Jacques Mer – L’inexorable ( extrait )

dessin Martin Beek – msée d’histoire naturelle d’ Oxford
Ô Federico
Dix mille tonnes de silence pèsent sur ta poitrine
Ta vie un désert de feu signé d’absence
Tes regards remontent les foudres à la renverse
Métropolis de songe et de sang
Regards tournant à mille tours minute
Sous le couperet de l’angoisse
Visage comme on crie au feu
Ton corps est transparent d’attente
Torrentiel tocsin de secondes
L’instant éclate soudain comme un œuf
De fous tunnels de clameurs percent ta chair
Et le ciel se lève tout droit en criant
Ton épaule par où tu t’appuyais aux autres
Fraternel
Soudain tombe de toute la hauteur des astres Le monde explose
O Federico
la tête est lourde comme un monde
Cernes des yeux défaits en des typhons d’éléments seuls
Regards à l’intérieur dévoré
ton sang comme une substance de totale douleur
ciircule à travers tes veines
Musclées encore du fou effort de vivre
Et l’horreur court tout le long de ton visage
Comme une grande phrase sans point ni virgule
Ton corps n’est plus attaché qu’à l’extrémité en feu de l’existence
Souvenirs lessive de cris nus Arrachée à l’orage muet du cœur
O Federico que tu es seul dans ta mort
Personne pour t’accompagner pinçant le cœur fou des guitares
Pas même le vent bleu musicien
O mort perdu dans des déserts de fin du monde
Mort qui erres par les territoires de l’impossible
Sous de cruels vocables de glace
Des voyelles de soleil pétrifié
Tu remontes comme un aboiement le long du temps
Les frontières chancellent se descellent
Autour de toi tu sens déjà le gouffre vertigineux de la matière
L’immense rumeur d’océan du règne minéral
Tes pensées lentes fougères arborescentes du néant
Sont prises de douceurs terribles et pures
O mort déjà engagé à mi-corps sous les arcanes de l’éternité
Visage désormais dans sa vérité première
Débarrassé de l’instant et du cri
Visage pris soudain de la folle unité de l’eau
O Federico tu ne connais plus du monde
Que les forces inversement proportionnelles
A l’illimité de ton amour
O Federico
Voyageur des espaces de la mort
Avec mille ponts coupés derrière toi
Et dérivant
L’espoir est à telle distance
Que chaque geste s’annule dans la vanité même de tout
[effort
O Federico la mort est désormais en toi
Comme une rivière qui coule sans eau un oiseau
Qui vole sans ailes
Comme un carrefour de femmes
Qui crient sans voix dans le vent
La distance devient immense entre tes yeux
Où l’on pourrait faire tourner les mondes
curieusement on ne trouve rien sur le net sur cet auteur…
Xavier Bordes – gravité folâtre

Vaillance du papillon dévoué à la rose
en dépit de ce monde qui depuis des âges
n’est plus un jardin
. Écoute le frôlement,
le froissement soyeux, mystérieux des années,
en organza de soleils à la moire fanée
Malgré le ciel – brûlant et glacé tour à tour –
elles ruissellent réfractaires aux ténèbres
comme à la lumière
. Telles ces fenêtres
en lesquelles s’éteint la fleur rouge du soir
indéfiniment au même instant où dans nos veines
le sang chasse le sang en réglant les secondes
sur le pas de l’inéluctable avenir
. Celui qui pétrifie
en une même inanité l’aimer le vivre et le mourir
Hélène Cadou – Bonheur du jour

photo Ellen Hoverkamp
Je sais que tu m’as inventée
Que je suis née de ton regard
Toi qui donnais lumière aux arbres
Mais depuis que tu m’as quittée
Pour un sommeil qui te dévore
Je m’applique à te redonner
Dans le nid tremblant de mes mains
Une part de jour assez douce
Pour t’obliger à vivre encore.
Carl Norac – Chansons pour Robert Walser 2

J’écris sur des bandes de papier dit-il
je n’enfile pas les perles toute parole digitale
le passé rôde où on l’enterre il y a
des visages à compter des cibles à contenter
je viens gâcher mes yeux en signes minuscules qui me lira tombera
sur la paroi d’un grain de sable
( Walser ainsi va au clocher
au merle à l’arbre à la rivière
il a perdu cent noms cachés
sait comment peser sur la terre
les ailes sont pour les passants
et lui ne passant plus vraiment il écrit à défaut de vivre )
Jorge Luis Borges – instants

photographe non identifié « moon 3 »
Instants
Si je pouvais de nouveau vivre ma vie,
dans la prochaine je tâcherais de commettre plus d’erreurs.
Je ne chercherais pas à être aussi parfait, je me relaxerais plus.
Je serais plus bête que je ne l’ai été,
en fait je prendrais très peu de choses au sérieux.
Je mènerais une vie moins hygiénique.
Je courrais plus de risques,
je voyagerais plus,
je contemplerais plus de crépuscules,
j’escaladerais plus de montagnes, je nagerais dans plus de rivières.
J’irais dans plus de lieux où je ne suis jamais allé,
je mangerais plus de crèmes glacées et moins de fèves,
j’aurais plus de problèmes réels et moins d’imaginaires.
J’ai été, moi, l’une de ces personnes qui vivent sagement
et pleinement chaque minute de leur vie ;
bien sûr, j’ai eu des moments de joie.
Mais si je pouvais revenir en arrière, j’essaierais
de n’avoir que de bons moments.
Au cas où vous ne le sauriez pas, c’est de cela qu’est faite la vie,
seulement de moments ; ne laisse pas le présent t’échapper.
J’étais, moi, de ceux qui jamais
ne se déplacent sans un thermomètre,
un bol d’eau chaude,
un parapluie et un parachute ;
si je pouvais revivre ma vie, je voyagerais plus léger.
Si je pouvais revivre ma vie
je commencerais d’aller pieds nus au début
du printemps
et pieds nus je continuerais jusqu’au bout de l’automne.
Je ferais plus de tours de manège,
je contemplerais plus d’aurores,
et je jouerais avec plus d’enfants,
si j’avais encore une fois la vie devant moi.
Mais voyez-vous, j’ai 85 ans…
et je sais que je me meurs.
.
.
.
.
.
.
.
Un chaos au plus près – ( RC )

– image d’actualité ( Congo) site dw.de
–
Si c’est un homme,
Alors, laisse le marcher,
Et garder tête haute,
Sous le soleil,
De son pays,
Sans pour autant,
Lui faire respirer
La haine et l’envie.
–
Les lumières artificielles,
Des écrans et néons ;
Une civilisation,
Où des hommes de néant,
Commercent le droit de vivre,
Si seulement trouver à se nourrir,
Au delà de la poussière
D’un soleil retiré, reste possible.
–
Au lendemain de l’émeute,
Les boîtes de médicaments,
Vidées, – concentrés de richesse ,
Les pharmacies pillées
Et eux, avalés comme des bonbons,
… Les dollars eux-même,
Ne sont pas plus comestibles…
Que le sourire du bourreau.
–
Avec ceux qui n’ont rien,
Et n’auront jamais rien,
Que la faim au ventre,
Générant des hordes,
D’ enfants soldats,
Le pays cerné
Par sa propre misère.
A défaut d’avenir.
–
( en rapport avec « white material », film de Claire Denis )
–
RC – août 2014
La cathédrale – ( RC )
–
Croise les mains au-dessus du cœur,
Il faut protéger le feu,
Et des orages et des brisures,
Une cathédrale de chair, où même
Les mots n’ont plus de prise,
Assoupis à la naissance des eaux .
Seule s’élève la musique,
Entre les doigts des voûtes,
Avant qu’elle ne retombe,
Et tienne à distance,
Toute la cacophonie du monde,
Où les bruits se heurtent.
Il y a si peu de temps à vivre.
–
RC- juillet 2014
Annie Leclerc – Eloge de la nage

peinture : David Hockney
Nager veut que l’on creuse davantage le lit de la rivière, qu’on en favorise le passage, qu’on en élargisse le cours,
Nager veut accroître la conscience de la conscience de l’eau.
Nager cherche de tous ses membres bien étirés à augmenter la joie menue de nager.
Au fond nager cherche à nager. A rejoindre la rivière, étant rivière déjà, cherchant à se joindre elle-même, à se connaître, à se fondre en évidence de soi.
C’est ainsi qu’elle y va, qu’elle y court.
La rivière n’en finit pas de rejoindre la rivière.
Ainsi nager sert au poème qui sert à nager qui sert au poème qui sert à vivre.
Autrement dit, à aimer, autrement dit à mourir.
–
Très-haut et Très bas ( RC )
Le Très-Haut nous dicte ici-bas
le poème de vivre,
Comme nous sommes encore des élèves
Courbés sous la dictée
Le tout – temps limité –
Il faut obéir au poème de vivre
Et découper en paragraphes
Tranches de vie ( trancher dans le vif)
Le temps imparti qu’il nous reste à vivre
Sans fautes d’orthographe;
Si le très haut est tombé de l’escabeau
Nous sommes en quète d’idéaux
Et faisons feu de tout bois,
Toutes flèches dehors, se perdant sans remors
Dans une nuit d’incertitude,
Puisqu’il ne nous est pas possible
( un petit tour et puis s’en va )
De bénéficier – circonstances atténuantes
D’autres vies, comme celles offertes, des jeux
Vidéo, des idéaux.
Game is over..;
( Vous auriez pu mieux faire !! )
En attendant montrez donc votre bilan
Avez-vous bien appliqué le théorème ?
L’avenir est atteint, il se roule sur nous-même
Et nous voici, blessé, face à nôtre anathème..
Thème astral, ….et sous quel signe, ….quel est le problème ?
Faute de le résoudre, – méditez donc, en poèmes…
Les constellations se fichent des coeurs et des amours,
( s’il faut croire que notre existence a de l’importance ).
–
RC – 24 janvier 2013
–
En réponse au « Poème de vivre » de Henri-Etienne Dayssol
–
–
Guy Goffette – Vivre est autre chose
.
–
–
–
–
Je me disais aussi : vivre est autre chose
que cet oubli du temps qui passe et des ravages
de l’amour, et de l’usure – ce que nous faisons
du matin à la nuit : fendre la mer,fendre le ciel,
la terre, tour à tour oiseau,poisson, taupe, enfin :
jouant à brasser l’air,l’eau, les fruits, la poussière ;
agissant comme,brûlant pour, allant vers, récoltant
quoi ? le ver dans la pomme, le vent dans les blés
puisque tout retombe toujours, puisque tout
recommence et rien n’est jamais pareil
à ce qui fut, ni pire ni meilleur,qui ne cesse de répéter :
vivre est autre chose.
–
In
Poésie d’aujourd’hui à haute voix
, Poésie/Gallimard.
–
François Corvol – vivre comme tu vis
vivre comme tu vis. ivre de vivre. dans ton périmètre. dans ta voix. ce timbre ici-bas. dans ta bouche. dans le creux. bleu. noir. le cadran solaire. cousu de fil d’or. avec les chats. dans le ciel. ouvert dans le pôle. dans le manteau blanc. le tableau. la main du maître. pour l’enchantement. la minute. sur le bord de l’eau. saturne. pour la tiédeur. sans mouvements. écoulée. par le hublot. les heures. le temps. que le sortilège. dans la vase. et la fumée. ton portrait. sur la page. parmi les oiseaux. tour à tour. replongent. les bêtes. à cent lieux. après que la lave. avec l’orage. coula. recousu. une meute. le piano. à la forme de ton oeil. ouvert. attrapé. bruissement d’insecte. pelé. dans les os. pour la nuit. sur le dos. souvenir. abrité. tendu. parole de nerfs. en-dessous. la peau. figurine. où le rêve. contigu. se ressource. surpris. loin de la chambre. achevé. sitôt formé. en fumée. inconnu. déjà. imagine. un instant. a duré. par la fenêtre. le rideau. mouvant. invité. silencieux. persistances. par petits bouts. son histoire. obstinée. remuer. son corps. le poids. sur la terre. un moment. encore. et marcher. avec la musique. et les crampes. les pas. un à un. sur la mer. gelée. diurne. ivre. vivre comme tu.
Lambert Savigneux – et mâcher la machette – Utopia –
Emily Kame KNGWARREYE
et mâcher la machette
quand la pression du monde est si violente, que sur les tempes le monde appuie avec des barres de fer qui écrasent la pensée même
est t »il simplement possible de vivre et qu’est ce vivre ?
se dire c’est dire je suis et faire abstraction de la pesanteur, se délaisser du monde qui enserre
prendre la plume et écrire deux mots semble impossible, étrangler dans les langes d’un linceul, se fait croire pour la vie
UTOPIA
l’imaginaire est compressé, emprisonné dans une lente mort, les yeux eux mêmes ne voient plus autre choses que ce monstre qui détruit,
l’autre, les autres car écrire cela n’est pas écrire
écrire c’est libérer l’étranglement, c’est desserrer l’étreinte
vaincre la mort et l’étouffement
rétablir l’équilibre et l’énergie,
asphyxié
rétablir l’équilibre, mentalement de sa place dans l’univers et ouvrir la main et relâcher un tant soi peu tout ce qui croupit dans cette tension de mare où pourrit la vie, délétère sous le couvercle d’une oppression qui empêche de respirer, inspirer et laisser aller le flot de parole garant de la vie
c’est l’imaginaire, cette porte ouverte, cette nappe intérieure d’où s’échappe le lotus
fleuri
pouvoir dire cela et ciller apercevoir un autre soi et se mettre à courir
56 EMILY KAME KNGWARREYE (c1910 – 1996). UNTITLED (ALHALKERE), 1995
–
J.William Turner, Three Seascapes ( avec F Garcia Lorca & Virginia Woolf)
Peinture: William Turner
J. M. W. Turner, Three Seascapes, c. 1827 ( très belle peinture ( et très peu connue)
» je veux vivre sans me voir »
— Federico García Lorca, from “Song of the Barren Orange Tree,”
« Je ressens toutes les ombres de l’univers, multipliées au plus profond de ma peau »‘ trad RC
— Virginia Woolf, from a diary entry dated 5 November 1931
(via fuckyeahvirginiawoolf)
–
Miguel Veyrat – Je n’aurai pas peur de la mort
JE N’AURAI PAS PEUR de la mort
lorsque s’achèveront les mots,
car ma voix s’anime
au vent qui donne la vie,
qui s’agite
ou qui brille en sombre majesté,
et qui parfois frémit.
C’est plus fort
que l’amour et que la peur,
et plus fort
que la mort tout entière. (Un coq
chantera lorsque s’achèveront
les mots
—mystère: Moitié rêve
et moitié miroir l’aiguillon, silence).
Je serai enfin réel: je mourrai
en train d’agir, en train de vivre.
–
Henri Meschonnic – Seulement attendre
–
l faut seulement attendre
ne pas demander
quoi
quand
serrer les yeux
comme on serre
les dents
on ne peut pas éviter
des remontées
de la nuit
dans le jour
une indigestion de nuit
qui revient aux yeux
aux dents
(JTE, 49)
——–
la douceur
à mots fermés
elle ne dit rien
seulement vivre
c’est tout ce qu’elle
saura faire
elle se roule
dans vivre vivre
et nous sans parole
nous sommes
par elle
au commencement
du langage
(JTE, 93)
Louise Portal – écrire
« Photographies: Duane Michals
Ecrire,
c’est une liaison d’amour avec soi et les choses,
et les moments et les gens.
Ecrire,
c’est comme vivre
une vie parallèle à sa vie de chaque jour ;
c’est le vase purificateur de l’âme et de ses mouvances »
Louise Portal .
Alain Borne – Je pense
Je pense ( à Paul Vincensini )
Je pense que tout est fini
Je pense que tous les fils sont cassés qui retenaient la toile
Je pense que cela est amer et dur
Je pense qu’il reste dorénavant surtout à mourir
Je pense que l’obscur est difficile à supporter après
la lumière
Je pense que l’obscur n’a pas de fin
Je pense qu’il est long de vivre quand vivre n’est plus
que mourir
Je pense que le désespoir est une éponge amère
qui s’empare de tout le sang quand le cour est détruit
–
Je pense que vous allez me renvoyer à la vie qui est
immense
et à ce reste des femmes qui ont des millions de visages
Je pense qu’il n’y a qu’un visage pour mes yeux
Je pense qu’il n’y a pas de remède
Je pense qu’il n’y a qu’à poser la plume
et laisser les démons et les larves continuer le récit
et maculer la page
Je pense que se tenir la tête longtemps sous l’eau
finit par étourdir
et qu’il y a de la douceur à remplacer son cerveau
par de la boue
Je pense que tout mon espoir que tout mon bonheur
est de devenir enfin aveugle sourd et insensible
Je pense que tout est fini.
Alain Borne
Chercheurs d’or à la sauvette – ( RC )
En parcourant les chemins,
C’était dans un autre monde
Celui des hommes intègres
Ceux d’ici peut-être
Mais il y a ceux d’ailleurs
Qui viennent creuser – pour l’or
Dont il y a quelque part
Au milieu de la roche brune
Quelques grammes, quelques paillettes
Qui peut-être, sueur, labeur
Transport, lenteur, avidité
Permettront à quelques uns de vivre
De vivre mieux, c’est dire
Difficile, mais l’espoir
Justement, fait vivre
Même s’ il faut n’en pas vivre, mais gratter
Au sein même d’obscurs tunnels instables
Quelques roches, et remonter d’escalade
> Même si certains en restent ensevelis
Ils ont cru pouvoir vivre
En prenant aux entrailles de la terre
Un peu de précieux qui pourrait
De quelques carats orner une main
D’une bague aux souvenirs de peine
Qui se souviendra de la poussière brune
Des transports éreintants
Afin de convertir le risque encouru
En quelques kilos de riz
—
je viens de trouver aussi un poème de André Velter,
qui nous dit une impression parallèle
( je ne cite que la fin du poème)
Mais perdre perdre surtout
La moindre révérence
Le plus frêle désir
De collier de gourmette
De broche de clip de boucle
De tocante et d’alliance,
Laisser l’or aux gogos
Laisser l’or au décor
Aux fesses des angelots
Au dôme des Invalides
Aux dos des doryphores,
Laisser l’or aux émois
Des honnêtes esclaves
Qui se carrent les carats
D’une aura toute en frime,
Laisser l’or à l’ordure
Motus et monétaire
Qui fait de l’or avec
De la sueur de sang –
extrait de « La vie en dansant » Gallimard
–