Sous les étoiles liquides – ( RC )
- variation sur « Ondine » de Gaspard de la Nuit de Aloysius Bertrand

En ton palais fluide,
ta robe de moire
s’orne d’ocelles:
que forment , au fond du lac ,
les ombres frêles des poissons.
Le chemin qui mène à ta demeure
serpente au gré des courants :
c’est un sentier changeant ,
bien oublieux
d’une terre qui se meurt.
De mornes rayons de lune
caressent en nuances de bleu
le balcon de ta nuit étoilée :
éclats de rires diffus
des losanges de ta fenêtre.
Verras-tu mon visage
se penchant sur l’eau ,
à contre-jour
à travers ces vitraux
dont tu ignores les contours ?
Pleureras-tu des larmes de sel
– giboulées légères ;
toi, mortelle emmurée
dans ce temple maudit
au lointain de ton continent englouti ?
Philippe Delaveau – Instants d’éternité faillible
Ignorant que tes hautes étoiles
avaient tremblé leur dû.
Pas un autre sanglot. Pas une brise
pour effleurer les branches,
susciter la présence des prés et des collines.
Avec courage tes lampes dans la tempête
auront lutté comme là-bas hublots et feux
du vaisseau qui oscille, se couche et sombre
fort de sa morgue et de ses cheminées.
Maintenant si je me tourne vers l’arrière
c’est pour te voir périr dans le brouillard
avec ma vie, sans un reproche.
J’aimais ces maisons qui m’ont quitté
et ces vignes qui tordaient les poignets
maigres de la douleur. La hache
qui tout à coup tranche le nœud de cordes
est plus aiguë que le croc du lion.
Aussi intraitable fut à l’entrée du désert Alexandre,
qui ignorait doute et détresse. Mais mon empire,
je le construis en soustrayant, en dispersant
les ombres et les morts.
Bientôt j’ausculterai les lignes
gravées sur la cire des paumes
pour réfuter l’arrêt sévère des destins.
Rivières et forêts, vitraux et pierres,
écoles et maisons, les sons ancrés aux souvenirs
avaient donné très tôt l’exemple.
Les oiseaux libres nous quittent dès l’automne
pour de lointains soleils que rien ne saurait abolir.
Seuls les visages sont restés dans le cadre des noms
– des cadres propres, certes, mais sans dorure.
(Infinis brefs avec leurs ombres).
Jan Slauerhoff – le royaume interdit
…il s’entêta et se retrouva tout à coup devant un large escalier dominé par la façade rigide de la cathédrale ; tout en haut, perçant le ciel grisâtre de la nuit, la croix noire.
Il monta d’un pas lent l’escalier, tête baissée afin de veiller à ne pas trébucher : les marches étaient lisses et désagrégées. Quand il sentit qu’il n’y en avait plus, il leva les yeux : il venait de poser les pieds sur le parvis, le front de l’église était noir, semblable à une imposante pierre tombale verticale ; aucune lumière ne filtrait par les vitraux.
Il savait que derrière cette surface inerte se cachait une chose horrible ; impossible de faire demi-tour, l’escalier semblait s’être effondré derrière lui ; sous la menace de ce gouffre béant, il avança, étourdi, à grandes enjambées, vers la cathédrale.
J. Slauerhoff, Le Royaume interdit, trad. Daniel Cunin, Circé, 2009
Promesses des couleurs ( RC)
Peinture Fr Kupka – étude pour une fugue à deux couleurs ( disques de Newton ) 1911 –
–
Promesse de la profondeur des cieux,
J’ai dans les mains un bleu profond,
Qui, au parcours des étoiles, serait plafond
Ou bien , dans le soir du désert, …. un feu
–
Aux alentours, pas une âme qui vive,
Juste sur les pierres, des lézards,
Statues à l’oeil qui brille, sous le bleu Hoggar,
Un point de lumière entre deux rives…
–
Promesse de la profondeur des eaux,
– Couleurs des antipodes,
J’ai dans les mains un vert émeraude,
Balancé, roulis des bateaux.
–
Aux alentours, bercé de vagues légères,
Evoluant vers un milieu plus stable,
Les tortues, se dirigent vers le sable,
Quand émergent au loin, les terres.
–
Promesses de l’agriculture,
Dans les plaines immenses,
Le printemps, est tout en nuances,
Et prépare l’été des blés mûrs
–
Aux alentours, la floraison des fruitiers
Cache presque entièrement les terres brunes,
Il y aura cette année beaucoup de prunes,
Pour les piller, les oiseaux ne se feront pas prier…
–
Promesse de la caresse de l’été,
Le jaune de Naples, s’étend sur les plages,
En quittant la chaise longue, je nage,
Aussi dans la lumière, reflétée.
–
Aux alentours, l’horizon s’effile,
Les bateaux des pêcheurs, sont peints en rouge,
On les voit au loin lentement, qui bougent,
Carmins, et vermillons. – ils passent, entre les îles.
–
Promesse d’un jour limpide,
Je traverse une place des odeurs,
C’est le marché aux fleurs,
Ignorant les teintes insipides,
–
Aux alentours, des légumes candides,
Ajustés en grand nombre,
Célèbrent les verts des concombres,
Et les citrons aux jaunes acides.
–
Promesse du parcours des anges,
Les crayons des vitraux se dégrisent,
Au sol dallé, ou sur les piliers de l’église,
En associant bleus outremers, et oranges.
–
Aux alentours, dorures et peintures blanches,
Baroque et rococo, multiplient les ors,
Où papillonnent moulures et décors,
Pour la messe des couleurs, c’est aussi dimanche.
–
Anges ou démons si la lumière s’éteint
( …..on ne parlera pas du noir,
C’est , à ce qu’on dit, pour le purgatoire, )
– Méfions nous des « on dit », sur la toile il n’y aurait plus rien…
–
J’ignore ces êtres pourvus d’ailettes,
Porteurs d’auréoles ou de maléfice,
Jouant des feux d’enfer ou d’artifice
Comme je préfère sortir et peintures et palette .
–
– RC – 19 septembre 2013
–

photo perso: Hyeres, Collegiale St Paul, couleurs de vitrail au sol + ombre d’ Arthémisia – 2011
–
texte auquel je pourrais adjoindre celui-ci ( d’abord dans sa langue originale, le corse):
François Viangalli : Densité brève
U culore nasce incù u lume :
ch’ellu si cambii u lume,
s’alteranu i culori.
Postu chì ùn ci sὸ paesi
chì t’abbianu listesa polvera.
Ùn si pὸ parte da qualsiasi locu
senza mutà se stessu,
corpu è anima :
facenu l’ochji l’esiliu primu.
La couleur naît de la lumière :
que la lumière change,
les couleurs s’altèrent.
Comme il n’est de pays
qui soient jumeaux,
qui portent la même poussière.
On ne peut quitter un lieu,
sans se changer soi-même,
corps et âme :
c’est le regard qui crée
le premier exil.
–
Bluma Finkelstein – Sous les voûtes d’une cathédrale
–
Sous les voûtes d’une cathédrale, une étoile filante se laisse prendre aux fils d’une araignée :
de très bas on imagine l’histoire du ciel comme un conte de fées. Un défaut de perspective.
Les vitraux dessinent sur le plafond un paradis de lumières : ici, même en l’absence de Dieu,
on se mettrait à croire. On voudrait tellement…
Demain, le front couvert de cendres, tu iras tremper tes doigts dans le bénitier.
Comme si tout était vrai
Bluma Finkelstein – Mare Nostrum – édition en forêt – 2008
Venise déserte en sa nuit tiède ( RC )
–
D’anciennes façades décrépies, sont comme tachées,
Une végétation touffue croise ses bras verts pour cacher
Une grille que nul , depuis longtemps, n’a fréquentée,
Scellée par la rouille, – et dont personne n’a la clef
La fontaine est muette, l’eau ne chante plus sous le tilleul,
La vasque est presque remplie de feuilles en deuil,
Et de papiers, qui se soulèvent avec le vent
La place, désertée par l’été et les gens
On ne comprend pas où mènent ces escaliers
Qui s’élancent, puis, s’arrêtent par paliers
Vers une tour en partie détruite
Et que plus personne n’habite
La nuit est tombée, accompagnée par la lune
L’humidité s’étale, de la proche lagune
Le satellite, se double d’un halo
Qui se mire dans les flots
Du canal, aux reflets de vagues molles
Venant lécher de noires gondoles
Echouées, là, de biais, elles ont perdu leur emphase
Embarcations envahies par la vase…
De pâles lueurs tremblotent derrière les vitraux de l’église
Dans ce quartier un peu à l’écart, de Venise,
De briques et de marbres, les palais ont les pieds fourbus
Les murs qui s’écaillent, disent un prestige déchu.
La madone sculptée, au nez rongé, est toujours dans sa niche
Une fenêtre bouchée effeuille d’anciennes affiches
Indiquant des saisons passées les fêtes du Grand canal
Paillettes, danses et masques du carnaval…
Tout est silence à part une gerbe d’étincelles….
> D’une radio lointaine, parvient une tarentelle,
Et la brise déplace doucement ses voiles,
Dans un ciel de velours piqueté d’étoiles.
Où se traînent paresseusement quelques nuages
Dont le zodiaque ne prend pas ombrage
Même pas le verseau et Ganymède
– Toujours brillants dans la nuit tiède.
–
RC – 7 juillet 2012

photo Olimpo
–