta ruine s’écroule comme un chien.
Avare universelle, en des trous et des caves
sans répit tu entasses ton or léger et vain,
folle collectionneuse de vestiges et de formes,
tu prends des feuilles l’empreinte digitale.
Sur les meubles, les coins, les portes condamnées,
les pianos, les chapeaux vides et la vaisselle,
ton ombre ou vague mortelle
étend son morne drapeau de victoire.
Tu campes en maître sur la terre
avec les pâles légions de ton empire dispersé.
Oh rongeur, tes dents infimes dévorent la couleur,
la présence des choses.
La lumière elle-même se vêt de silence
en ton fourreau gris, tailleuse des miroirs,
Ultime héritière des choses défuntes,
tu gardes tout en ton tombeau errant.
extrait de l’anthologie J C Andrade coll Seghers poètes d’aujourd’hui
Le temple du jardin des rois – ( RC )

Des torches de lumière
papillonnent , légères,
poussées par les tilleuls.
Les bancs nous attendent ,
dans un havre préservé du soleil,
à l’orée de la forêt de pierre.
Vois-tu ces colonnes ?
elles ne portent qu’elles-mêmes,
ou une part d’histoire qui ne reste jamais sur place.
Des roses vivaces
cachent leurs épines, derrière leurs feuillages,
et se tournent vers le bassin, immobiles.
Courent derrière les grilles
proches du jardin du palais Royal,
pleins d’insouciance, des enfants .
Ils franchissent d’un bond
les troncs morts des colonnes,
coupées à ras.
L’ombre grignote petit à petit
l’ordonnance des bâtiments sévères :
elle s’agrandit sur la place;
On imagine qu’un temple grec attendait
émergeant à peine du sol,
bientôt envahis de sable, ce sont ses vestiges
où planent les oiseaux de proie
au-dessus de ce que fut jadis
le jardin des rois.
Entaille de l’histoire de l’Afrique – ( RC )
–
Sur les pistes où sont passés jadis,
Au milieu des sables et des rocs,
Tant de caravanes, et de cris,
Tant d’esclaves enchaînés,
Aux êtres vendus comme bétail,
Arrachés les uns aux autres,
Sous le fouet
Et les griffures du soleil…
Sur ces pistes, ne subsistent,
Comme vestiges, juste le sable
Des couches en ont recouvert d’autres,
Comme les années l’ont fait .
L’entaille de l’histoire, cicatrice
Gravée de générations d ‘exil,
Est pourtant toujours ouverte
Mémoire du tribut du sang, de l’Afrique
–
RC – mai 2014
–
Plante carnivore (RC)

plante carivore, parc de Bako, Nouvelle Calédonie
–
Sur l’étagère, du pot la végétation sournoise ;
Se développent dans l’ombre maintes tentacules
Qui espèrent, aux aguets,insectes et animalcules
Entre le buffet revêche et l’horloge comtoise…
Il émane de quelque part, des tentatives de lucre.
Lentement se propage, le poison de la plante
Dans la petite pièce, l’atmosphère étouffante
Flottant quelque part, acide, entre le miel et le sucre…
C’est de trompeuse douceur, le parfum de la mort
Venant boire de la vie, l’errance abjecte,
Quand se posent sur elle, d’innocents insectes
Englués dans les sucs, de la plante carnivore..
Aujourd’hui, bien à sa place, mais plutôt replète
Je la sens qui m’observe, toujours sur le qui-vive
En attendant, sans bouger, que la nuit arrive
Et ses reflets troubles, agacent et entêtent.
Je l’imagine, alors, dans le noir, tout envahir
Développer des lianes et filaments
Me ficeler menu, me faire son aliment,
Qu’elle triple ainsi de taille , à hauteur de son désir
Je serai « bu » par elle en un tournemain
Epaississant , la forêt de ses feuilles
De moi, on pourra faire le deuil,
La plante aura , ce petit air hautain,
Entre l’horloge comtoise et le buffet revêche,
Caché dans la plante, ( c’est peut-être pour demain )
Tiges et tentacules auront quelque chose d’humain…
Avant que mon coeur, entièrement, ne se dessèche…
C’est un fantasme, qui bien sûr, angoisse
——Que je n’aurais peut-être pas dû partager
Car , si j’en viens, à vous manger
Même avertis, mes amis, serez dans la poisse !
Mais nous serons si bien ensemble, dans les tiges,
De votre vie passée , des souvenirs anciens,
Comme pour moi, il n’en restera plus rien
Un touffe de cheveux qui dépassent… des vestiges…
RC 2 juin 2012
–
JoBougon – suspendre le temps
Suspendre le temps — du blog de Jo chez wordpress: 1 juin 2011 par jobougon
Dans les ruines tu temps mon regard s’est posé en silence
Il laisse un peu la trace de mes insouciances
Mais elle est loin cette légèreté
Elle s’est perdue dans des gravats abandonnés
Et au milieu des vestiges oubliés
J’ai retrouvé le chemin des secrets
Ceux qu’on chuchote au creux de l’oreille
Que l’on ne dit qu’à ceux que l’on aime
Et ce n’est plus mon crâne fêlé
Qui laisse passer la lumière
Mais c’est mon cœur qui s’est fendu
Morfondu confondu éperdu C
’est mon cœur qui n’en pouvant plus
A laissé le temps suspendu.