A l’ombre du chais silencieux – ( RC )
( réponse à Ivresse de Susanne Derève )

—
Faut-il se laisser emporter
par le drap du grand hiver,
et répondre à l’appel
du vin dans les caves
– qui tiendrait lieu de promesses – ?
Un peu de chaleur
tournant au fond des verres,
où se reflète le ciel.
A défaut des terres blondes de l’été
nous goûterons l’ivresse
à l’ombre du chais silencieux
quand le vin mûrit
sans se soucier des jours pluvieux :
offrande à l’oubli
des jours de l’automne
qui vient juste de trépasser.
Jamais le temps ne s’emprisonne
dans les fûts ombreux.
Nous sortirons chancelants
après avoir bu
le sang du soleil
resté quelque part
dans le vin vermeil :
que je goûterai dans tes mains
accoudé au bar,
chercherai le chemin
pour retrouver
l’or paresseux des jours
( car jamais l’amour
ne se laisse enfermer
dans une bouteille ),
ni les rêves épars,
que l’on imagine de neige,
ne seront pris au piège
de la fortune et du hasard,
en buvant à la santé
de ta nouvelle année…
Gérard Noiret – A travers le vin

A travers le vin tu parles au village
de ta vie comme une hermine
lorsqu’elle s’arrache la patte
du ciel encore plus incapable de surprise
que de bleu. Certaines fois
tu t’éveilles dans tes phrases
sans pouvoir te situer ni savoir
d’où provient la lumière
(Au café de l’Eglise)
Un sonnet d’après l’absinthe – ( RC )
peinture: E Degas – le verre d’absinthe
Jo tombe à l’eau
dans le port de Saint-Malo…
on peut aussi se noyer dans un verre de vin,
( tu le prends, je te le tiens ):
A Saint Malo, il y a une semaine j’y étais;
les nuages flottaient au-dessus des quais,
c’est juste en front de mer,
que j’ai avalé le dernier verre
( puis la lumière s’est éteinte…
il n’y avait plus d’absinthe )…
c’est une histoire d’eau un peu trouble
tout à fait décente
mais , qu’il est difficile de remonter la pente
( je crois que j’y voyais double !) .
Ivresse – (Susanne Derève) –

Vivrons nous du souffle léger de Décembre - pierre tendre et tuiles rondes - et des rameaux du grand hiver rouges dans le bleu du ciel, de la promesse des bourgeons sur le bois nu, du dernier sursaut de l’automne, - ivresse, de vin rosé , de vin jeune et de pourpre, de chais silencieux - de l’or paresseux du jour, un boisseau d’ocres et de velours, de verts enluminés de pluie, de l’éclat chancelant du vitrail et de l’offrande de la nuit miroitant de l’averse, une ville à nos pieds, brouillée d’ombre et de vent, de nos mains jointes et refermées innocemment sur la fortune et le hasard, comme on braconne des rêves épars sur les terres blondes de l’été avant que ne l’emprisonnent les neiges blanches de Janvier
Le vin des nuits – (Susanne Derève)

Jean Bertholle – Don Quichotte
Je marche je marche
au cœur des nuits
là où les sarments de lune fomentent
les désespoirs ordinaires
la parole nue des lendemains
Marches-tu toi ? Me vois-tu qui piétine ?
– Tu me réponds que le vin est tiré le vin bu –
Lune pâle sous le vent qui se rit de moi
Un caballero se profile là-bas le vent
l’effacera-t-il dans les vapeurs ténues de la nuit
Terre bue comme le vin des vignes
qui monte en blanches volutes
Mon cavalier les lignes de vie au loin
sont éteintes
Mouche le bleu fanal des chandelles
avant que la parole nue du matin
ne divague et m’appelle
Yanka Diaghiléva – Seras-tu ?
Yanka Diaghiléva dont on peut trouver les traductions du russe par Henri Abril, sur son site
art: exposition Georges Guye
Seras-tu le rayon clair
qui naît de l’ombre,
Seras-tu l’ombre engendrant le rayon ?
Seras-tu la pluie bleue
qui tombe sur la neige,
Seras-tu l’un des nuages ?
Ne seras-tu qu’un maillon
de la chaîne dorée,
Ou bien le marteau qui la forge ?
Seras-tu le sentier à l’horizon
ou celui qui y marche ?
Seras-tu la plume d’une aile d’aigle
Ou seras-tu l’aigle lui-même ?
Seras-tu une goutte de vin
ou bien le fond de la cruche ?
1987
Catherine Pozzi – Escopolamine
Le vin qui coule dans ma veine
A noyé mon cœur et l’entraîne
Et je naviguerai le ciel
À bord d’un cœur sans capitaine
Où l’oubli fond comme du miel.
Mon cœur est un astre apparu
Qui nage au divin nonpareil.
Dérive, étrange devenu !
Ô voyage vers le soleil —
Un son nouvel et continu
Est la trame de ton sommeil.
Mon cœur a quitté mon histoire
Adieu Forme je ne sens plus
Je suis sauvé je suis perdu
Je me cherche dans l’inconnu
Un nom libre de la mémoire.
Escopolamina
El vino que por mis venas fluye
Ahogó mi corazón y se lo lleva
Y por el cielo yo navegaré
En un corazón sin capitán
Donde el olvido es blanda miel.
Mi corazón es astro aparecido,
Que nada en el divino sinigual.
¡Deriva, extraño acontecido!
Oh viaje, largo viaje hacia la luz—
Sonido nuevo y nunca interrumpido
Es la tejida trama de tu sueño.
Mi corazón abandonó mi historia
Adiós Forma ya no siento más
Estoy a salvo al fin estoy perdido
Me voy buscando en lo desconocido
Un nombre libre de la memoria.
Versión de Carlos Cámara y Miguel Ángel Frontán
Catherine Pozzi (1882-1934)
–
F-R de Chateaubriand – les chasseurs ( de Atala )
Les chasseurs (fragment)
Chaque soir nous allumions un grand feu et nous bâtissions la hutte du voyage,
avec une écorce élevée sur quatre piquets. Si j’avais tué une dinde sauvage, un ramier,
un faisan des bois, nous le suspendions devant le chêne embrasé, au bout d’une gaule
plantée en terre, et nous abandonnions au vent le soin de tourner la proie du chasseur.
Nous mangions des mousses appelées tripes de roche, des écorces sucrées de bouleau,
et des pommes de mai, qui ont le goût de la pêche et de la framboise.
Le noyer noir, l’érable,le sumac, fournissaient le vin à notre table.
Quelquefois j’allais chercher parmi les roseaux une plante,
dont la fleur allongée en cornet contenait un verre de la plus pure rosée.
Nous bénissions la Providence ou sur la faible tige d’une fleur avait placé cette source limpide au milieu des marais corrompus, comme elle a mis l’espérance au fond des cœurs ulcérés par le chagrin comme elle a fait jaillir la vertu du sein des misères de la vie.
François-René de CHATEAUBRIAND
« Atala »
Colette Fournier – Apprends-moi à danser
Photo : Emmanuelle Gabory
Apprends-moi à danser
Je veux retrouver le soleil
Flirter sur un rayon de miel
Brûler la pointe de mon cœur
Sur des épines d’arc-en ciel
J’ai besoin du velours de la voix
Feutrant ses frissons de soie
J’ai besoin de la couleur du vin
Fleuve de rubis où tout chavire
J’ai besoin du nectar des abeilles
Des parfums du paradis
Des ailes de tous les anges
J’ai besoin de devenir archange
De me transmuter, de m’alchimiser
J’ai eu si mal dans mon corps
Irradié et somesthesique
Que ce soir je veux danser
Libre, nue, échevelée
Ivre comme une bacchante
Et quelque part folle à délier
Avant que ne descende sur moi
La lente douceur du soir…
Béatrice Douvre – L’oiseau
–
peinture : Victor Brauner promenade de l’oiseau – 1958 Grenoble
L’oiseau ensemble
Ton pays se souvient
De la tempête ouverte
D’un nom plus fort que les oiseaux
D’un vent serré dans les mémoires
Les grands toits de la neige attendrissaient nos doutes
Nous courions, enfants des libertés d’oiseaux
Sous des rocs confus de la mémoire divine
Un grand souffle éclairait nos lampes dégagées
Ton pays se souvient-il
De la terre et du vin
Que nous buvions sans doute
Dans les maisons fermées ?
—-
Wislawa Szymborska – Avec le vin
peinture André Cohn
D’un regard il amplifia ma beauté
et je la pris pour mienne.
Heureuse j’avalais une étoile.
Je lui permis de m’inventer
à l’image du reflet
dans ses yeux . Je danse, danse
dans les secousses de mes subites ailes.
Table est table. Vin est vin
dans le verre, qui est verre
restant dressé sur la table,
Je suis illusoire,
incroyablement illusoire
imaginée jusqu’au sang.
Je lui parle de ce qu’il veut : de fourmis
mourant d’amour
sous la constellation de pissenlits.
Je jure qu’une rose blanche,
arrosée par le vin, chante.
Je ris, je penche la tête,
avec précaution, comme si je vérifiais
une invention. Je danse, danse
dans une peau étonnée, dans les bras qui me créent
Eve de la côte, Venus des écumes,
Minerve de la tête de Jupiter,
étaient plus réelles.
Quand il me regarde,
Je cherche mon reflet sur le mur.
Et je vois seulement
un clou, duquel on a enlevé son tableau.
Henry Miller – Vin
C’est un vin qui glisse comme du verre fondu,
et qui coule dans les veines comme un feu fluide, lourd et rouge,
dilatant le coeur et l’esprit. On se sent à la fois lourd et léger ;
leste comme l’antilope et pourtant incapable de bouger.
La langue rompt les amarres, le palais s’épaissit agréablement,
les mains décrivent des gestes larges et lâches, de ceux qu’on aimerait tirer
d’un crayon gras et tendre. On aimerait peindre tout à la sanguine ou au rouge pompéien,
avec de grandes éclaboussures de fusain et de noir de fumée.
Les objets s’élargissent et se brouillent, les couleurs sont plus vraies et plus vives,
comme pour le myope quand il ôte ses verres.
Mais par-dessus tout, c’est un vin qui réchauffe le cœur.
Henry MILLER « Le Colosse de Maroussi » (Ed. du Chêne, 1948)
Catherine Pozzi – Vale
peinture aborigène: Clifford Possum 1997
–
La grande amour que vous m’aviez donnée
Le vent des jours a rompu ses rayons —
Où fut la flamme, où fut la destinée
Où nous étions, où par la main serrée
Nous nous tenions
Notre soleil, dont l’ardeur fut pensée
L’orbe pour nous de l’être sans second
Le second ciel d’une âme divisée
Le double exil où le double se fond
Son lieu pour vous apparaît cendre et crainte,
Vos yeux vers lui ne l’ont pas reconnu
L’astre enchanté qui portait hors d’atteinte
L’extrême instant de notre seule étreinte
Vers l’inconnu.
Mais le futur dont vous attendez vivre
Est moins présent que le bien disparu.
Toute vendange à la fin qu’il vous livre
Vous la boirez sans pouvoir être qu’ivre
Du vin perdu.
J’ai retrouvé le céleste et sauvage
Le paradis où l’angoisse est désir.
Le haut passé qui grandi d’âge en âge
Il est mon corps et sera mon partage
Après mourir.
Quand dans un corps ma délice oubliée
Où fut ton nom, prendra forme de cœur
Je revivrai notre grande journée,
Et cette amour que je t’avais donnée
Pour la douleur.
Del gran amor que tú me habías dado
El viento de los días los rayos destrozó —
Donde estuvo la llama, donde estuvo el destino
Donde estuvimos, donde, las manos enlazadas,
Juntos estábamos
Sol que fue nuestro, de ardiente pensamiento
Para nosotros orbe del ser sin semejante
Segundo cielo de un alma dividida
Exilio doble donde el doble se funde
Ceniza y miedo para ti representa
Su lugar, tus ojos no lo han reconocido
Astro encantado que con él se llevaba
De nuestro solo abrazo el alto instante
Hacia lo ignoto.
Pero el futuro del que vivir esperas
Menos presente está que el bien ausente
Toda vendimia que él al final te entregue
La beberás mientras te embriaga el
Vino perdido..
Volví a encontrar lo celeste y salvaje
El paraíso en que angustia es deseo
Alto pasado que con el tiempo crece
Es hoy mi cuerpo, mi posesión será
Tras el morir.
Cuando en un cuerpo mi delicia olvidada
En que estuvo tu nombre se vuelva corazón
Reviviré los días que fueron nuestro día
Y aquel amor que yo te había dado
Para el dolor.
Versión de Carlos Cámara y Miguel Ángel Frontán
Abdallah Zrika – J’ai apporté le vin … les dattes
–
J’ai apporté le vin
sans la peau du verre
J’ai apporté les dattes
fraîchement cueillies d’un mamelon
Je suis venu à vous
Je ne suis pas venu
Et vous n’êtes pas venus à moi
Je suis ainsi
vif-argent
comme le courant de la volupté
Je vous ai apporté
le minaret
pour appeler d’en-bas à la prière
Puissent les morts m’entendre
Je suis venu à vous mort
pour que vous m’aimiez davantage
et que vous disiez de moi
tout ce qui m’agrée
J’ai apporté des fleurs
pour ceux d’entre vous
qui ont proclamé leur folie
Je suis venu fou
pour comprendre le fou
tordre ce qui est droit
comprendre le fleuve
le serpent
Fou
pour aimer les échelles
devenir sage
comme chacun voudrait que je sois
Je vous apporté des choses inestimables
Les petits cailloux avec lesquels je joue
Des formes
qui ne ressemblent qu’aux animaux imaginés
dans la volupté
Du parfum
pour ouvrir vos narines
à la sauvagerie du plaisir
De l’or
que je répands
chaque fois que j’atteins la jouissance
Et vous ô femmes
je vous ai apporté un bâton d’or
qui ravit la lumière de la vulve
J’ai apporté
plusieurs copies de moi-même
Aucune
ne ressemble à l’autre
J’ai apporté
des nombres impressionnants de moi-même
Aucun nombre ne ressemble à l’autre
J’ai apporté
la soif
pour les lèvres humides
…
extrait de « Bougies Noires « aux Éditions de la Différence
traduit de l’arabe par Abdellatif Laâbi
Astrid Waliszek – bois, bois cette coupe

Pierre Mhanna – Amour et silence .
–
Amour & Silence
( 12 petits textes comme des haÏkai de Pierre Mhanna)… consultables dans la langue d’origine, sur son site…
————-
Silence cristallin,
au cœur d’une goutte de rosée
la fusion dans le ciel.
~ Cadence de silence –
Un troupeau de papillons
Brûlant dans mon âme.
~ Dans ton éclat de simplicité
coule ma vie
toi fleur de jasmin.
~ Silence crépusculaire,
ma vie luisante
dans la première étoile de la soirée.
~ Vaisseau de silence,
Que les cires d’un coeur vide
soient plus étendues que le ciel.
~ Comme l’aube
Cajole la fleur
Votre souffle dans mon coeur
~ Silence résonnant,
La dernière voix du crépuscule
fusion des gouttes de vin dans le ciel.
~ Disparus bientôt
ces nuages mouvants,
crépuscule du silence.
~ Soleil du matin,
chaque goutte de rosée
une fleur.
insouciant le papillon
au milieu des fleurs blanches,
un nuage dans le ciel.
~ ton parfum
Avec la brise de l’aube
M’appelait à la maison
~ Mes yeux
– deux étoiles arrosées
dans la mer de ton feu.
– (tentative de traduction – interprétation : RC )
LOVE & SILENCE
Crystalline silence,
the heart a dewdrop
melting in the sky.~
Cadence of silence –
A flock of butterflies
Burning through my soul.~
In your simple glow
my life flows
you jasmine flower.~
Twilight silence,
my life shining
in the first evening star.~
Vessel of silence,
The empty heart waxes
Wider than the sky.~
As the dawn
Coaxes the flower
Your breath in my heart~
Resonant stillness,
The last voice of dusk melting
Winedrops in the sky.~
Soon to vanish
these moving clouds,
twilight silence.~
Morning sun,
every dewdrop
a flower.~
Carefree butterfly
amid the white flowers,
one cloud in the sky.~
Your scent
With the dawn breeze
Calling me home~
My eyes –
two stars doused
in the sea of Your fire.
Li-Po – Seul et buvant sous la lune
–
Seul et buvant sous la lune
Parmi les fleurs, je suis seul avec mon pichet de vin
en buvant tout seul, puis en soulevant ma tasse
J’ai demandé à la lune de boire avec moi,
son reflet et le mien dans la coupe de vin, juste nous trois ,
puis je soupire : la lune ne peut pas boire,
et mon ombre va, se vidant avec moi , sans jamais dire un mot;
N’ayant pas d’autres amis ici, je peux en utiliser deux pour me tenir compagnie
dans un moment de bonheur,
je dois aussi être être heureux avec tout le monde autour de moi,
je m’assois et chante et c’est comme si la lune m’accompagne,
puis si je danse, c’est comme si mon ombre danse avec ,
bien que je ne sois toujours pas ivre, je suis heureux
de faire de la lune et mon ombre des amis,
mais quand j’ai trop bu, nous nous séparons,
et pourtant ce sont des amis
je peux toujours compter sur ceux-ci
qui sont pourtant insensibles,
j’espère qu’un jour nous trois
nous nous retrouverons,
au plus profond dans la Voie Lactée.
–
( trad RC )
–
Alone And Drinking Under The Moon
Amongst the flowers I
am alone with my pot of wine
drinking by myself; then lifting
my cup I asked the moon
to drink with me, its reflection
and mine in the wine cup, just
the three of us; then I sigh
for the moon cannot drink,
and my shadow goes emptily along
with me never saying a word;
with no other friends here, I can
but use these two for company;
in the time of happiness, I
too must be happy with all
around me; I sit and sing
and it is as if the moon
accompanies me; then if I
dance, it is my shadow that
dances along with me; while
still not drunk, I am glad
to make the moon and my shadow
into friends, but then when
I have drunk too much, we
all part; yet these are
friends I can always count on
these who have no emotion
whatsoever; I hope that one day
we three will meet again,
deep in the Milky Way.
Constantin Simonov – Attends-moi
À Valentina Serova
Attends-moi et je reviendrai
Mais attends très fort,
Attends moi quand les pluies jaunes
Apportent la tristesse
Attends quand les neiges tournoient,
Attends quand triomphe l’été
Attends quand le passé s’oublie
Et qu’on n’ attend plus les autres.
Attends, quand de très loin
Le courrier ne vient plus.
Attends, quand sont fatigués
Ceux qui avec toi attendent.
Ne leur pardonne pas, à ceux
Qui vont trouver les mots pour dire
Qu’est venu le temps de l’oubli.
Et s’ils croient, mon fils et ma mère,
S’ils croient, que je ne suis plus,
Si les amis, las de m’attendre
Viennent s’asseoir près du feu,
A boire le vin amer
A la mémoire de mon âme…
Attends. Et ne te hâte pas
De boire avec eux.
Attends-moi et je reviendrai.
Pour faire enrager toutes les morts.
Et qui ne m’aura pas attendu
Qu’il dise : « Il a eu de la chance ».
Ceux qui ne m’ont pas attendu
D’où le comprendraient-ils, comment
En plein milieu du feu,
Par ton attente
Tu m’a sauvé.
Comment j’ai survécu, seuls toi et moi
Nous le saurons ;
C’est simple : tu as su attendre, comme personne
–
Alain Bosquet – Les seins de la reine en bois tourné

peinture: R.H. Ives Gammell, Le rêve de Shulamite, 1930
LES SEINS DE LA REINE EN BOIS TOURNÉ
Les mains de la reine enduites de saindoux
Les oreilles de la reine bouchées de coton
Dans la bouche de la reine un dentier en plâtre
Les seins de la reine en bois tourné
Et moi j’ai apporté ici ma langue chauffée par le vin
Dans ma bouche la salive qui bruit et mousse
Les seins de la reine en bois tourné
Dans la demeure de la reine un cierge jaune se fane
Dans le lit de la reine une bouillotte refroidit
Les miroirs de la reine sont recouverts d’une bâche
Dans le verre de la reine se rouille une seringue
Et moi j’ai apporté ici mon jeune ventre tendu
Mes dents offertes comme des instruments
Les seins de la reine en bois tourné
Des cheveux de la reine tombent les feuilles
Des yeux de la reine tombe une toile d’araignée
Le cœur de la reine éclaté en un sifflement sourd
Le souffle de la reine jaunit sur la vitre
Et moi j’apporte ici une colombe dans une corbeille
Tout un bouquet de ballons dorés
Des cheveux de la reine tombent les feuilles
{Alain Bosquet) (1962)

sculpture mediévale: Tilman Riemenschneider, Mary Magdalene entouée d’anges1490-95, Bayerisches Nationalmuseum, Munich
Jean–Marie Kerwich – Pour que les phrases soient ivres
–
« Pour que les phrases soient ivres, il faut que le poète ait bu un bon vin solitaire de la couleur d’un tapis d’orient noué à la main par une douce jeune fille que la méchanceté des hommes n’a pas encore violée.
La vie est terrible et pourtant le blé pousse encore, les fleurs sauvages fleurissent, elles ne peuvent s’empêcher de pardonner c’est plus fort qu’elle. »
Renée Vivien – Cri
–
Cri
–
Tes yeux bleus, à travers leurs paupières mi-closes,
Recèlent la lueur des vagues trahisons.
Le souffle violent et fourbe de ces roses
M’enivre comme un vin où dorment les poisons…
Vers l’heure où follement dansent les lucioles,
L’heure où brille à nos yeux le désir du moment,
Tu me redis en vain les flatteuses paroles…
Je te hais et je t’aime abominablement.
____________
(Études et préludes, 1901)
–
Thierry Metz – Je suis tombé
Je suis tombé
dans mes pas
jusqu’à les suivre.
Jusqu’à ne plus dormir.
Les mères étaient trop loin
et je n’avais qu’une torche
à peine pour me conduire
assez pour passer sous chaque mot.
Et seul, me consumer.
Puis j’ai fait un signe
d’au-revoir.
Il n’y en a eu qu’un pour me dire :
Oui,
tu peux sortir de la maison
nous n’avons plus de visage.
Mais moi je suis sorti avec mon visage. Je continue mon métier dans les feuilles. Sur les talus. Dans les fossés. Près des eaux. Je nettoie les bords.
Je ne fais pas une enquête. J’essaye seulement de retrouver l’assiette et le verre, le soir, sur la table.
Je n’ai rien à signaler que ce que je fais, parmi l’herbe et la ronce.
Quant à mon écriture : c’est une roue qui passe, une brouette de terre. Le reste est dans ma main. Avec la sueur.
Ici il y a plus de 36 chemins. Qui vont nulle part.
Et j’y vais à coup de faux et de trinque.
Le livre est livré au jour, à lui-même. Moi, dehors : j’éclaircis, je cingle l’ortie comme on frappe sur les eaux ; quelque chose alors est rendu au possible, au probable : une aile, une branche, un sourire. Mais comment ne pas faillir hors de ces rares instants, si simples et pourtant toujours remués ? Que vient faire ce que je suis là-dedans ?
Je ne sais pas mais je m’accorde un répit. En attendant la mêlée. Sur une souche. J’ai rassemblé mes gestes comme si c’étaient des chiens, des bâtards. Mais je suis prudent avec eux car c’est partout la faim.
Puis vient le soir, la petite heure. Le carnet est vite dépecé. Le verre de vin est bon. Le feu. Les mille et un petits gestes qui font qu’on ne fait rien.
Qu’on ne fait rien. Que le souffle ou la main n’est admis.
Enfin c’est le sommeil, le drap déplié, le château.
Tout sert d’appui autour de ce qui est à rêver, dans l’oubli. Tout sert dans ce convoi, tiré par des oiseaux. C’est le jour, c’est le ciel, c’est le bonjour d’un passant qui a servi d’appât.
Mais je ne dors pas,
je cherche le soleil.
Je me suis pris les mains dans ce que je disais.
Thierry Metz, Terre, Opales/Pleine page, 1997 ; rééd. 2000
–
Joseph Brodsky – Elégie
–
ÉLÉGIE
Ma bonne amie, c’est bien toujours le même
bistrot, le même barbouillage aux murs,
les mêmes prix… Le vin est-il meilleur?
Je ne crois pas. Non, ni meilleur ni pire.
Pas de progrès, et c’est très bien ainsi.
Seul le pilote de l’avion postal
picole, ange déchu.
Les violons
continuent de troubler, par habitude,
mon imagination.
A la fenêtre,
blancs comme la virginité, des toits.
Les cloches sonnent. Il fait déjà sombre.
Pourquoi as-tu menti?
Pourquoi mon ouïe
ne sait plus distinguer la vérité
et le mensonge, veut des mots nouveaux,
sourds, étrangers, que tu ne connais pas
mais qui ne peuvent être prononcés
que par ta voix, comme avant…
Joseph Brodsky
1968
(Traduit par Michel Aucouturier)(éditions Gallimard)
–
Branko Čegec – Syntaxe de la peau, syntaxe du clair de lune
Branko Čegec ( auteur croate) – sintaksa koze, sintaksa mjesečine
Syntaxe de la peau, syntaxe du clair de lune
Le triomphe des chiffres descend de l’écran. Je recule, impuissant et muet. Comme si j’étais renouvelé dans la philosophie tardive de la langue et du vin j’accepte tout slalom pathétique même si la fille du cadran s’est endormie dans les bras des nuits blanches et des reproches de pêcheurs d’où s’écoule visqueuse l’histoire idyllique de la littérature. L’essai , c'est ensuite le cercle imperméable des périls: de nouvelles explications parviennent pour des mots usés, pour des images éculées et des cadres de films empruntés: le grondement des avions et la poussière des souterrains sont la rencontre marquée sur ta paume humide: belle, joyeuse, docile, tu t’es glissée encore une fois dans l’odeur de ma peau, la colle solaire et sensuelle d’où il n’y a pas de retour, où personne ne se ressemble, ni qu’on trouve dans des journaux, et la reddition des papillons égarés à la fenêtre qui disparaît dans les ténèbres profondes, trop profondes. Je te dis: entre dans mon miroir et reçois-moi dans la mémoire glaciale pour que je me réchauffe, pour que je m’endorme souriant comme si j’étais l’oubli, la mer calme et Polić Kamov à la loterie de Barcelone. Je suis salué par les bateaux et les femmes pianistes aux jambes longues et aux doigts laser comme dans toute entreprise d’innovation et de mort: et seul le rythme de ton toucher gronde en stéréo, suivi par l’éclat timide de la peau au clair de lune près de la digue, au printemps, quand les vents sont encore tout jeunes, et que la nuit ne cesse pas, l’écriture non plus, en écrivant l’ellipse du l minuscule jusqu’à l’infini. 1992 d'autres textes de cet auteur sont disponibles, en français sur ce site -
Rose Ausländer – Surpris
Rose Ausländer, contemporaine, de Ingeborg Bachman, et Paul Celan, a traversé l’époque tragique des camps et ghettos.. cet écrit est une « surprise », plus sereine…
Rose Ausländer – Verwundert
Surpris
Quand la table sent bon le pain fraises le vin cristal pense à l’étendue de fumée fumée sans figure Pas encore quittée la robe du ghetto nous sommes assis à la table qui sent bon surpris d’être assis ici ------ Traduction: François Mathieu -
Verwundert
Wenn der Tisch nach Brot duftet Erdbeeren der Wein Kristall denkt an den Raum aus Rauch Rauch ohne Gestalt Noch nicht abgestreift das Ghettokleid sitzen wir um den duftenden Tisch verwundert daß wir hier sitzen
© Fischer Taschenbuch Verlag, Frankfurt am Main
Écrit en: 1956
–
on peut trouver également un recueil paru aux éditions lebousquetlabarthe
Saints voyageurs et dive bouteille (RC)
J’ai mis tous ces saints
Dans un litron d’vin
Grand crû, St Emilion
De bonnes sensations
Les saints voyageurs
Etaient bons mangeurs
Se r’trouvant souvent
Au petit restaurant
La dernière station
Avant l’purgatoire
Faut servir à boire
Et faire dégustation !
———————–
Avec pour départ, JoBougon , dans ses saints voyageurs
Et pour rappel, l’expression Dive Bouteiille, nous vient de Rabelais, voir le lien:
peinture: G Braque : nature morte à la bouteille et la langouste