Jacques Mer – L’inexorable ( extrait )

dessin Martin Beek – msée d’histoire naturelle d’ Oxford
Ô Federico
Dix mille tonnes de silence pèsent sur ta poitrine
Ta vie un désert de feu signé d’absence
Tes regards remontent les foudres à la renverse
Métropolis de songe et de sang
Regards tournant à mille tours minute
Sous le couperet de l’angoisse
Visage comme on crie au feu
Ton corps est transparent d’attente
Torrentiel tocsin de secondes
L’instant éclate soudain comme un œuf
De fous tunnels de clameurs percent ta chair
Et le ciel se lève tout droit en criant
Ton épaule par où tu t’appuyais aux autres
Fraternel
Soudain tombe de toute la hauteur des astres Le monde explose
O Federico
la tête est lourde comme un monde
Cernes des yeux défaits en des typhons d’éléments seuls
Regards à l’intérieur dévoré
ton sang comme une substance de totale douleur
ciircule à travers tes veines
Musclées encore du fou effort de vivre
Et l’horreur court tout le long de ton visage
Comme une grande phrase sans point ni virgule
Ton corps n’est plus attaché qu’à l’extrémité en feu de l’existence
Souvenirs lessive de cris nus Arrachée à l’orage muet du cœur
O Federico que tu es seul dans ta mort
Personne pour t’accompagner pinçant le cœur fou des guitares
Pas même le vent bleu musicien
O mort perdu dans des déserts de fin du monde
Mort qui erres par les territoires de l’impossible
Sous de cruels vocables de glace
Des voyelles de soleil pétrifié
Tu remontes comme un aboiement le long du temps
Les frontières chancellent se descellent
Autour de toi tu sens déjà le gouffre vertigineux de la matière
L’immense rumeur d’océan du règne minéral
Tes pensées lentes fougères arborescentes du néant
Sont prises de douceurs terribles et pures
O mort déjà engagé à mi-corps sous les arcanes de l’éternité
Visage désormais dans sa vérité première
Débarrassé de l’instant et du cri
Visage pris soudain de la folle unité de l’eau
O Federico tu ne connais plus du monde
Que les forces inversement proportionnelles
A l’illimité de ton amour
O Federico
Voyageur des espaces de la mort
Avec mille ponts coupés derrière toi
Et dérivant
L’espoir est à telle distance
Que chaque geste s’annule dans la vanité même de tout
[effort
O Federico la mort est désormais en toi
Comme une rivière qui coule sans eau un oiseau
Qui vole sans ailes
Comme un carrefour de femmes
Qui crient sans voix dans le vent
La distance devient immense entre tes yeux
Où l’on pourrait faire tourner les mondes
curieusement on ne trouve rien sur le net sur cet auteur…
Marceline Desbordes-Valmore – Le beau jour

J’eus en ma vie un si beau jour,
Qu’il éclaire encore mon âme.
Sur mes nuits il répand sa flamme ;
Il était tout brillant d’amour,
Ce jour plus beau qu’un autre jour ;
Partout, je lui donne un sourire,
Mêlé de joie et de langueur ;
C’est encor lui que je respire,
C’est l’air pur qui nourrit mon coeur.
Ah ! que je vis dans ses rayons,
Une image riante et claire ?
Qu’elle était faite pour me plaire !
Qu’elle apporta d’illusions,
Au milieu de ses doux rayons !
L’instinct, plus prompt que la pensée,
Me dit : « Le voilà ton vainqueur. »
Et la vive image empressée,
Passa de mes yeux à mon cœur.
Quand je l’emporte au fond des bois,
Hélas ! qu’elle m’y trouble encore :
Que je l’aime ! que je l’adore !
Comme elle fait trembler ma voix
Quand je l’emporte au fond des bois !
J’entends son nom, je vois ses charmes,
Dans l’eau qui roule avec lenteur ;
Et j’y laisse tomber les larmes,
Dont l’amour a baigné mon cœur.
Anthony Phelps – Pour ceux que j’aime

montage RC
Dans ma cellule
pour une fleur
je donnerais un vers
Tout un poème
pour un oiseau
et pour la voix de ceux que j’aime
mon don entier de poésie
Car c’est ta voix que j’ai reconnue – ( RC )

Dessin Victor Brauner
Le temps se dénoue
quand s’élance
le chant de l’oiseau .
Il m’est revenu,
chante pour moi
une mélodie neuve
qui , pourtant ,
ne m’est pas inconnue ;
c’est par ta voix
dans un arbre lointain
que s’effacent les doutes
pour la clarté la plus sereine.
Cet arbre est en moi
il étire ses branches
jusqu’à peut-être
te frôler.
Alors point n’aurai chagrin,
de ton corps disparu,
car c’est ta voix
que j’ai reconnue.
( variation » réponse » sur le poème 4 de 1854 d’Emily Dickinson )
Colette Daviles-Estinès – le poème de papier,

Le poète distribuait des poèmes de papier
avec des mots d’encre dessus
et de la joie, et de la peine
dedans les mots
du désespoir, des espoirs
des questions, de la colère
jamais de réponse mais des doutes
Il y avait du passé dedans
et des errances
et du vivant
Il voulait que ses mots ouvrent des chemins
que ses poèmes soient des clefs
dans la serrure des cerveaux
en faire des grenades de soleil
Dégoupiller le soleil
et BOUM sur les frontières
Mais c’est un poème de papier
qu’un passant a jeté par terre
après avoir froissé les mots
dans sa main
J’ai ramassé le poème de papier
l’encre, l’espoir
et le vivant
Défroisser les mots
Etre le cœur qui bat
dans la voix qui les porte
Colette Daviles Estines
Serge Marcel Roche – Variations neige

Et les années dansaient ce matin
avec les flocons gaiement derrière la vitre
villes visages heures ainsi tournoyant
dans l’air froid et ceux qui tambourinent
contre les carreaux selon le pouls
intermittent du souvenir toi
assis au bureau guettant le bruit
des pas fantômes sur la page neuve
l’approche au loin des voix profondes
avec une lenteur de neige
Retirer son nez de la rose – ( RC )

Celui qui plonge son nez dans une rose
ne s’attend pas à ce qu’elle se referme sur lui.
Quand je me mets à la peinture,
il en est un peu ainsi:
je n’ose les couleurs franches
que pour précipiter les autres
à leur rencontre .
Il m’est difficile de laisser les choses en l’état.
Car tout semble s’organiser
en combat de brosses
et caresses de pinceaux .
Chaque geste veut donner de la voix,
mais conserver son quant à soi,
sa part d’élégance,
son enclos préservé,
même s’il s’aventure
dans une lourdeur faussement maladroite.
En fait j’assiste au lever d’un jour,
qui a sa part d’ombre,
et ne me lâche plus d’un pouce.
On se demande encore
s’il me reste quelque choix conscient,
car même si c’est par mon intermédiaire,
il semble que la main ne fait qu’obéir
à la montée naturelle des formes
et des contrastes.
Que proposer alors ?
Un dilemme entre le flou et le net,
l’affirmatif et l’hésitant,
la réserve ou la superposition ?
La décision est délicate,
elle ne dépend pas de ma seule volonté,
car les éléments ont leur vie propre,
et se laissent difficilement convaincre….
Le seul moment crucial arrive
à l’instant où tout semble en suspension.
L’équilibre est précaire,
il menace à tout instant de se rompre,
et comme dans l’écriture,
je dois faire attention aux parenthèses,
aux répétitions, et à la ponctuation…
C’est le moment de retirer son nez de la rose…
J’en conserve le parfum…
Anthony Phelps – fleur-soleil

Au plus vert de la vie
ma voix est sur ta voix
et ta pensée double la mienne
Tu es ma meilleure part
le matin de mes yeux
Ma plus pure émotion
Et ton sourire est dans mon cœur
un talisman contre la peur
Passe le temps sans toi plus lent si vide
Pleuvent à tout instant les confettis du souvenir
et l’écho de tes mimes se profile en silhouette
sur le blanc de l’absence
Mon nénuphar ma fleur-soleil
mon oiseau-mouche aux ailes vibrantes
ton infini est ma limite
car ta vie contredit la mort
et je bénis le jour où nos yeux s’allumèrent •
Louis GUILLAUME – L’étoile

.
Tu es celle qui tremble et celle qui demeure.
Ta voix pleure et pourtant ta voix chante.
Tu es la pierre tendre où vient mourir la peur.
Une joie flotte.
J’écoute un sillage de notes .
Dans tes cheveux s’allume une étoile d’écume.
Grave
tu suivais des yeux les épaves
et tu tendais vers moi des mains de sauvetage.
.
Poèmes choisis
ROUGERIE
Appelle-moi encore – (Susanne Derève) –

Contre un tas de bois mort, brise indolente, abri silencieux, voix. Voix qui m’appelle a fait fuir le lézard et la mésange. N’épelle pas mon nom usé. La terre porte un mirage d’eaux neuves, de printemps. Des chevaux captifs renversent le fil acéré des enclos. Les drailles à l’horizon cheminent vers le ciel, et franchi le ciel vers l’échine argentée du vent, le pelage ras des Causses hérissé de lavandes, l’étrangeté des pierres dressées. Déjà, le soir s’enferre au creux des combes, l’ombre violette des futaies se déploie et s’allonge, tout ce que le jour portait de douceur et de fièvre bascule puis se fige dans le premier battement d’aile de la nuit. Appelle-moi encore, et je te rejoindrai.
Alain Leprest – J’ai peur

J’ai peur des rues des quais du sang
Des croix de l’eau du feu des becs
D’un printemps fragile et cassant
Comme les pattes d’un insecte
J’ai peur de vous de moi j’ai peur
Des yeux terribles des enfants
Du ciel des fleurs du jour de l’heure
D’aimer de vieillir et du vent
J’ai peur de l’aile des oiseaux
Du noir des silences et des cris
J’ai peur des chiens j’ai peur des mots
Et de l’ongle qui les écrit
J’ai peur des notes qui se chantent
J’ai peur des sourires qui se pleurent
Du loup qui hurle dans mon ventre
Quand on parle de lui j’ai peur
J’ai peur, j’ai peur, j’ai peur
J’ai peur
J’ai peur du coeur des pleurs de tout
La trouille des fois la pétoche
Des dents qui claquent et des genoux
Qui tremblent dans le fond des poches
J’ai peur de deux et deux font quatre
De n’importe quand n’importe où
De la maladie délicate
Qui plante ses crocs sur tes joues
J’ai peur du souvenir des voix
Tremblant dans les magnétophones
J’ai peur de l’ombre qui convoie
Des poignées de feu vers l’automne
J’ai peur des généraux du froid
Qui foudroient l’épi sur les champs
Et de l’orchestre du Norrois
Sur la barque des pauvre gens
J’ai peur, j’ai peur, j’ai peur
J’ai peur
J’ai peur de tout seul et d’ensemble
Et de l’archet du violoncelle
J’ai peur de là-haut dans tes jambes
Et d’une étoile qui ruisselle
J’ai peur de l’âge qui dépèce
De la pointe de son canif
Le manteau bleu de la jeunesse
La chair et les baisers à vif
J’ai peur d’une pipe qui fume
J’ai peur de ta peur dans ma main
L’oiseau-lyre et le poisson-lune
Eclairent pierres du chemin
J’ai peur de l’acier qui hérisse
Le mur des lendemains qui chantent
Du ventre lisse où je me hisse
Et du drap glacé où je rentre
J’ai peur, j’ai peur, j’ai peur
J’ai peur
J’ai peur de pousser la barrière
De la maison des églantines
Où le souvenir de ma mère
Berce sans cesse un berceau vide
J’ai peur du silence des feuilles
Qui prophétise le terreau
La nuit ouverte comme un oeil
Retourné au fond du cerveau
J’ai peur de l’odeur des marais
Palpitante dans l’ombre douce
J’ai peur de l’aube qui paraît
Et de mille autres qui la poussent
J’ai peur de tout ce que je serre
Inutilement dans mes bras
Face à l’horloge nécessaire
Du temps qui me les reprendra
J’ai peur, j’ai peur, j’ai peur
J’ai peur
J’ai peur
Qui a saisi ce sourire doux-amer ? – ( RC )

Les trains du soir
se sont enfuis dans la nuit,
et ton sourire a ces lèvres absentes
de la beauté fanée
d’une photographie
qui a mal vieilli.
Une pellicule dans un album photo
oublié au fond d’une armoire.
Je ne sais plus qui a saisi cet instant,
ce sourire doux-amer
qui rappelle celui de la Joconde,
derrière son épaisse armure de verre
– le mystère d’une perspective
difficile à saisir – ,
une fleur épinglée sur la poitrine
laissant échapper son parfum.
Qui se souvient des fêtes et de la joie,
des portes qui grincent,
des fenêtres ouvertes sur l’azur ,
des verres qui tintent,
de la guerre tendre des regards ?
une guerre qui pâlit
comme s’effacent les voix
de ceux qui t’ont connue.
L’or des cheveux
retrouverait-il son feu,
ton oeil, son incandescence
le vent , son insolence ,
si le sort était levé,
tu reviennes à la vie,
extraite comme par magie
de la photographie ?
Luis Cardoza Y Aragon – Cité natale
CITE NATALE ( Guatemala-la-Vieille )

Le grincement d’un grillon ouvre une porte
sur un ciel de conte de fées.
Tu surgis, les chemins creusent ton lit, navigable Solitude.
Le temps n’existe pas; être… Tout est déjà !
Jours d’un autre monde. Ciel sans rêve : paupières
Nuits comme d’obscurs bâillements, immobiles…
au centre de toutes les heures, indélébiles, infinies, et mûres.
Toi, malhabile, sur un trapèze
accroché à un jour et à une nuit
très hauts, profonds et sans maître,
te balançant largement, lentement,
ruminant tes monologues de fumée.
Car tu n’es que l’écho
de ton ombre sans corps,
écho de lumière, ombre de voix, très loin.
Quand atteindras-tu la surface
de la terre, du ciel ou de la mer,
depuis cette route où tu vas, nocturne,
vers le soleil de limbes innocents
qui t’attend, mais oublié déjà,
debout, endormi comme un phare,
en quelle péninsule d’ombre ?
Distance parallèle au regard :
rafales d’infini, ailes coupées,
coups de vent dans les rues.
Haut zénith parvenant de l’autre côté
en criant : « Oui » dans les paratonnerres.
Nadir, tourbillon de routes nocturnes,
porte voix de tombe hurlant : « Non ».
Toi, au milieu, comme une marguerite
de « jamais plus », perdue en tes oracles.
Tu clignotes parfois : jours, nuits…
Tu t’oublies… Soudain, cinq,
vingt jours ensemble, comme un éboulement ;
trois, quatre nuits télescopées
avec une étrange violence obscure.
Un songe de méduses et de cristaux
de part en part traversent les miroirs :
on sait de quoi sont faits
les chants des oiseaux,
ceux de l’eau, occultes et diaphanes.
On entend grandir les ongles de tes morts,
jaillir tes sources qui portent
en dansant un temps d’or sans arête
et sans valeur ;
tes jours évanouis sur des coussins
de douceur et d’ennui,
et mes cris qui brésillaient
avec une lente et croissante résonance
d’arcades et de coupoles.
Ne bouge pas, le vent pleurerait.
Ne respire pas, ton équilibre
d’arentelle se briserait
Ainsi, telle qu’en mon souvenir,
qui te reconnaîtrait ?
Ange des orties et des lys,
ne bouge pas, car je t’aime ainsi :
lunaire, mentale, intacte,
égale à toi-même en ma mémoire,
plus que toi-même.
Demeure dure, exacte et taciturne,
avec mon enfance de platine et de brouillard,
sur ta clairière de terre éboulée…
LUIS CARDOZA Y ARAGON. (Fragments) Version de F. Verhesen.
L C Y A: né au Guatemala en 1902.
El Sonâmbulo – Pequena Sinfoma del Nuevo Mundo – Poesia (1948).
C’est le vent d’été … – ( RC )
peinture : Alexander Brook
C’est le vent d’été
qui a couché les blés ,
un silence s’est fait parmi les bruits :
c’est bientôt la pluie
qui va nourrir la terre,
celle qui désaltère,
et que l’on attend
depuis si longtemps :
Pendant que le ciel oscille :
l’orage plante ses faucilles
concentre ses flèches
rebondit sur la terre sèche.
Il éparpille les jours torrides,
remplit les poitrines vides,
gonfle les ruisseaux,
cherche dans les rocs des échos,
qu’il trouve jusque dans ta voix :
cette soif insatiable que rien ne combat :
la vie est revenue d’une longue absence
Elle remercie la providence,
envisage un nouvel avenir :
je vois tes seins s’épanouir,
l’herbe reverdir,
et le désert refleurir…
J’ai beaucoup appris de tes paysages,
de l’attente et des passages,
des courbes de tendresse
où le temps paresse
de tes frissons secrets
et des lits défaits
où se courbe la rivière,
où se love la lumière :
Après l’orage et le calme revenu,
au silence dévêtu,
la chair embrasée,
enfin apaisée…
–
RC – avr 2019
Alain Paire – le miroir de l’absente
... J’ai souvent regardé La Mort de la Vierge,
les grandes palmes sombres de l’Ange de Mantegna,
l’écume d’un chemin nacré parmi les eaux de la lagune.
Peut-être n’était-ce pas ce tableau que je contemplais.
Mais plutôt, dissipant lentement les ombres du labyrinthe,
sans envers ni lointains, sans même l’espace d’une voix ,
le miroir de l’absente qui appelle encore, et
qui revient près de nous.
Charlie Chaplin – Vie
J’ai agi par impulsion, j’ai été déçu par des gens que j’en croyais incapables, mais j’ai déçu des gens aussi.
J’ai tenu quelqu’un dans mes bras pour le protéger.
Je me suis fait des amis éternels.
J’ai ri quand il ne le fallait pas.
J’ai aimé et je l’ai été en retour, mais j’ai aussi été repoussé.
J’ai été aimé et je n’ai pas su aimer.
J’ai crié et sauté de tant de joies, j’ai vécu d’amour et fait des promesses éternelles, mais je me suis brisé le coeur, tant de fois!
J’ai pleuré en écoutant de la musique ou en regardant des photos.
J’ai téléphoné juste pour entendre une voix, je suis déjà tombé amoureux d’un sourire.
J’ai déjà cru mourir par tant de nostalgie.
J’ai eu peur de perdre quelqu’un de très spécial (que j’ai fini par perdre)………
Mais j’ai survécu!
Et je vis encore!
Et la vie, je ne m’en lasse pas …………
Et toi non plus tu ne devrais pas t’en lasser. Vis!!!
Ce qui est vraiment bon, c’est de se battre avec persuasion, embrasser la vie et vivre avec passion, perdre avec classe et vaincre en osant…..parce que le monde appartient à celui qui ose!
La vie est beaucoup trop belle pour être insignifiante! »
un pont entre tes paroles – ( RC )
détail d’une peinture de Botticielli (Vénus et Mars )
J’ai entendu la mer
dans la conque marine.
Et dans le ressac,
m’est parvenue ta voix,
dans le silence qui se retire,
suivant la marée basse.
Il y a du silence en toute chose,
et c’est un pont entre tes paroles.
Elles se poursuivent dans le temps,
et l’émotion tinte de leur écho.
C’est une voix sereine
qui rend sa grâce
au sourire d’un enfant,
auquel tu redonnes le souffle.
Je t’ai écoutée,
comme le ressac,
dans la conque marine.
Anise Kolz – tout perdre
Aimer
c’est être mortel
et lutter contre
avec toi
pénétrer dans ta chair
en nageant
m’y mordre
et me posséder
tout perdre
pour continuer
à vivre
dans une peau
humide et calme
comme une grotte
Me voilà parvenue jusqu’ici
maintenant je rebrousse chemin
ma voix en cage
muette
–
André Henry – ce n’était pas assez
Ils vous ont enlevé vos couteaux, vos lacets,
Vos maisons, vos jardins.
Ce n’était pas assez.
Ils vous ont poursuivis, ils vous ont pourchassés,
Sur vos mains, sur vos pieds,
leurs yeux se sont posés
Pour guetter le non-sens.
Ce n’était pas assez.
Ils ont fermé sur vous
les portes successives.
Ce n’était pas assez.
Vous preniez trop d’espace,
Ils entendaient vos voix, ils entendaient vos pas.
Ils ont poussé sur vous l’ombre
Et les murs
Qu’ils vous avaient laissés.
Ce n’était pas assez.
Ils auraient bien voulu murer vos cris, vos yeux.
Ils auraient bien voulu que vous disparaissiez.
Voix de livres – ( RC )
Un ton de voix qui traverse les pages,
maintenant, enfoui parmi d’autres .
Tous ne dialoguent pas ensemble,
mais il y a des échos qui transportent loin,
et la mémoire accorde quelque chose,
à la façon d’une saveur épicée,
à ces livres fermés depuis longtemps,
et que peut-être je ne lirai plus.
ou alors, si je les parcours
ce sera avec l’espoir de retrouver
les tournures des phrases
telles que ressenties avant.
Selon la couverture ,
on se rappelle plus ou moins
la couleur des mots
qui s’associaient à ce qui était conté .
Ils sont comme les statues d’un parc
attendant le visiteur.
Des années plus tard,
de la mousse aura envahi le visage,
elles auront été déplacées,
on les pensait plus grandes,
car vues avec un autre regard
que celui d’aujourd’hui.
Les livres sont pressés
dans plusieurs cartons,
et la chair de leur voix,
palpite encore quelque part .
Ce ne sont pas des objets comme les autres,
ils contiennent un peu de moi,
c’est peut-être pour ça
que je ne les ouvre pas.
–
RC – août 2017
Jacqueline Harpman – le cri
Sculpture Franz Xaver Messerschmidt
—
Et l’unique cordeau des trompettes marines résonne encore en moi. Je suis debout à la pointe de l’île et je tremble de douleur.
J’ai entendu la voix qui montait des grands fonds marins, peut-être avait-elle traversé l’univers depuis les plus lointaines étoiles, elle avait parcouru tous les temps qui se sont écoulés, elle portait la trace de la première nuit, elle avait voyagé à travers l’immensité pour trouver une âme qui l’écoute et je me suis redressée, élue entre toutes, j’ai ouvert les bras, j’ai ouvert tout mon corps qu’elle a pénétré d’un seul coup, je suis devenue le lieu même qu’elle cherchait de toute éternité,nous nous sommes fondues l’une dans l’autre, j’ai connu l’appartenance absolue, j’étais elle, elle était moi, pendant l’intervalle
effroyablement court entre avant et après je suis devenue l’évidence, l’incontestable, l’affirmation définitive, mais elle ne s’est pas arrêtée, peut-être l’avais-je déçue ou devait-elle poursuivre sa route car je me suis retrouvée vide.
Le silence a repris son empire et j’écoute, malade de manque, rongée par l’espoir comme par un cancer, des trous s’ouvrent en moi, je suis en état d’hémorragie interne et je vais mourir noyée dansmon sang.
On n’entend plus que le vent ou le fracas des vagues, je les distingue mal l’un de l’autre.
Parfois une femme s’approche de moi et me tend de la nourriture, mais je ne peux pas la prendre,ma bouche se ferme irrésistiblement, il semble que mon corps refuse l’accès à tout ce qui n’est pas la voix.
Quand l’hiver a commencé, un homme est venu poser sur mes épaules un vêtement chaud, peut-être y est-il encore.
Je ne sais pas si je l’ai remercié, cela est probable car j’étais une femme très polie.
Du moins, il me semble. Je ne sais plus grand-chose de moi.
Qui me parlera, désormais?
Je ne veux plus rien entendre et je dis que tout est silence qui n’est pas la voix.
Il semble que je vais me dessécher sur place, debout dans le vent, les oreilles tendues, j’ai mal à force d’écouter et j’ai le terrible pressentiment que la voix ne me parlera plus.
Je ne suis même pas sûre de savoir ce qu’elle promettait et voilà que je ne veux rien d’autre.
Cela va me faire mourir, c’est sûr, on ne survit pas en restant tout un hiver debout devant l’océan sans manger, sans dormir.
Mais qu’y puis-je?
Suis-je responsable de l’avoir entendue?
Je n’aurais pas même pu me boucher les oreilles car elle est arrivée à l’improviste, rien ne m’avait avertie.
On n’est pas responsable de ces choses, on vit innocemment, on écoute parler les enfants, les maris, les voisins, rien n’avertit que l’éternité peut entrer par les oreilles.
Le temps coulait comme une eau libre, il arrivait que je parle, je connaissais beaucoup de mots que je pouvais assembler selon des règles familières que j’observais sans y penser, de sorte qu’on me comprenait aisément.
Depuis que j’ai entendu la voix, j’ai la gorge nouée et la tête vide.
Il me semble que je crie de manière ininterrompue, au maximum de mes forces, mais je n’en suispas sûre : je suppose que je m’entendrais et, depuis un moment, je n’entends plus rien.
Rien du tout.
Je vois que l’herbe de la plaine est ployée, couchée et mouvante comme quand il y adu vent, que les vagues viennent se briser sur la grève et je n’entends plus un seul bruit.
Peut-être la voix m’a-t-elle rendue sourde ou je veux tellement l’entendre que je refuse d’entendretout ce qui n’est pas elle ?
Les gens viennent et me parlent, je vois leurs lèvres bouger.
Cela m’ennuie beaucoup et je tente de me rassurer en me disant que la voix est très puissante, quele petit bavardage humain ne peut pas la couvrir, mais l’agacement grandit en moi.
Je détourne mon regard d’eux, je le porte vers l’horizon ou vers le ciel puisque c’est de là qu’elle viendra, et je m’applique à ne pas voir les petits visages grimaçants de ceux qui veulent me distraire.
Je n’ai plus envie de bouger, après tout mes propres mouvements font un certain bruit
qui pourrait me distraire du bruit essentiel.
Si discrète qu’elle soit, ma respiration ne m’empêche-t-elle pas d’entendre?
Et les battements de mon cœur? Je suis sûre qu’ils m’assourdissent.
Il faudrait que je fasse tout taire en moi, que j’arrive au silence absolu des statues,
je veux que tous mes bruits s’arrêtent, le sang, les entrailles, les poumons sont insupportablement agités, mon corps vocifère, ce doit être lui qui encombre mon ouïe, il bouche l’éther, les sons ne se propagent plus, mon corps rend l’air si lourd que les délicates vibrations de la voix ne peuvent plus l’ébranler, tout cela doit s’immobiliser et je crois qu’alors, dans l’instant qui suit le dernier battement de cœur, la dernière exhalaison, il y aura ce qu’il faut d’immensité pour que, juste avant que je meure, se déploie de nouveau le bonheur et l’unique cordeau des trompettes marines.
–
extrait du recueil de nouvelles « La Lucarne » Stock 1992
Foroukh Farrokhzâd – il n’y a que la voix qui reste
peinture: Arpad Szenes
Pourquoi m’arrêterais-je, pourquoi?
Les oiseaux sont partis en quête d’une direction bleue
L’horizon est vertical
L’horizon est vertical, le mouvement une fontaine
Et dans les limites de la vision
Les planètes tournoient lumineuses
Dans les hauteurs la terre accède à la répétition
Et des puits d’air
Se transforment en tunnels de liaison.
Le jour est une étendue,
Qui ne peut être contenue
Dans l’imagination du vers qui ronge un journal
Pourquoi m’arrêterais-je?
Le mystère traverse les vaisseaux de la vie
L’atmosphère matricielle de la lune,
Sa qualité, tuera les cellules pourries
Et dans l’espace alchimique après le lever du soleil
Seule la voix
Sera absorbée par les particules du temps
Pourquoi m’arrêterais-je?
Que peut être le marécage, sinon le lieu de pondaison des insectes de pourriture
Les pensées de la morgue sont écrites par les cadavres gonflés
L’homme faux dans la noirceur
A dissimulé sa virilité défaillante
Et les cafards…ah Quand les cafards parlent!
Pourquoi m’arrêterais-je?
Tout le labeur des lettres de plomb est inutile,
Tout le labeur des lettres de plomb,
Ne sauvera pas une pensée mesquine
Je suis de la lignée des arbres
Respirer l’air stagnant m’ennuie
Un oiseau mort m’a conseillé de garder en mémoire le vol
La finalité de toutes les forces est de s’unir, de s’unir,
À l’origine du soleil
Et de se déverser dans l’esprit de la lumière
Il est naturel que les moulins à vent pourrissent
Pourquoi m’arrêterais-je?
Je tiens l’épi vert du blé sous mon sein
La voix, la voix, seulement la voix
La voix du désir de l’eau de couler
La voix de l’écoulement de la lumière sur la féminité de la terre
La voix de la formation d’un embryon de sens
Et l’expression de la mémoire commune de l’amour
La voix, la voix, la voix, il n’y a que la voix qui reste
Au pays des lilliputiens,
Les repères de la mesure d’un voyage ne quittent pas l’orbite du zéro
Pourquoi m’arrêterais-je?
J’obéis aux quatre éléments
Rédiger les lois de mon cœur,
N’est pas l’affaire du gouvernement des aveugles local
Qu’ai-je à faire avec le long hurlement de sauvagerie?
De l’organe sexuel animal
Qu’ai-je à faire avec le frémissement des vers dans le vide de la viande?
C’est la lignée du sang des fleurs qui m’a engagée à vivre
La race du sang des fleurs savez-vous?
Traduction de Mohammad Torabi & Yves Ros.
Roger Wallet – ça ressemble à une vie
photo: Willy Rizzo
Ca ressemble à une vie
bonjour tristesse
le titre qui lui a plu il ne connaît
pas l’auteur mis à part du passé
il ne connaît
pas d’auteur Saint-Ex bien sûr comme tout le monde
et puis l’aîné l’a offert à son frère…
il l’a dans un coin de l’atelier adieu tristesse / bonjour tristesse /
tu es inscrite dans les lignes du plafond / tu es inscrite dans les yeux que j’aime…
ému les yeux que j’aime cette voix…
c’est comme si c’était elle qui lui parlait
et il le relit le sait vite par cœur le poème de P.Eluard au début
je vous le rapporte je il se sent gauche. je l’ai lu.
un silence. c’est très…
il se tait
elle est debout elle le regarde
aurait pas dû venir c’est trop… compliqué ?
prenez-en un autre elle sourit. lui : le cœur qui
bat comme un fou là-dedans
la main tremble elle doit le voir [il pense]. s’approche de la bibliothèque
la dévisage les yeux le nez la bouche
– le mot rien que le mot le fait frissonner
–
vous…
rien d’autre.
tourne le dos s’excuse
il sent sa main sur sa nuque ses yeux sa bouche….
( extrait du site des éditions des Vanneaux )
Sculpteur de poème – ( RC )
sculpture Jaume Plensa Yorkshire park
–
Tu t’imagines sculpteur
en travaillant le volume d’un poème….
Tu as à ta disposition,
comme celui du métier,
une matière malléable
qui serait comme la terre glaise
avec laquelle tu modèles tes idées.
Elles peuvent prendre toute forme
et le dire , en être rugueux
ou volontairement lisse,
selon le choix des verbes.
Tu travailles rapidement,
rajoutes, enlèves, soudes,
crées les espaces nécessaires,
associes les nuances,
se froissant même,
au parcours des sons.
Tourne donc autour de ta sculpture :
tu l’envisages sous un autre angle,
évidant les mots,
multipliant les arabesques.
Regarde l’ombre portée des phrases.
Creuse encore, où les sonorités s’affrontent ;
Imagine d’autres couleurs,
portées par d’autres voix.
Comment respire l’ensemble,
s’il se dilate avec le souffle,
s’il a la fluidité d’un marbre poli.
Il se nourrit de lumières et d’ombres
au foisonnement des images :
métaphores cristallisant l’imagination
avec la magie des vers:
le poème vibrant de son propre espace.
–
RC – mai 2017
Les doigts marchent au ralenti sur une plage – ( RC )
Les doigts marchent au ralenti sur une plage,
elle est déserte, et j’assemble les mots en vrac.
Ici, il n’y a pas de ressac,
mais l’univers encore vierge d’une page.
Mes doigts tiennent fermement un crayon ,
( on voit que blanchissent les phalanges,
quand je pars à la poursuite de l’ange ),
et de l’ astre j’accroche ses rayons .
Comment fixer ce qui est invisible ?
par le moyen d’une voix clandestine,
( le bout du crayon suivant la mine ) ,
cette voix , alors, me devient audible ,
il faut juste qu’elle me traverse,
portée par des ondes, en-dedans :
c’est peut-être juste le vent
ou une soudaine averse :
( je ne saurai la décrire,
ni, ce qui la déclenche ):
les pensées ne sont pas étanches,
quand je me mets à écrire.
–
RC – nov 2016
Jean-Pierre Paulhac – Une voix
Une voix
Comme un sourire
Une voix
Comme un soleil
D’océan indien
Une voix
Comme un horizon bleuté
Vers lequel voguent mes mots
Aspirés d’espoir
J’entends
Des rires de palmiers qui se tordent de musique
Des pas de danse qu’invente une plage espiègle
Des chants qui montent sur des braseros ivres
Des crustacés qui crépitent leur saveur pimentée
Ici
C’est le silence gris des bétons déprimés
C’est la glace qui saisit tous les masques
C’est un jadis souriant embrumé d’ombre
C’est l’ennui qui ne sait que recommencer
J’entends
Des guitares rastas aux cris de parfum hâlé
Des bras nus de désir qui dégrafent la lune
Des hanches insatiables que dessoudent la salsa
Des nuits secrètes aux folles sueurs de soufre
Ici
C’est le mutisme morne des grimaces polies
C’est la morgue soyeuse des cravates policées
C’est la cadrature étroite des cercles vicieux
Qui soumet à ses ordres la horde quadrillée
J’entends
Mes souvenirs marins d’aurores océanes
Mes remords nomades de dunes vives
Ma mémoire exilée qui déborde en vain
De tant d’hivers que la chaleur a bafoués
Ici
Le temps se tait s’étire et se désespère
Le temps n’est plus une chimère bleue
Le temps se meurt de mourir de rien
Et chaque ride compte un bonheur perdu
J’entends
Un rêve qui papillonne son corail osé
Un rêve qui murmure un refrain salé
Un rêve qui soupire son souffle de sable
Sur l’éternel instant d’un été sans fin
Une voix
Comme un sourire
Une voix
Comme un soleil
D’océan indien
Une voix
Comme un horizon bleuté
Vers lequel voguent mes mots
Aspirés d’espoir
Deux volumes et deux bouteilles ( presque un Morandi )- ( RC )
photographe non identifié