Colette Daviles-Estinès – le poème de papier,

Le poète distribuait des poèmes de papier
avec des mots d’encre dessus
et de la joie, et de la peine
dedans les mots
du désespoir, des espoirs
des questions, de la colère
jamais de réponse mais des doutes
Il y avait du passé dedans
et des errances
et du vivant
Il voulait que ses mots ouvrent des chemins
que ses poèmes soient des clefs
dans la serrure des cerveaux
en faire des grenades de soleil
Dégoupiller le soleil
et BOUM sur les frontières
Mais c’est un poème de papier
qu’un passant a jeté par terre
après avoir froissé les mots
dans sa main
J’ai ramassé le poème de papier
l’encre, l’espoir
et le vivant
Défroisser les mots
Etre le cœur qui bat
dans la voix qui les porte
Colette Daviles Estines
Carl Norac – prière pour le soldat Kostrowitzky

la mort me suit parfois et je lui dis
patiente
je n’ai pas encore mis
de mots sous les cailloux
j’écris « je suis vivant »
tout en fermant les yeux
la mort me suit parfois et je lui dis
patiente
tous les matins je suis vieux mais les soirs
je m’enfante laisse-moi jouer un peu
dans la cour des grandes ombres
patiente ô sage mort
écoute si ténu
le bruit de l’encre bue
sur cette page
et puis dors
Zao-Wou-ki – Peindre, toujours

Peindre, peindre, toujours peindre, encore peindre le mieux possible,
le vide et le plein, le léger et le dense, le vivant et le souffle
Miquel Marti I Pol – je me déclare vaincu

Je me déclare vaincu. Les années qu’il me reste
Je les vivrai dans un sourd malaise. Chaque matin
J’effeuillerai une rose – la même –
Et avec une encre évanescente, j’écrirai un vers
Décadent et nostalgique à chaque pétale.
Je vous lègue mon ombre pour testament :
C’est ce que j’ai de plus durable et solide,
Et les quatre bouts de monde sans angoisse
Que j’invente chaque jour avec le regard.
Quand je mourrai, creusez un trou profond
Et enterrez-moi debout, face au midi,
Que le soleil, en sortant, allume le fond de mes yeux.
Ainsi les gens en me voyant exclameront:
– Regardez, un mort au regard vivant.
Traduit par Ricard Ripoll
Lié à la transparence – ( RC )
C’était comme un cauchemar,
car , au sortir d’un songe
je n’avais plus de visage,
comme le disait le miroir :
j’en avais perdu l’usage,
peut-être la glace renvoyait-elle un mensonge…
derrière moi – que du noir…
– ce qui est difficile à décrire…
c’est ainsi que l’on pense reconnaître
le plus commun des vampires
– n’arborant même pas une tête de mort…
or, j’étais vivant – et sûr de l’être
mais par un coup du sort
je n’avais plus d’apparence…
une vision un peu fantasque,
liée à la transparence :
j’ai dû me composer un masque,
copié sur un homologue :
une figure de cire
trouvée dans un catalogue :
histoire d’appartenir
à l’humanité ordinaire
que l’on croise d’habitude
sous toutes latitudes,
tous se donnant des airs
d’être eux même ..
mais comme savoir
si c’est un stratagème
donnant autre chose à voir
qu’ un vide habité:
quelqu’un définitivement effacé
qu’il a fallu remplacer
par une autre personnalité…
–
RC – nov 2016
Perfections et symétries – ( RC )
Tu mesures les formes parfaites,
où tous les côtés se répondent,
et obéissent aux mesures identiques .
Ainsi le constructeur tend vers l’utopie
de la vision où la mathématique
prend le dessus de la vie .
Les rosaces des cathédrales,
tournent en mouvements figés ,
aux soleils fractionnés,
Les mosaïques aux jeux complexes,
zelliges enchevêtrés
excluent l’humain dans le décoratif.
Des palais imposants,
forçant la symétrie,
se mirent à l’identique
avec le double inversé,
du bavardage pompeux
des images de l’eau .
Se multiplie la dictature
de la géométrie des formes
répondant à leur abstraction ,
comme des planètes qui seraient
cuirassées dans une sphère lisse
d’où rien ne dépasse.
… Des formes si lisses,
voulues à tout prix,
qu’elles génèrent l’ennui
excluant la fantaisie
le désordre
et le bruit.
Les formes parfaites
s’ignorent entre elles
définitives, excluant la vie
comme des pièces de musée,
pierres précieuses,
diamants de l’inutile
dont finalement
la froid dessin, clos sur lui-même
finit par encombrer .
Dans le passé, on ajoutait
à un visage de femme trop régulier
un grain de beauté, une mouche,
quelque chose pour lui apporter
une différence, un cachet
sa personnalisation, un « plus » de charme
une irrégularité, une surprise,
portant dans son accomplissement
la griffure du vivant
Elle se démarque du cercle fermé
de la beauté idéalisée par quelque chose
contredisant la perfection
Celle-ci demeure une vue de l’esprit,
bien trop lointaine
pour qu’on puisse s’en saisir.
–
RC – août 2016
Edouard Glissant – L’arbre mort et vivant

photo : Karine Granger, voir son site
L’arbre mort et vivant
–
Toute une nuit au bord de l’horizon
Il te cherchait, n’osant clamer par-dessus l’or
Si tu criais parmi les oiseaux morts
Si tu donnais la voix pour les peuples
Ou si muette tu venais dans l’épaisseur des vitres.
Il se tenait près de la nuit parmi les arbres
Il se levait dans son aurore et mort
Il chérissait tant d’ombre il déhalait ce bruit
Et te seyait, toi pure aux mains de qui poussaient
Les laves de minuit en l’arbre contemplées.
Il se tenait devant la nuit
Entretenu d’un vent de glace
Et se levaient les aigles sans cité
Mendiants dévolus qui lavaient l’horizon.
Edouard Glissant
L’art et notre conscience, au musée (RC)

installation; Joseph Kosuth | Critique | Du phénomène de la bibiothèque | Paris 3e
L’art au musée
Puisqu’il est écrit quelque part que justement on s’y connaît , et sur l’art ,et,en dévotion.
Avec le sublime, avec le précieux, avec l’unique…
Nous sommes toujours prompts à baisser la tête, à dire merci, à demander qu’on nous accorde un peu de culture.
Et cette culture qu’on additionne contre nous-même, contre la nôtre, contre celle de tous les jours.
Celle qu’on ne voit pas, car justement en dehors de l’enceinte sacrée…
On naît domestique et soumis à la dévotion officielle, et si on n’y prend pas garde on meurt pareil, en ayant négligé le vivant autour de nous.
Qui porte autant de valeur, ——– parce que vivant, ——— justement.
–
librement inspiré du texte de Robert Piccamiglio, cité plus bas « dévotion » extrait de « on a affaire à l’existence » ( Robert Piccamiglio , qui a fait l’objet de plusieurs parutions de ma part, notamment « Midlands » voir par exemple l’« épisode 3 », )
et qui figure aussi dans « A la Dérive »- voir le blog très renseigné de Anne-Françoise ‘ de seuil en seuil’
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— ( à noter que l’image de l’installation de J Kosuth choisie ( critique du phénomène de la bibliothèque ) , relatée par cet article de 2006,
reprend presque parallèlement les gestes de Marcel Duchamp, ( les ready-made )
sauf que celui-ci critiquait l’institution du musée, un siècle plus tôt )… (Cherchez la nouveauté avec les conceptuels)…
RC- le 3 mars 2012
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Dévotion
de dévotion puisqu’il est écrit quelque part que justement on s’y connaît en dévotion. Avec Dieu, avec les hommes,
femmes et les musées. Toujours prompts à baisser la tête, à dire merci, à demander qu’on nous accorde un petit pardon. La dévotion d’une guerre qu’on mène contre nous-mêmes, ça coûte cher. C’est calibré dans nos têtes. On naît domestique et si on n’y prend pas garde on meurt pareil.
Marina Tsvetaieva- Non au siècle
Mon siècle.
Je donne ma démission.
Je ne conviens pas et j’en suis fîère !
Même seule parmi tous les vivants,
Je dirai non ! Non au siècle.
Mais je ne suis pas seule, derrière moi
Ils sont des milliers, des myriades
D’âmes, comme moi, solitaires.
Pas de souci pour le poète,
Le siècle
Va-t-en, bruit !
Ouste, va au diable, – tonnerre !
De ce siècle, moi, je n’ai cure, ,
Ni d’un temps qui n’est pas le mien. ^’
Sans souci pour les ancêtres,
Le siècle !
Ouste, allez, descendants – des troupeaux.
Siècle honni, mon malheur, mon poison
Siècle – diable, siècle ennemi, mon enfer.
1934
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