Peter Kràl – Longueur des après-midi

Un claquement de porte de loin en loin
entrouvre dans l’hôtel une parenthèse de plus
derrière une chambre où le téléphone s’acharne à sonner
s’en taisent inoccupées deux autres
le frottement de deux pieds dans le couloir
s’approche du tâtonnement d’une main sur une poignée
le musclé fit descendre au fitness les jambes en short
la starlette dans le hall disparut derrière les disques noirs
de ses super-lunettes la main soignée continue d’éventer
d’une carte de crédit le précieux laidron canin
dans la distante mémoire familiale ils chaviraient
un par un comme des quilles insonores une Agnès
ou un Guillaume inconnus çà et là remplirent l’intervalle
entre deux François
des mains de virtuose pas plus qu´un œil d’expert
ne protégeaient contre la piqûre d’un dard de démence
du fond du couloir part en inspection un curé
ou un chef de clinique avec sa suite
de l’ascenseur débarque à l’étage un trône vide
Francis Ponge – Le feu
(…) LE FEU n’est que la singerie ici-bas du soleil.
Sa représentation, accrue en intensité
et en grimaces,
réduite quant à l’espace et au temps.
Le feu, comme le singe, est un virtuose.
Il s’accroche et gesticule dans les branches.
Mais le spectacle en est rapide. Et l’acteur ne survit pas longtemps
à son théâtre,
qui s’écroule brusquement en cendres
un instant seulement avant le dernier geste,
le dernier cri. (…)
F P :Le soleil toupie à fouetter, III » in « Pièces
Theo Léger – Le courtisan

photo extraite du film « Ridicule »
-LE COURTISAN
Pareil à la sculpture indispensable aux palais
à l’architecture d’une salle de bal
Virtuose des redoutes, Cicérone des alcôves de la cour,
tel le voilà! si léger qu’il tourne à tout vent.
Il s’exerce à la danse : art très utile
Aux temps du carnaval
d’un tour de valse il fait tomber dans la disgrâce
des tribus tout entières.
Rompu aux méandres du jeu,
il suffit qu’au moment juste
un nom lui tombe des lèvres entre deux airs,
avant que sa main ne marque la nouvelle cadence
un bouquet de têtes ennemies
déjà s’est fané aux potences.
Il est tout agilité, mémoires de balcons secrets,
d’un toucher de prophète si parfait
qu’en te serrant la main
il connaîtra ta place au banquet de l’an prochain.
Il peut si nécessaire (on ne soupçonne les amoureux)
s’éprendre d’une Juliette
traînant tête vide une clameur de ragots
qui lui dira le temps précis d’abandonner des murs branlants
et d’attendre que pâlissent les traces de sang.
Puis, à l’heure où les maîtres nouveaux regardent
écœurés d’ail, obèses de choucroute, nostalgiques
l’île déserte d’un morne trône, le revoilà!
–
{Théo Léger) (1963)
Théo Léger – Le courtisan
–
LE COURTISAN
Pareil à la sculpture indispensable aux palais
à l’architecture d’une salle de bal
Virtuose des redoutes,
Cicérone des alcôves de la cour,
tel le voilà! si léger qu’il tourne à tout vent.
Il s’exerce à la danse : art très utile
Aux temps du carnaval
d’un tour de valse il fait tomber dans la disgrâce
des tribus tout entières.
Rompu aux méandres du jeu, il suffit qu’au moment juste
un nom lui tombe des lèvres entre deux airs,
avant que sa main ne marque la nouvelle cadence
un bouquet de têtes ennemies
déjà s’est fané aux potences.
Il est tout agilité, mémoires de balcons secrets,
d’un toucher de prophète si parfait
qu’en te serrant la main
il connaîtra ta place au banquet de l’an prochain.
Il peut si nécessaire (on ne soupçonne les amoureux)
s’éprendre d’une Juliette
traînant tête vide une clameur de ragots
qui lui dira le temps précis d’abandonner des murs branlants
et d’attendre que pâlissent les traces de sang.
Puis, à l’heure où les maîtres nouveaux regardent
écœurés d’ail, obèses de choucroute, nostalgiques
l’île déserte d’un morne trône, le revoilà!
{Théo Léger) (1963)
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