Vesna Parun – Ephèbe endormi
peinture: Botticelli: Arès & Aphrodite ( détail droit )
Sur la plage où l’ombre de la baie s’allonge
Il est couché tel une vigne en son clos,
Solitaire et tourné du côté des vagues.
Son visage est empreint d’une grâce grave,
Le vent de midi à ses traits se caresse,
Il est plus beau que branche de grenadier
Gorgée de pépiements d’oiseaux, et sa taille
Plus souple que l’ondulation d’un lézard.
.
Grises est la mer, le sable crisse.
Des ombres blondes s’étendent sur la vigne.
Dans le lointain des colonnes de ciel saillent.
L’orage maintenant vient battre la plage.
.
Et moi je tête l’odeur d’été qui croît
Et je bois le vin des plantes dénudées
Et j’emplis mon regard de ces mains qui luisent,
De ces flancs brillants et polis d’une écume
Ou se déplace l’huile des oliviers,
Moi, mes yeux apaisés reposant sur lui
Enveloppé par la vague, qui sommeille
Dans ce tonnerre lent et vieux comme agave,
Moi livrée au vol multiple des désirs,
Je me demande combien d’ailes ouvertes
Palpitent dans les creux bleutés et les monts
De ce corps si calme qu’il s’en va troubler
L’herbe solitaire et la mer en son verbe.
Robert Vigneau – la vigne
Au blé, accordez les plaines,
Il vous apporte le pain.
Offrez l’ombre des fontaines
Aux légumes des jardins.
À moi, la part indigente
Dont personne ne voudra :
Le gravier brûlé des pentes,
Le roc sec, le sable ingrat.
Je m’y nourrirai du ciel.
Mes vins garderont vivants
Le rouge, l’or des soleils
Et les ivresses du vent.
J’élèverai dans ma sève
L’alcool aveugle : il conduit
Les extases — et vos rêves
Vers enfer ou paradis.
Qu’ai-je besoin de la terre?
Racinée dans le divin,
Je fleuris par la prière
À la bouche du devin.
Noé s’endort en famille
Dans mes berceaux de sarments
Et Dionysos dans mes vrilles
S’enroule éternellement.
Mon raisin, Messie des anges,
Vous verse à boire les cieux
Par le jus de ma vendange
Devenu le sang de Dieu.
Yves Heurté – Magdala 1
peinture: Eugène Delacroix: Marie-Madeleine au pied de la croix
1
Je n’ai pas su garder ma vigne
pour le profane.
A tes mains j’ai donné
le nœud de ma ceinture
et dans tes yeux se dénouait
toute écriture de ma chair.
Vérité nue comme la femme
il faut qu’amour t’incarne
avant le chant grégorien .
Henry Bauchau – le voyage
Le voyage
Tu pars, tu vas quitter la durée de la neige
Pour un autre temps plus actif, on dit là-bas que l’Histoire s’accélère.
Pourra-t-elle produire une raison paisible, une femme née de la terre
Éclairée de pensée vivante par la voyance, la claire audience de son corps.
Tu es dans la saison de la simplicité, quand la vue baisse on ne voit que les plus simples lignes.
(…)
Tu pars, tu vas longer la pente des rivières, tu passes des villages grèges
Rien n’est beau que la vigne nue, sous le vert des phosphates,
rien n’est plus éclairé que le mur manuel.
Tu es dans le cimetière des vignerons, tu cherches entre les tombes une trace perdue
Le lac dans la brume, il est couleur de perle, au milieu du nuage on voit deux larmes, on voit
deux barques suspendues.
À l’ombre du muret, il reste un peu de neige et tu lis sur la pierre :
Ma grâce te suffit. C’est ce que j’avais oublié.
Jacques Dupin – Grand vent
–
Nous n’appartenons qu’au sentier de montagne
Qui serpente au soleil entre la sauge et le lichen
Et s’élance à la nuit, chemin de crête,
À la rencontre des constellations.
Nous avons rapproché des sommets
La limite des terres arables.
Les graines éclatent dans nos poings.
Les flammes rentrent dans nos os.
Que le fumier monte à dos d’hommes jusqu’à nous !
Que la vigne et le seigle répliquent
À la vieillesse du volcan !
Les fruits de l’orgueil, les fruits du basalte
Mûriront sous les coups
Qui nous rendent visibles.
La chair endurera ce que l’œil a souffert,
Ce que les loups n’ont pas rêvé
Avant de descendre à la mer.
–
du recueil » le corps clairvoyant » –
Cathy Garcia – Oeil de lune
OEIL DE LUNE
Velours noir,
Pierres brutes.
Encensoirs,
Douces flûtes.
Amours félins,
Juste émotion.
Contre le sein
L’édredon.
Le chat-huant
Dans la nuit.
Chuintement
De magie.
Les bras tendus
D’une vigne vierge,
Fée répandue
Sans nul visage.
Verte et souple,
Liane enchantée.
Geste ample
Garde le secret.
Cour d’étoiles
Et de gravier.
Cailloux pâles,
Maison d’été.
Thomas Bernhard – Mon arrière-grand-père était marchand de saindoux
(Mein Urgroßvater war Schmalzhändler, 1957)
Mon arrière-grand-père était marchand de saindoux,et aujourd’hui
chacun se souvient encore de lui
entre Henndorf et Thalgau,
Seekirchen et Köstendorf,
et ils entendent sa voix
et se serrent
les uns contre les autres à sa table,
qui fut aussi la table du Maître.
En 1881, au printemps,
il se décida pour la vie : il planta
la vigne le long du mur de la maison
et appela les mendiants ;
sa femme, Maria, celle au ruban noir,
lui offrit encore mille ans.
Il inventa la musique des cochons
et le feu de l’amertume,
et parla du vent
et du mariage des morts.
Il ne me donnerait aucun bout de lard
pour mes désespoirs. »
–
T B – Sur la terre comme en enfer (Auf der Erde und in der Holle, 1957)
–
Jacques Dupin – Grand vent
Peinture: Emil Nolde – mer d’automne VII – 1910
Grand vent
Nous n’appartenons qu’au sentier de montagne
Qui serpente au soleil entre la sauge et le lichen
Et s’élance à la nuit, chemin de crête,
À la rencontre des constellations.
Nous avons rapproché des sommets
La limite des terres arables.
Les graines éclatent dans nos poings.
Les flammes rentrent dans nos os.
Que le fumier monte à dos d’hommes jusqu’à nous !
Que la vigne et le seigle répliquent
À la vieillesse du volcan !
Les fruits de l’orgueil, les fruits du basalte
Mûriront sous les coups
Qui nous rendent visibles.
La chair endurera ce que l’œil a souffert,
Ce que les loups n’ont pas rêvé
Avant de descendre à la mer.
Jacques Dupin, Gravir, Gallimard, 1963
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