Susanne Dereve – Offrande
nécropole rupestre – Abbaye de St Roman – Gard
De charogne ou de cendre le jour où Elle viendra
choisissez un bon bois de chêne, lisse au toucher, robuste et clair,
gardez-moi des vaines offrandes,
ces urnes que les us épandent en sombres paraboles abandonnées au vent,
aux rumeurs infécondes et sourdes du levant
et qu’un bras malhabile se devrait de répandre au-delà du silence
comme on boit le calice âcre de la souffrance
De charogne ou de cendre le jour où Elle viendra
choisissez un carré de terre,
de ce terreau qu’égrainera la pelle d’un ton clair
il faut du temps il faut des fleurs pour oublier
il faut ce marbre uni où poser des œillets
l’herme aux lueurs du soir est plus doux au malheur que ces brumes d’errance le vent a-t-il jamais séché les larmes de douleur
De cendre ou de poussière lorsque le temps viendra
choisissez un bon bois de chêne lisse au toucher, robuste et clair
et dans ce vieux pays de Rance enterrez-moi près de mon père.
–
suivi de ma « réponse »
Quel que soit le carré de terre,
que des pelles viendront blesser
la pierre ou le marbre,
l’ombre des cyprès,
les noeuds de leurs racines,
auprès de toi,
Quel que soit le vent,
qui répandra les cendres,
comme autant de paroles vaines,
et aussi les fleurs
qui meurent, de même,
dans leur vase,
Il y aura un temps pour oublier,
lorsque les mousses
auront reconquis la pierre gravée,
les pluies effacé les lettres :
– même la douleur
ne peut prétendre à l’éternité .
Que l’on enterre une princesse
avec ses bijoux,
et toutes ses parures,
ne la fait pas voyager plus vite
sur le bateau
de l’au-delà…
Ce qu’il en reste
après quelques siècles :
> quelques offrandes,
et des os blanchis
ne nous rendent pas sa parole
et le ton de sa voix.
A se dissoudre complètement
dans l’infini,
c’est encore modestie :
– On pourra dire « elle a été » -,
mais le temps du souvenir,
se porte seulement dans le coeur des vivants .
–
RC
:
Marie-Madeleine Machet – la fête du monde
peinture : P Bruegel le jeune
Tous les printemps aujourd’hui sont éclos
Mille ans d’espoir entr’ouvrent leurs paupières
Mille ans pour le bonheur de sèves éclatées
à la fontaine où s’épuise l’hiver,
Le jour ondoie et lustre
les vivants nouveau-nés.
La fête est commencée.
Le monde-roi danse avec la lumière
s’enivre de soleil.
Les fleurs animent leurs couleurs
les vents soufflent sur la terre
les nourritures du ciel.
Hâte-toi, c’est ton tour
pour le bonheur qui passe.
La fête est commencée pour toujours
mais toi, c’est ton instant,le seul.
Marie-Madeleine MACHET « Les Fêtes du monde »(éd. Seghers)
Roberto Bolaño – Sale, mal vêtu
J’étais malade, certes, mais j’étais vivant.
En el camino de los perros mi alma encontró
a mi corazón. Destrozado, pero vivo,
sucio, mal vestido y lleno de amor.
En el camino de los perros, allí donde no quiere ir nadie.
Un camino que sólo recorren los poetas
cuando ya no les queda nada por hacer.
¡Pero yo tenía tantas cosas que hacer todavía!
Y sin embargo allí estaba: haciéndome matar
por las hormigas rojas y también
por las hormigas negras, recorriendo las aldeas
vacías: el espanto que se elevaba
hasta tocar las estrellas.
Un chileno educado en México lo puede soportar todo,
pensaba, pero no era verdad.
Por las noches mi corazón lloraba. El río del ser, decían
unos labios afiebrados que luego descubrí eran los míos,
el río del ser, el río del ser, el éxtasis
que se pliega en la ribera de estas aldeas abandonadas.
Sumulistas y teólogos, adivinadores
y salteadores de caminos emergieron
como realidades acuáticas en medio de una realidad metálica.
Sólo la fiebre y la poesía provocan visiones.
Sólo el amor y la memoria.
No estos caminos ni estas llanuras.
No estos laberintos.
Hasta que por fin mi alma encontró a mi corazón.
Estaba enfermo, es cierto, pero estaba vivo.
Il est des paroles précieuses ( RC )

installation: Michael Heizer
–
Il est des paroles précieuses,
De celles qui dessinent un contour inoubliable
A travers l’air, à travers l’espace d’une page.
Il est des voix, qui traversent les époques,
Marquent la peau des mots
De la couleur des choses précieuses,
Et qu’il serait inutile de taire, d’enfermer dans une boîte,
Et de soustraire au monde,
Comme celui qui enfouit son or, sous la terre.
Celle-ci a beau garder ses secrets,
Sous l’épaisseur nourricière, parcourue de racines,
On y trouve quelquefois des bijoux, et quelques pièces,
Mais surtout des cadavres, qu’il est plus décent
De cacher aux yeux des vivants,
Et de cacher aussi les crimes, des mêmes vivants,
En attendant l’oubli, – à défaut de pardon
Et le retour à la terre…
Sous elle, – beaucoup de silence,
De la glaise collante et des pierres lourdes,,
Mais , des pensées et des voix, point ;
– Elles ont besoin des vivants
Pour continuer leur course,
De bouche en oreilles, d’écriture en lecture,
– De pensées en pensées, comme ricochant
Sans s’arrêter sur un fleuve devenu très large,
Que chacun alimente, à sa façon.
Il est des paroles précieuses,
Marquées de la peau des mots,
Qui coulent de source
Et leur couleur importe aussi , peu,
Sans jamais les enfouir
Dans son corps
Ou au creux de la terre.
— > Il suffit de les écouter.
–
RC – 22 avril 2013
–
écrit en relation avec un texte précédent:
–
La victoire de Samothrace (RC)
Samothrace envahit l’espace.
Les ailes immenses déployées, fougueuse
outrepassant la pierre, moulant l’empreinte des siècles.
Pas d’oiseau, pas de bec
Elle est absolu, ailes sont majestueuses,
elle n’a que faire de sa tête
Cela ne dépare pas sa silhouette
Elle est transe., élégance..
Immense.
Elle plane sur mon passé.
Sur celui des vivants, des trépassés.
Envolée, presque échappée des mains
D’un sculpteur anonyme —– hier, c’était demain
D’un espoir sublimant le voyage.
Il n’y a pas d’otage, ni de mise en cage.
Pas de captivité,
Juste le chant de la liberté.
- la victoire de Samothrace, musée du Louvre, Paris