Ilarie Voronca – rien n’obscurcira la beauté du monde

Rien n’obscurcira la beauté de ce monde
Les pleurs peuvent inonder toute la vision. La souffrance
Peut enfoncer ses griffes dans ma gorge. Le regret,
L’amertume, peuvent élever leurs murailles de cendre,
La lâcheté, la haine, peuvent étendre leur nuit,
Rien n’obscurcira la beauté de ce monde.
Nulle défaite ne m’a été épargnée. J’ai connu
Le goût amer de la séparation. Et l’oubli de l’ami
Et les veilles auprès du mourant. Et le retour
Vide du cimetière. Et le terrible regard de l’épouse
Abandonnée. Et l’âme enténébrée de l’étranger,
Mais rien n’obscurcira la beauté de ce monde.
Ah ! On voulait me mettre à l’épreuve, détourner
Mes yeux d’ici-bas. On se demandait : « Résistera-t-il ? »
Ce qui m’était cher m’était arraché. Et des voiles
Sombres, recouvraient les jardins à mon approche
La femme aimée tournait de loin sa face aveugle
Mais rien n’obscurcira la beauté de ce monde.
Je savais qu’en dessous il y avait des contours tendres,
La charrue dans le champ comme un soleil levant,
Félicité, rivière glacée, qui au printemps
S’éveille et les voix chantent dans le marbre
En haut des promontoires flotte le pavillon du vent
Rien n’obscurcira la beauté de ce monde.
Allons ! Il faut tenir bon. Car on veut nous tromper,
Si l’on se donne au désarroi on est perdu.
Chaque tristesse est là pour couvrir un miracle.
Un rideau que l’on baisse sur le jour éclatant,
Rappelle-toi les douces rencontres, les serments,
Car rien n’obscurcira la beauté de ce monde.
Rien n’obscurcira la beauté de ce monde.
Il faudra jeter bas le masque de la douleur,
Et annoncer le temps de l’homme, la bonté,
Et les contrées du rire et de la quiétude.
Joyeux, nous .marcherons vers la dernière épreuve
Le front dans la clarté, libation de l’espoir.
Rien n’obscurcira la beauté de ce monde.
photo Renaud Camus
Georges Jean – dans le désordre des choses

Les fruits sur la prairie pourrissent
Les sentiers mènent aux étangs
Où le ciel ouvre sa pulpe
Les dernières roses construisent
Le réseau profond de la mort
Les maisons prennent dans leurs mains
Les personnages de la brume
Nous sommes dans la chair du temps
Les arbres noirs de la nuit
Les oiseaux gris dans le matin
Il semble que le soleil
Va déchirer ces voiles blancs
Ainsi dans le matin du temps
Les paroles simples se lèvent
Alors éclatent les ailes
Se fendent les rameaux
Saigne l’Orient
Et quelques mots dans le silence
Permettent d’entendre la danse
Et rêver de l’Océan
Pour les regards du dedans
Les pierres sont en gésine
Au cœur de la forêt proche
Là dans les sentiers de silex
Le plaisir bat comme le cœur
Voici les traces les sillages
Les filles des longs retours
Et dans l’ombre d’alentour
Les absents se sont levés
Et le jour ouvre nos lèvres
Et les mots entrent dans les choses.
–
extrait de « parcours immobile »
Bernat Manciet – Sonet XI
Des voiles vont dans ton visage
vers le large sans âme et même
sans néant —se perdre
seulement et me perdre
bientôt tu ne seras plus
et que serai-je?
ta main se pose sur mes yeux
tu ne veux plus les voir
tu ne veux pas que je sache
où tu m’égares elle ne fait que passer
comme toi et depuis longtemps
tu étais et n’étais pas menteuse
fleur menteuse
ma mort parmi tes doigts.
Vous ne vous imaginiez pas modèle – ( RC )
peinture : D Velasquez
Bien sûr, c’est un mystère
qui se construit petit à petit,
sous mes yeux ébahis.
Je vois la peinture se faire
L’ange poser ses ailes :
Vous êtes ainsi alanguie
Sommeillant sur le lit
Vous êtes celle
qui lentement se révèle
à la caresse des pinceaux :
suivent la courbe de votre dos
(vous ne vous imaginiez pas modèle )…
Du voyage au long cours,
le vent dans les voiles,
vous apparaissez sur la toile,
peinte avec amour.
Négligemment déposés,
vos habits en tas,
à côté de votre bras …
Dans une lumière bien dosée
vous apparaissez, rêveuse,
les mains sur vos hanches,
votre poitrine est blanche,
et comme lumineuse….
Vous êtes la lumière du soir .
Surgie dans le décor
( et l’or de votre corps
se reflète aussi dans un miroir ).
On ne vous imagine pas blonde ,
car la seule ombre au tableau
porte le flambeau
de l’origine du monde .
Il n’y a pas besoin d’être Courbet,
pour que le monde vous contemple :
la première entrée du temple
est sur la toile, posée sur le chevalet.
–
RC
– juill 2017
Veronique Joyaux – Poème à Salah
peinture – Joachim Patinir, Crossing the River Styx, 1515-24
J’écris aussi pour toi
prisonnier des geôles de Bagdad ou d’ailleurs
Pour toi que l’on fait taire que l’on torture
J’écris pour toi qui n’as pas de mots
Parce que tout enfant déjà tu travaillais
J’écris pour les femmes cachées
dans leurs voiles et leurs maisons
J’écris pour ceux qui n’ont pas la parole
pour leur donner existence et dignité
J’écris pour ouvrir les portes
Je m’immisce dans les interstices.
Si je devais rendre grâce ce serait à des silences
Silence entre toi et moi quand tout se tait et que les gestes parlent
Silence des amitiés ferventes des paroles suspendues
Silence des arbres dans la nuit
Des pas dans la neige un soir d’hiver très doux
Si je devais rendre grâce ce serait à l’infime
Une trace d’oiseau sur la terre ameublie
Un froissement d’aile entre les nuages étonnés
Une parole non dite un espace entre deux corps attendris
Si je devais rendre grâce ce serait à la poésie
Celle de Victor Jara dans un stade du Chili
De Nazim Hikmet dans les geôles de Turquie
De Dimitri Panine dans le Goulag de Sibérie
De Mendela dans l’Afrique meurtrie
De tous les hommes qui parlent
au nom de ceux dont la parole s’est tarie
Si je devais rende grâce j’en serais affaiblie
Mais riche de tous les infinis.
Aria – ( Comme un air d’Italie ) – ( RC )
peinture: B Gozzoli – détail-
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C’est en franchissant les portes des jardins,
que la vue se porte, sur les collines.
Elles se dandinent, dans une robe chamarrée d’ors.
On y trouve des villages à mi-pente
Où les maisons s’épaulent de leurs lignes.
Les cyprès forment une couronne, sur les lignes de crète.
Ce serait une lumière, comme celle que peint Botticielli ;
La transparence diaphane de l’air, et le vent léger soulève les voiles de la Vénus,
La caresse du regard enchante même les parterres de fleurs .
Les mains se tendent et les bras s’arquent en chorégraphie.
Les cloches se répondent de vallée en vallée .
La terre ne serait pas comme on la voit ailleurs : blonde ou brune,
Nourrie à la tiédeur solaire,
Presque nourriture à son tour ,
Elle en a le parfum, et son pesant de couleur
Qu’on retrouve dans la robe des vins ,
Alignées dans les trattoria.
Les linges sont oriflammes en travers des rues ;
On a l’impression d’entrer de plain pied dans un tableau …
La langue italienne est une porte ouverte sur sa chanson.
photo Robert Schrader
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photo: Edmondo Senatore – atmosphère toscane
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RC – mai 2015
Si Talmont devient une île – ( RC )

Talmont église- cf laboutiquede Royan
–
C’était un soir frisant,
Sur ses eaux calmes …
Et le sanctuaire se dresse,
Juste au bord de l’estuaire,
Presque en équilibre sur un fil..
La lumière bondit sur l’eau .
Ses vieilles pierres amassées, comme
Une sentinelle attentive
Qui patiente, toutes voiles dehors,
De ses arcades romanes.
Le temps est ralenti,
Poussé entre deux rives,
Mémoires d’or
Brins de fièvre sous la caresse,
Des derniers rayons du soleil.
Peut-être son vaisseau immobile,
Un jour , se décidera,
A traverser l’Atlantique,
Belle endormie,pour tenter l’aventure,
Comme un bouchon sur les flots.
Si Talmont devient une île .
–
RC- mars 2015
photo auteur non ident

montage et photos persos… panoramique des modillons de l’église de Talmont — ……. cliquer sur l’image pour l’agrandir…
ifié
Tomas Tranströmer – De la montagne

peinture: André Derain-
la Côte d’Azur près d’Agay (1905, huile sur toile , 54,6 x 65 cm) : pour voir l’oeuvre dans son intégralité, cliquer sur l’image
–
DE LA MONTAGNE
Je suis sur la montagne et contemple la baie.
Les bateaux reposent à la surface de l’été.
« Nous sommes des somnambules. Des lunes à la dérive. »
Voilà ce que les voiles blanches me disent.
« Nous errons dans une maison assoupie.
Nous poussons doucement les portes.
Nous nous appuyons à la liberté. »
Voilà ce que les voiles blanches me disent.
J’ai vu un jour les volontés du monde s’en aller.
Elles suivaient le même cours ― une seule flotte.
« Nous sommes dispersées maintenant. Compagnes de personne. »
Voilà ce que les voiles blanches me disent.
(1) Traduit du suédois par Jacques OUTIN
Onde portée en soi ( RC )

photo: le vaisseau fantôme, Teatro Comunale, Bologne
–
Onde capitaine
Navire sans attaches,
Hollandais volant,
Fol éclat de rien,
Sous l’obscurité liquide
Orage de fond de miel,
Du vin dans mes veines,
Je dérive entre îles,
A l’exercice du réveil,
Abordant une terre,
Amère de vérité,
Les voiles en lambeaux,
C’est un adieu au rêve…
J’étais porté par les songes
Et j’écrivais sur le sable,
Egaré, enfui dans des inconnus,
Et le ressac emportant mes phrases,
Effacée, ma mémoire,
> Les pieds revenus sur la terre.
–
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RC – 28 mai 2013
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je ferai aussi le lien avec l’article de JFK, son intéressant site, et plus précisément son « écrire sur le sable », où il nous évoque la blogosphère…
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Tendre le bras vers les étoiles ( RC )
S’il y a du souffle et de la poussière
Pour tendre le bras vers les étoiles
Modifiant tout à coup l’équilibre planétaire
La trajectoire des corps, mettant les voiles
La tête au milieu des nébuleuses
Le ciel s’est enflé de lumière violette
Echo d’Orion vers Betelgeuse
Du fracas d’une comète
A la verticale de l’été
Au fond de tout ce noir
Pour perdre ses droites allées
Et la lumière de l’espoir
Le matin confisque son charme
Dans de lointains obscurs
Habités par les larmes
– pour une autre aventure –
Je ne sais pas si tendre les bras suffit
A jouer avec les astres
Aveuglé, je ne vois que la nuit
Et du matin qui s’en va,… le désastre…
–
RC – 2 février 2013
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Venise déserte en sa nuit tiède ( RC )
–
D’anciennes façades décrépies, sont comme tachées,
Une végétation touffue croise ses bras verts pour cacher
Une grille que nul , depuis longtemps, n’a fréquentée,
Scellée par la rouille, – et dont personne n’a la clef
La fontaine est muette, l’eau ne chante plus sous le tilleul,
La vasque est presque remplie de feuilles en deuil,
Et de papiers, qui se soulèvent avec le vent
La place, désertée par l’été et les gens
On ne comprend pas où mènent ces escaliers
Qui s’élancent, puis, s’arrêtent par paliers
Vers une tour en partie détruite
Et que plus personne n’habite
La nuit est tombée, accompagnée par la lune
L’humidité s’étale, de la proche lagune
Le satellite, se double d’un halo
Qui se mire dans les flots
Du canal, aux reflets de vagues molles
Venant lécher de noires gondoles
Echouées, là, de biais, elles ont perdu leur emphase
Embarcations envahies par la vase…
De pâles lueurs tremblotent derrière les vitraux de l’église
Dans ce quartier un peu à l’écart, de Venise,
De briques et de marbres, les palais ont les pieds fourbus
Les murs qui s’écaillent, disent un prestige déchu.
La madone sculptée, au nez rongé, est toujours dans sa niche
Une fenêtre bouchée effeuille d’anciennes affiches
Indiquant des saisons passées les fêtes du Grand canal
Paillettes, danses et masques du carnaval…
Tout est silence à part une gerbe d’étincelles….
> D’une radio lointaine, parvient une tarentelle,
Et la brise déplace doucement ses voiles,
Dans un ciel de velours piqueté d’étoiles.
Où se traînent paresseusement quelques nuages
Dont le zodiaque ne prend pas ombrage
Même pas le verseau et Ganymède
– Toujours brillants dans la nuit tiède.
–
RC – 7 juillet 2012

photo Olimpo
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Jean Pierre Duprey – M’a-t-on coupé le fil de la mémoire ?
M’a-t-on coupé le fil de la mémoire
Que je n’entende plus le ventre du passé ?
Il m’étrangle en mon cri dépassé dans le noir
Jusqu’à la flamme unique où le fil a brûlé
L’avenir a cassé dans ma tête le vent
Le passé a repris les cloches de ses soirs
Le remords a rongé les sons de la mémoire
Et le bruit d’un baiser déchire les instants
Au sein des toits la flamme détord ses étoiles
La mort a pris l’allure d’un fauteuil de vieux
La rage du souvenir souffle toutes les voiles
Jusqu’au dernier murmure des yeux.