Jean-Claude Pinson – Bovins statufiés
peinture – Thomas Hart Benton
Photographie saisie en passant en voiture
un jour sans doute de sombres mélodies
dans la tuyauterie cérébrale :
dans les urines noires
de l’automne en bordure de banlieue
des bovins statufiés attendent
dans le vent on ne sait quoi
dans le gras des labours
on dirait qu’ils dépriment
.
Robert Creeley – Distance
photo: Tamsin
Distance
1
Comme j’avais
mal, de toi,
voyant la
lumière là, cette
forme qu’elle
fait.
Les corps
tombent, sont
tombés, ouverts.
Cette forme, n’est-ce pas,
est celle que
tu veux, chaleur
comme soleil
sur toi.
Mais quoi
est-ce toi, où,
se demandait-on, je
je me demandais
toujours. La
pensée même,
poussée, de forme
à peine naissante,
rien
sinon
en hésitant
d’un regard
après une image
de clarté
dans la poussière sur
une distance imprécise,
qui projette
un radiateur en
arêtes, brille,
la longueur longue
de la femme, le mouvement
de l’
enfant, sur elle,
leurs jambes
perçues derrière.
2
Les yeux,
les jours et
la photographie des formes,
les yeux
vides, mains
chères. Nous
marchons,
j’ai
le visage couvert
de poils
et d’âge, des
cheveux gris
puis blancs
de chaque côté
des joues. Descendre
de la
voiture au milieu
de tout ce monde,
où es
tu, suis-je heureux,
cette voiture est-elle
à moi. Une autre
vie vient à
la présence,
ici, tu
passes, à côté
de moi, abandonné, ma
propre chaleur
réprimée,
descendre
une voiture, les eaux
avançant, un
endroit comme
de grands
seins, le chaud et
l’humide qui progressent
s’éveillant
jusqu’au bord
du silence.
3
Se dégager de comme en amour, ou
amitié de
rencontre, « Heureux de vous
rencontrer — » Ces
rencontres, c’est
rencontrer
la rencontre (contre)
l’un et l’autre
le manque
de bien-être, le mal
aise du
cœur en
formes
particulières, s’éveille
contre un corps
comme une main enfoncée
entre les jambes
longues. Ce n’est
que la forme,
« Je ne connais pas
ton visage
mais ce qui pousse là,
les cheveux, malgré la fêlure,
la fente,
entre nous, je
connais,
c’est à moi — »
Qu’est-ce qu’ils m’ont fait,
qui sont-ils venant
vers moi
sur leurs pieds qui savent,
avec telle substance
de formes,
écartant la chair,
je rentre
chez moi,
avec mon rêve d’elle.
Robert Creeley
Traduit de l’américain par ]ean Daive
Un fil tendu dans le silence – ( RC )
Environnement plat, ( à peu près ),…
…brume,
– peupliers.
Le tout défile.
S’il fallait prendre la photo,
D’abord descendre la glace,
L’air humide tout à coup engouffré,
Et le flou de mouvement.
Une vallée paresseuse,
Bien pâle en ce novembre,
Et juste les ailes coassantes
des corbeaux.
La voiture progresse,
mange les kilomètres,
pour un paysage semblable
ou presque .
Une musique pulse,
C’est une chanson
à la radio
qui rape
La caisse fonce,
Du son plein la tête
Sur le ruban de la route,
luisante. Flaques.
A la façon d’un coin
Dans l’horizontale :
– Traversière,
Phares devant
Yeux fixés,
Droit devant,
Etrangement étrange
– Trait bruyant ( un fil tendu
Dans le silence . )
La plaine tolère juste
De ses champs gorgés d’eau
Son passage éphémère
Se refermant sur elle-même,
Lentement,
Le bruit s’efface comme il est venu.
Les corbeaux reprennent leur vol.
–
RC – sept 2015
Richard Brautigan – C’est toi qui a voulu coucher avec elle
Transformé en flocon de neige comme par
un ours polaire invisible
– pauvre con,
tu te retrouves assis
sur le pare-chocs de ses baisers
alors qu’elle conduit la voiture
jusqu’au coeur de la banquise.
« Jouer » à l’apprenti sorcier – ( RC )
Caricature de Escaro
–
C’est une photo où une vedette
pose avec avantage
devant le dernier modèle de la marque.
On pense tout de suite à la dernière voiture
dont la ligne fluide
évoque puissance et raffinement.
Mais j’ai devant les yeux
une photo d’époque,
où le Général De Gaulle, – en tant que président,
prend la pose devant le Redoutable,
premier sous-marin nucléaire,
à Cherbourg.
Avec cette parole en image, plutôt qu’en publicité,
– il s’agirait, comme l’on dit maintenant
de communication –
– ce qui quelque part se ressemble,
puisque l’étymologie nous indique bien :
il s’agit de rendre quelque chose public.
Ici, c’est « montrer ses muscles » :
une page d’actualités,
qu’on verrait bien,
dans les magazines à sensations .
Le Général appose le cachet
de son prestige et de sa fonction.
Mais il semble en même temps absent
et désabusé,
Comme si la finalité même du « sujet »
lui échappait.
( un jouet géant, construit à coups de milliards,
mais dont l’usage serait » redoutable » – d’où le nom ) .
Redoutable pour les autres:
Il s’agit bien d’un fleuron de la défense,
mais redoutable pour nous-même, aussi :
Si, par exemple pour des raisons diverses,
on interprète mal les ordres venus d’en-haut,
ou simplement: le mode d’emploi.
Un jouet évoque bien un jeu…
Le jeu en vaut-il la chandelle ? :
C’est jouer avec le feu,
Et chacun sait que le feu nucléaire, même pacifique
( En pensant seulement à Tchernobyl et Fukushima ),
Peut avoir des conséquences que l’on ne mesure même pas.
L’homme n’est pas né, pour jouer ( encore ),
à l’apprenti sorcier.
–
RC – juin 2015
Le défilé des images ( RC )
–
En suivant les traces du temps
Comme des empreintes laissées dans la boue,
Il y a, sur ce fil,
Le défilé des images
De celles qui marquent un instant
Et finissent par pâlir,
Cartes postales oubliées au fond des tiroirs,
Restes d’affiches de campagnes électorales,
Catalogues fournis pour produits d’antan,
Et aussi les albums épais,
Des photos de famille.
Je parcours le tout,
Où se transforme,
En épisodes chronologiques,
L’univers, même réduit au dehors,
Bordé de maisons proches,
Qui s’enhardissent de grues,
Et deviennent immeubles.
La famille rassemblée,
Au pied de l’escalier,
S’est agrandie d’un nourrisson,
Maintenant debout sous un chapeau de paille,
Puis, regardant sur la droite,
Le chat gris faisant sa toilette,
Que l’on retrouve seul, enroulé sur lui-même.
Ensuite, c’est une tante de passage,
Dans ses bras, une petite soeur arrivée…
> Tout le monde est gauche,
Dans ses habits du dimanche,
Après le repas,
Peut-être suivant le baptême;
…. Il fait très beau dehors.
Ce sont donc des photos du jardin,
Les enfants jouent au ballon,
. Le tilleul a étiré son ombre,
Au-delà de la grille voisine.
Plus tard, toujours sur l’escalier,
Les habits suivent une autre mode,
….Dix ans se sont écoulés.
Le grand-père n’est plus,
Les allées sont cimentées,
La perspective est close,
D’un nouveau garage,
Occupé d’une voiture,
Brillant de ses chromes,
Elle apparaît sombre,
Peut-être verte…
Un autre album,
Tourne la page d’une génération,
Le format des images a changé,
Issues d’un nouvel appareil.
C’est maintenant la couleur,
Témoignant des années soixante.
L’extravagance des coiffures,
Et des motifs géométriques,
S’étalant sur les murs,
Le règne du plastique,
Et du formica, qui jalonne encore,
Les meubles rustiques en bois.
Quelques pages plus loin,
Les teintes sucrées,
De photos polaroïd,
Donnent dans la fantaisie,
Des portraits déformés,
Pris de trop près,
Et surtout le voyage à Venise.
Gondoles et palais,
Trattorias et reflets…
Les lieux soigneusement mentionnés,
Au stylo à bille ….
> Le beau temps tourne à l’orage,
—– On suppose une dispute,
Car l’album s’arrête là,
En mille-neuf-cent-quatre-vingt,
Sur la photo de l’amie,
Partie sous d’autres horizons,
Rageusement déchirée,
Puis, maladroitement recollée,
Les souvenirs ne sont plus de mise,
Et restent clos dans le tiroir.
Le défilé des images, lui, s ‘immobilise.
–
RC – 10 et 11 août 2013
–
Plutôt prendre le train ( RC )
De légères gouttelettes, prises en tempête,
se précipitent en gros flocons d’avalanche
habillent une montagne blanche
S’accrochent aux reliefs, et font paillettes
Qu’aussi des voiles de brume drapent,
avec les caprices du temps, survenus,
de mystère les endroits connus…
les contours familiers s’échappent.
Les horizons nappés voilés de la pente
un mur d’incertitudes imagées,
où rien n’est dégagé
Et la route qui serpente.
Dans l’univers ouaté, les voitures glissent…
engagées sur la descente
pourtant en allure lente
soudaine nostalgie , des pneus qui crissent..
Si rien n’est stable
tout à coup, rien n’adhère
Le conducteur le plus téméraire
penserait plutôt : siège éjectable
Surtout quand au prochain virage
– d’une route non carrossable –
Obstacle inattendu , et collision inévitable
précédé d’un lent dérapage,
Un bruit mat, et tout bascule
En doux regret , vers le ravin
…. J’aurais dû prendre le train
et laisser au repos, mon véhicule…
La chute lourde, aux bruits discordants,
les roues tournent encore dans le vide, succède le silence…
Ensuite, …. c’est l’affaire des assurances…
– Statistiques, et accidents…
…. On se raconte toujours des histoires
quand on côtoie l’enfer.
Tant pis, je n’serai pas centenaire
l’avenir ne se marie pas avec « trop tard » .
–
RC – 25 janvier 2013
–
Eugène Durif – L’étreinte, le temps 05
L’avant-printemps nous a saisis en élégies craintives.
Petites filles se tenant par la main,
au poignet, le bracelet rosé d’une montre en toc.
Le soir, voitures abandonnées sur les berges, la lente montée des eaux.