Jorge Luis Borges -Voir.
Voir que la veille est un autre sommeil
Qui se croit veille, et savoir que la mort
Que notre chair redoute est cette mort
De chaque nuit, que nous nommons sommeil.
Voir dans le jour, dans l’année, un symbole
De l’homme, avec ses jours et ses années ;
Et convertir l’outrage des années
En harmonie, en rumeur, en symbole.
Faire de la mort sommeil, du crépuscule
Un or plaintif, voilà la poésie
Pauvre et sans fin. Tu reviens, poésie,
Comme chaque aube et chaque crépuscule.
La nuit, parfois, j’aperçois un visage
Qui me regarde au fond de son miroir ;
L’art a pour but d’imiter ce miroir
Qui nous apprend notre propre visage.
On dit qu’Ulysse, assouvi de prodiges,
Pleura d’amour en voyant son Ithaque
Verte et modeste ; et l’art est cette Ithaque
De verte éternité, non de prodiges.
Il est aussi le fleuve interminable
Qui passe et reste, et reflète le même
Contradictoire Héraclite, le même
Mais autre, tel le fleuve interminable.
…
L’autre, le même.
Sylviane Dupuis – au seuil
au seuil
du lieu que tu regardes
nous avons beau écarquiller les yeux
c’est peine perdue d’appeler
dans le noir
ou de chercher à voir
qui
de toi ou de nous, désormais
habite l’envers des choses ?
qui sait, et qui ignore ?
affrontés comme ces sphynx
qui gardaient l’entrée des cités,
face contre face nous témoignons
de l’immobile mystère
en attendant que le jour
plie
Sylviane Dupuis
piblié dans Anthologie poésie poètes d’aujourd’hui
et à l’origine – ds La Revue des Belles Lettres Genève 2007 poème 144